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Pédagogie Éducation

En Bretagne, un camp d’été nous apprend à fabriquer des low tech

Trois semaines durant, jusqu’au 5 août, une petite ferme bretonne réunit professionnels du bricolage et esprits créatifs engagés dans la transition écologique. Ils partagent leurs savoirs et fabriquent des low-tech. Pour tendre vers l’autonomie.

  • Névez (Finistère), reportage

Les enfants se battraient presque pour pédaler. Sous le soleil de juillet, leurs coups de pédales entraînent une courroie en caoutchouc qui fait tourner le tambour d’une machine à laver. Cet appareil low-tech a servi à décrasser les vêtements de participants au Summ(ak)er Camp. Depuis le 16 juillet et jusqu’au 15 août, à Névez, dans la campagne bretonne, à deux pas de la côte rocheuse, ce camp d’été autogéré réunit campeurs et gens de passage, « tous intéressés par le low-tech, le numérique et les communs », résume Cédric, le maître des lieux. « L’idée, c’est de réfléchir et de créer ensemble, pour aller vers de nouveaux modèles de transition. »

Sur son terrain, Cédric a créé Atelier Z, un « tiers-lieu rural », voilà quelques années. Objectif : accueillir ateliers, résidences et événements comme le camp d’été. Mais aussi lancer et relier des projets collaboratifs, écologiques et sociaux qui touchent souvent au numérique libre.

Atelier Z, un tiers-lieu, accueille le camp d’été dans la campagne bretonne.

Plusieurs bâtiments en belles pierres, un imposant four à pain coiffé de végétation, un alignement de blocs de granit séparant le potager de la forêt… Cadre champêtre idéal pour bidouiller et partager des savoirs. « Au début du XXe siècle, c’était la plus grosse ferme de Névez : 100 hectares, le premier tracteur du village. » Désormais, à l’ombre du hangar, on crayonne des plans, on visse, on découpe, on se documente sur internet et on discute des multiples projets, alors que deux poules déambulent en gloussant. Le camp d’été bat son plein. Certains projets naissent pendant ces trois semaines. D’autres, lancés auparavant, grandissent au Summ(ak)er Camp.

Un peu de temps, des outils et des objets de récupération, il n’en faut pas plus pour fabriquer ses low-tech 

En ce début d’après-midi, une quinzaine de personnes travaille. La taille du groupe varie au gré des départs et des arrivées. Sorties à la plage, petites conférences baptisées « causeries » et apéros rythment aussi les journées.

Un peu de temps, des outils et des objets de récupération, il n’en faut pas plus pour fabriquer ses low-tech. Anton l’a compris. À peine trois heures d’huile de coude, une palette, la courroie en caoutchouc et un pédalier de vélo lui ont suffi pour créer la machine à laver. Il a glané des infos pour la fabriquer sur internet. « Le tambour traînait dans notre camion depuis un an », rigole Romane, son acolyte du projet Mobilab Songo. Ensemble, ils parcourent l’Hexagone, de tiers-lieux en oasis, explorant des initiatives solidaires et écologiques.

Le camion de Mobilab Songo sillonne la France à la découverte d’initiatives solidaires et écologiques.

Romane en avait marre de payer 5 € dans une laverie. « Avec notre machine, tu pédales pendant une demi-heure en lisant ton bouquin ! Tu mets l’eau dans le tambour avec un arrosoir. T’ajoutes la lessive. Un tuyau permet d’évacuer l’eau sale, par gravité. Les fringues sont propres à la sortie. » Le tout sans électricité.

Pour la fabrication, nul besoin de grandes compétences techniques. « C’est hyper simple », assure Romane. « Nous commençons toujours par fabriquer la version de l’objet la plus accessible techniquement », ajoute Anton.

Pour illustrer son propos, il désigne un petit poêle à bois, de type rocket stove, servant à cuisiner et à chauffer de l’eau. « On l’a fabriqué sans soudure. Un morceau de tôle récupéré forme une double paroi qu’on a remplie de sable, à l’intérieur du poêle. Ce qui isole l’appareil. » Les autres matières premières ? « Bouteille de gaz, extincteur et casserole récupérés. C’est gratuit ! »

Un four à pain ultralocal

En ce moment, Anton façonne un four à pain. Celui-ci trône dans un coin du hangar. Les matériaux — pierres, argile, sable et paille — ont été trouvés dans la nature, « dans un périmètre de 100 mètres ». « On ne peut pas faire plus local ! » s’enthousiasme Romane.

