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PortraitAgriculture

En Belgique, l’agriculture végane à grande échelle

Depuis deux ans, Benoît Noël a fait le pari de l’agriculture végane. En Belgique, il propose une activité de maraîchage « performante » et « communautaire ». Un véritable projet politique pour lui. [3/4]

Cultiver sans exploitation animale, c’est possible. Vous lisez la troisième partie de notre série sur l’agriculture végane, la suite paraîtra demain.


Oupeye (Belgique), reportage

D’une main, Benoît Noël désigne les usines sombres, dont les toits dépassent des arbres. « Ça, c’est le passé. Nous on essaie plutôt de construire le futur. » C’est ici, en banlieue de Liège, en Belgique, si proche du tumulte de la ville, qu’il a choisi de s’installer. Depuis juin 2020, il y pratique une agriculture végétalienne, en conversion bio. Avec succès, insiste-t-il : « Environ 50 tonnes de production sur l’année [1], c’est quand même assez énorme. » Autour de lui pousse une multitude de pommes de terre, de potimarrons et de courges.

Benoît Noël, 52 ans, n’est pas un maraîcher comme les autres. Seul salarié de cette ferme urbaine nommée Vtopia, il est agronome de formation. Son autre casquette ? Il y a quelques années, il a contracté le « virus de l’entrepreneuriat ». Aucun jour ne passe sans qu’il ait envie de créer un projet, une association ou une nouvelle coopérative. En 2016, il comptait se lancer en « petit élevage en bio ». C’est un de ses amis, Fabrice Derzelle, fondateur d’une association belge visant à informer des problèmes engendrés par la surconsommation de produits animaux, qui l’a fait changer d’avis.

« Ma mission de vie, c’est de contribuer à maintenir l’habitabilité de la planète. » © Mathieu Génon / Reporterre

Le néopaysan prévient : il n’est pas encore végane. Il s’est « offert » de devenir végétarien à son dernier anniversaire. Cela lui suffit pour le moment, il ne compte pas arrêter totalement de consommer des produits d’origine animale. Avant même de parler des conditions d’exploitation des animaux, sa motivation, c’est surtout l’écologie. « Ma mission de vie, c’est de contribuer à maintenir l’habitabilité de la planète, explique-t-il. Cet enjeu serait beaucoup plus facile à atteindre pour l’agronome que je suis, si l’humanité était en totalité ou en majorité végane. »

Bon élève, il cite chiffres et études pour appuyer son propos : plus de 70 % des surfaces cultivées en Europe le sont pour nourrir des animaux d’élevage, cela crée des émissions de gaz à effet de serre et une pression sur les écosystèmes, qui mènent à l’extinction de la vie sauvage. « Quand on regarde le taux de conversion des protéines végétales en protéines animales, en gros, on voit qu’on pourrait nourrir sept fois plus de gens si on utilisait autrement la surface actuelle allouée à l’alimentation des animaux d’élevage », poursuit-il.

Benoît Noël pratique une agriculture bio et végétalienne, sans animaux d’élevage ni intrants d’origine animale. © Mathieu Génon / Reporterre

Une alimentation végétale serait donc plus compatible avec les enjeux écologiques et sociaux. « Il faut végétaliser l’assiette, mais aussi les modes de production. » D’où ce projet de pratiquer une agriculture bio et végétalienne, c’est-à-dire sans animaux d’élevage ni intrants d’origine animale. « Un légume cultivé grâce à des déchets d’abattoir ou de la poudre de sang, dire qu’il est végane, c’est un peu gros », estime Benoît Noël [2]

« On peut aller vers la grande échelle »

Pour enrichir les sols d’une autre façon, sans fumier, l’agronome-maraîcher mise sur une autre technique : le bois raméal fragmenté, de son petit nom « BRF ». Plus concrètement, c’est un mélange de foin et de branches broyées qu’il vient épandre sur le sol. Un moyen bien plus efficace, selon lui, que le compost végétal. Et plus durable. Pour produire les branchages nécessaires au mélange fertilisant, « on va planter des arbres en agroforesterie sur les parcelles, précise-t-il. Au bout de quinze, vingt ans, ils vont injecter leur carbone par leurs radicelles dans le sol, et par leurs feuilles qui vont tomber au-dessus. On va créer un agroécosystème durable, productif éternellement. »

Le maraîcher utilise du bois raméal fragmenté, un mélange de foin et de branches broyées qu’il vient épandre sur le sol. © Mathieu Génon / Reporterre

Benoît Noël n’en est qu’à ses débuts, mais il y croit. Pour chez lui, mais aussi (et surtout) chez les autres. « Ce n’est pas du petit jardinage, prévient-il. On peut aller vers la grande échelle, reprendre ce design-là et l’appliquer sur 100 hectares. Ça tient la route. » C’est d’ailleurs son « ambition politique » : créer un modèle de production végétalienne « performante », qui fonctionne, pour que l’idée essaime chez d’autres agriculteurs.

