En Île-de-France, le business des promeneurs de chiens abîme la forêt

Combien de chiens se cachent dans cette image ? Beaucoup trop, selon plusieurs communes ont pris des arrêtés limitant à quatre le nombre de chiens autorisés en promenade simultanée. - © Sarah Nafti / Reporterre
Combien de chiens se cachent dans cette image ? Beaucoup trop, selon plusieurs communes ont pris des arrêtés limitant à quatre le nombre de chiens autorisés en promenade simultanée. - © Sarah Nafti / Reporterre
Durée de lecture : 7 minutes
Animaux Forêts QuotidienLa multiplication du nombre de chiens emmenés en forêt de Meudon par des professionnels de la promenade entraîne sa meute de problèmes : stress de la faune, acidification des sols, plaintes des riverains… Aux abois, les mairies des communes concernées comptent sur l’ONF pour réguler la situation.
Forêt de Meudon (Hauts-de-Seine), reportage
C’est un ballet devenu habituel pour les usagers de la forêt de Meudon (Hauts-de-Seine). Tous les jours de la semaine, des camionnettes de promeneurs de chiens se garent dans les différents parkings du bois. Le business de la promenade de chiens en meute est florissant. Pour une trentaine d’euros par sortie — le prix est variable suivant les prestataires — les promeneurs proposent aux propriétaires, souvent urbains et actifs, de sortir leurs chiens à leur place. Sur leurs sites, ils vantent le bien-être de l’animal, qui a besoin de se dépenser et de socialiser avec d’autres chiens. Les forêts les plus proches de Paris, notamment celle de Meudon ou celle des Fausses-Reposes, sont particulièrement concernées par l’arrivée de ces nombreuses sociétés.
En forêt de Meudon, la situation ne fait pas que des heureux. Les autres usagers se heurtent parfois à des meutes d’une dizaine voire d’une quinzaine de chiens, la plupart sans laisse. Ce qui n’est pas sans créer des conflits, qui font écho dans les mairies du secteur. « À Chaville, il existe un groupe Facebook d’entraide entre habitants, avec 5 000 membres. On y parle des chiens plusieurs fois par mois », constate Hervé Lièvre, premier adjoint au maire de Chaville, l’une des six communes où est implantée la forêt domaniale. En cause, des rencontres avec des chiens sans laisse, qui parfois poursuivent leur propres animaux ou font peur à leurs enfants. En 2019, la ville s’est alignée sur ses voisines Meudon et Clamart et a pris un arrêté pour limiter à quatre le nombre de chiens en promenade simultanée. Un arrêté « impossible à faire respecter », regrette Hervé Lièvre, qui estime que la police à d’autres missions à mener, et que les opérations de sensibilisation des gardes champêtres n’ont pas changé la donne.

Cela fait plusieurs années que l’Office national des forêts (ONF), qui est chargé de la gestion des forêts d’Île-de-France, est alerté par l’augmentation du phénomène. « Il y a de plus en plus de sociétés, dit Michel Béal, directeur de l’agence territoriale Île-de-France Ouest à l’ONF. Certaines, officielles, ont des camions floqués, mais beaucoup de gens exercent aussi sans être déclarés. » Au-delà des conflits d’usage, la présence constante de chiens est aussi un problème pour la biodiversité, même si le phénomène est difficile à quantifier.
Instinct de prédation
La présence de nombreuses déjections canines au même endroit, à l’entrée de la forêt là où ils sortent des camions, participe à l’acidification des sols. Et surtout les animaux domestiques peuvent perturber la faune sauvage. « Le chien, même s’il vit en appartement, a un instinct de prédation qui peut l’amener à poursuivre un animal, à l’effrayer et l’empêcher de nicher, explique Michel Béal. Les périodes des naissances sont particulièrement sensibles. »
D’ailleurs, à partir du 15 avril et jusqu’au 30 juin débute la période où les chiens doivent obligatoirement être tenus en laisse en dehors des allées forestières. Une mesure qui vise à protéger la mise-bas des mammifères et la nidification des oiseaux. Par leur simple présence, les chiens peuvent stresser les animaux forestiers et mettre en danger leur reproduction. Une femelle stressée peut abandonner le site de reproduction comme son nid. La forêt de Meudon, avec ses nombreux étangs, abrite encore une faune sauvage diverse — fouines, martres, belettes, écureuils, chauve-souris — dont de nombreux oiseaux et amphibiens.