Ce four à pain va être intégré dans la cuisine low-tech et slow food d’Atelier Z. Incubé par Cédric à l’UBO Open Factory,le fablab de l’université de Brest, ce grand projet occupe nombre des participants et partenaires du Summ(ak)er Camp.

Le « rocket stove », construit grâce à des matériaux récupérés, sert à chauffer l’eau et à cuisiner.

« La cuisine devait être un simple outil pour Atelier Z, raconte Cédric. Mais elle a pris beaucoup plus d’importance. Parce qu’une cuisine est centrale dans un projet comme celui de ce tiers-lieu, qui créé du lien. Tout se fait autour d’une bière et de la bouffe. »

Conçue pour un usage professionnel, la cuisine doit être bien équipée en low-tech : entre autres, un four à pizza, un garde-manger, un chauffe-eau solaire, un système de phytoépuration « pour la plonge ». Le Low-Tech Lab devrait s’attaquer à ce système cette semaine, prévoit Cédric.

La cuisine mesure déjà 11 m de long, sur 4 de large. Le regard affûté de Xavier Hamon, un « cuisinier très investi dans le slow food », oriente le projet. « Il a tout de suite été très intéressé parce que les low-tech changent la manière de cuisiner. Par exemple, un garde-manger impose de fonctionner en circuit court, avec un approvisionnement direct. »

Le prototype ne cesse d’évoluer. « On fabrique les meubles en fonction des usages qu’on découvre. Avec des palettes, qui sont parfaites pour le prototypage. Mais la cuisine finale sera faite avec d’autres matériaux, pour avoir un outil professionnel et fonctionnel. » Le projet doit être réplicable par qui veut. La fabrication et les plans, sur lesquels planche Séb, du collectif Mainstenant, seront mis à disposition des internautes. C’est le cas de tout ce qui est créé ici. « Une fois le projet bien défini, pourquoi ne pas aller chercher un budget de recherche ? »

À plus long terme, pour compléter cette cuisine, Cédric souhaite doter Atelier Z d’un petit laboratoire, « pour montrer qu’il est possible de transformer ses produits soi-même ». Un fumoir et un séchoir sont envisagés. Des outils qui viendraient s’ajouter à la microbrasserie logée dans un des bâtiments.

« On montre aux enfants que c’est plus sympa de fabriquer ses jouets que d’aller s’en acheter »

Au Summ(ak)er Camp, les enfants aussi mettent les mains dans le cambouis. Sous le hangar, Baptiste et un adulte fabriquent leur second passe-trappe, un jeu en bois qui remporte un certain succès parmi les campeurs. « Je laisse bricoler les enfants s’ils en ont envie », glisse Jean-Bertrand, de Bretagne Transition, une association cofondée par Cédric et accompagnant les acteurs du territoire vers une transition citoyenne et durable.

Jean-Bertrand et Baptiste fabriquent un passe-trappe.

« Bien encadrés, les bambins peuvent se servir d’une perceuse sans danger, même à l’âge de 5 ans, explique Ronan, un autre participant. On leur montre que c’est plus sympa de fabriquer ses jouets que d’aller s’en acheter. »

Zélie joue au passe-trappe, fabriqué par des enfants et des adultes.

Dans un long bâtiment jouxtant le hangar, Ronan travaille à une annexe de bateau en biomatériaux. C’est son métier, mais il est bénévole sur ce projet. La coque du bateau est composée de lin, de balsa et d’amidon de maïs. Imaginée et conçue par Atelier Z, un professeur de design de la transition de l’École européenne supérieure d’art de Bretagne de Brest, et un architecte naval, l’embarcation a vu ses pièces usinées par le fablab brestois. Kairos, une entreprise du navigateur Roland Jourdain, a fourni les matériaux biosourcés. Pour Ronan, c’est un projet nécessaire : « Il faut que des gens expérimentent pour que les biomatériaux se développent. Les industriels sont trop frileux. »

Au camp d’été, les biomatériaux sont privilégiés. Ils composent également le drone marin prenant forme sur l’établi du hangar. Cet objet-là doit servir la science. Les experts de la station biologique marine de Concarneau, petite ville voisine, se sont montrés intéressés. Ils collaborent déjà avec le fablab concarnois, qui vient d’ouvrir. Grâce au prototype, « un scientifique pourrait construire ce drone chez nous », explique Manu, cofondateur du fablab. Olivier, son directeur, évoque le surf en carton assemblé le 24 juillet, au cours du camp. Cette semaine, la production et la consommation d’énergie sera aussi explorée, notamment par les Lyonnais du collectif Daisee. Entre deux baignades à la mer.

Des membres du fablab de Concarneau testent un drone en biomatériaux à destination scientifique.

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