BRF, arbres fruitiers, massifs à fleurs et même « hôtel à insectes »… Pour le moment, l’homme originaire de Bruxelles constate de très bons résultats sur ses 2,5 hectares de terrain cultivé. Tant au niveau de la production que de l’amélioration de la qualité des sols : « Le sol, où j’ai déjà mis en place mon protocole de fertilisation organique, est complètement vivant, plein de cavités, de vers de terre, de champignons... décrit-il. Je vois la différence avec les quelques parcelles où je n’ai pas encore commencé le protocole. »

Avec ses techniques alternatives, le maraîcher a de très bons résultats. © Mathieu Génon / Reporterre

Cueillir soi-même

Gilet sans manches sur le dos et grand couteau à la main, Benoît Noël continue de nous faire visiter son terrain. Des terres qu’il loue à un promoteur immobilier belge, Matexi. Son bail à ferme est de cinquante ans. « C’est intéressant, quelque part, de dédiaboliser les entreprises, justifie-t-il. Le secteur marchand peut s’associer avec le non marchand, comme ici, dans le cadre d’un projet. » Même les projets de logement que Matexi souhaite construire sur 3 hectares, tout autour de la ferme, ne l’inquiètent pas. « Ça va rapprocher nos clients, on va les avoir juste à côté de nous, et ils pourront voir comment on travaille. Être en ville, proche des consommateurs, cela permet d’avoir une “agriculture société”, une agriculture communautaire. »

Dans cette optique, Benoît Noël propose l’autocueillette sur sa ferme [3]. « Les gens peuvent venir n’importe quand, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 », affirme-t-il. 24 heures sur 24, vraiment ? Benoît Noël hausse les épaules : « Ben oui, la nuit il faut une lampe torche, c’est tout. » Voilà justement un client : Bruno, la quarantaine, arrive à vélo. Il est venu chercher ses légumes de la semaine. Il salue Benoît Noël, puis, sans attendre, du geste de l’habitué, il s’empare d’outils et commence à récolter pommes de terre et poireaux. « C’est agréable de cueillir soi-même ce que l’on va manger », se réjouit-il.

Bruno : « C’est agréable de cueillir soi-même ce que l’on va manger. » © Mathieu Génon / Reporterre

« Bruno a souscrit à l’autocueillette par abonnement. Il a réglé pour l’année donc il n’aura pas besoin de passer à la caisse », nous glisse Benoît Noël. Les autres clients de la journée devront récolter, peser, vérifier la liste des prix et placer leur dû dans une boîte. Le tout, sans aucune surveillance du maraîcher. « Ça, ça secoue beaucoup de gens. Le fait que je fasse confiance », raconte-t-il. Un concept qui fonctionne « plus ou moins bien », reconnaît-il, certains vols étant à déclarer. « Mais c’est minoritaire, alors pour le moment on continue. Ça fait partie de l’expérience sociale. »

Les cueilleurs doivent récolter, peser et mettre l’argent dans une boîte. © Mathieu Génon / Reporterre

Si Benoît Noël affirme que son projet Vtopia a rencontré du succès dans la région, il admet que l’engagement des locaux est encore assez timoré. La plupart des gens sont séduits par l’autocueillette, mais ne veulent pas souscrire à un abonnement annuel. Seule une trentaine de familles a pris cet engagement. « Nous sommes dans une société qui ne produit aucune vision enviable de l’avenir, donc c’est difficile pour les gens de se projeter dans le temps, analyse le maraîcher. Mais dans un projet comme celui-ci, on a besoin d’engagement sur le long terme... »

Benoît Noël ne désespère pas, il est persuadé que Vtopia continuera à « produire du sens » pour les gens du coin. Une dizaine de bénévoles s’implique d’ailleurs régulièrement lorsque des chantiers sont organisés sur la ferme. Il y croit, le projet va grandir. Selon lui, « le temps du collectif arrive ».


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