Bien évidemment, les forêts franciliennes sont très fréquentées — entre 3 et 5 millions de visiteurs par an en forêt de Meudon — et les promeneurs de chiens ne sont pas les seuls à y amener des animaux domestiques, souligne Cyril Fresse, propriétaire de Citizen Dog, qui, avec ses huit promeneurs, est l’une des grandes sociétés du secteur. « Nous essayons de faire au mieux, de prendre les petits chemins pour éviter au maximum les rencontres et lors de la période de reproduction, nous évitons les étangs, où nichent des oiseaux, alors que d’autres continuent à y aller. »
Il regrette « le manque de concertation » pour « trouver un cadre qui convienne à tout le monde ». Pour lui, l’arrêté limitant le nombre de chiens « signe la mort de nos activités s’il est appliqué ». Difficile d’être rentable avec moins de quatre chiens par sortie. « Nous avons un poids économique, nous créons de l’emploi et surtout nous répondons à une demande, je refuse même des clients parce que je n’ai pas assez de promeneurs disponibles. »
« Avec 15 chiens, on ne peut pas assurer de la qualité »
Début mars, la mairie de Clamart a mené une opération de verbalisation pour non-respect de l’arrêté qui limite le nombre maximal de chiens, que le maire a vanté sur les réseaux sociaux. Et pour certains, c’était la douche froide. Charlotte Pédarré a lancé son entreprise, Pense-Bêtes by Chacha, juste avant le confinement de mars 2020, après quinze ans de travail à la SPA. « Quand j’ai fait mon étude de marché, je n’avais absolument pas connaissance de l’existence de cet arrêté, malgré mes recherches », dit-elle.
En tant que professionnelle — elle est titulaire d’un brevet d’éducateur canin — elle constate aussi une dérive dans les pratiques. « Personnellement, je me suis toujours limité à six, sept chiens maximum, pour assurer leur sécurité et celle des autres. Avec quinze chiens, on ne peut pas assurer de la qualité et ça nous porte préjudice à tous. »

Elle est donc en faveur de la régulation mais rappelle que son travail est indispensable à certains. « Derrière chaque chien, il y a un humain, qui peut être âgé, handicapé, et avoir besoin de ce service. Les promenades permettent d’améliorer le comportement du chien en général car les problèmes comportementaux sont souvent liés à un manque d’activité physique. » Ce qui, in fine, participe à limiter les abandons. Car, beaucoup de gens qui ont pris des animaux pendant le confinement se sont retrouvés dépourvus lorsqu’ils ont dû retourner sur leur lieu de travail. « J’ai énormément de demandes, preuve que le besoin est bien là. Tout le monde devrait pouvoir cohabiter, on ne peut pas faire disparaître cette activité, avec des chiens qui vont rester enfermés dix heures par jour. Mais il ne faut garder que ceux qui travaillent correctement. »
Une régulation en cours d’élaboration
Et justement cette volonté de régulation progresse du côté de l’ONF, qui prévoit de réserver un espace dédié à cette activité en forêt de Meudon, ce qui serait une première en France. « Tout le reste de la forêt serait donc interdit, ce qui facilitera la possibilité de verbaliser les contrevenants », explique Michel Béal. L’ONF souhaite également mettre en place une procédure de certification, avec un cahier des charges à respecter, pour toutes les sociétés qui veulent exercer cette activité, et envisage la mise en place d’une taxe pour un usage commercial de la forêt. Une manière aussi de limiter les promeneurs « clandestins ». L’ONF est en concertation avec les villes dont dépend la forêt de Meudon et espère une mise en place de l’espace dédié « au printemps ».
« Il faut trouver une solution, c’est urgent ! » se désespère Florence de Pampelonne, adjointe au maire de Meudon en charge du développement durable, qui attend « avec impatience » la réglementation de l’ONF. « Certaines sociétés de promenade sont prêtes à faire des efforts, mais d’autres ne respectent pas leurs engagements. Et en attendant, les habitants se plaignent à la mairie ! » Pour l’adjointe au maire, la mise en place d’un terrain réservé permettra de mobiliser la police municipale et la police verte, cette équipe de la communauté de communes Grand Paris Seine Ouest composée de gardes champêtres et d’une brigade équestre chargée depuis 2019 de lutter contre les incivilités et de sensibiliser à la protection de l’environnement dans les espaces verts de la zone.