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Animaux

Étendre la durée de la chasse ne limitera pas la prolifération du gibier

Le gouvernement s’apprête à autoriser la chasse deux mois plus tôt qu’avant. Énième concession au lobby de la chasse ? Mesure nécessaire pour réguler les populations de sangliers, qui détruisent les cultures ? Reporterre a interrogé des chasseurs, des naturalistes et des paysans.

Un nouveau cadeau aux chasseurs ? L’État s’apprête à faciliter la chasse des sangliers, chevreuils et renards dès le 1er juin, au lieu du 15 août aujourd’hui. C’est l’objet d’un décret gouvernemental qui suscite un vif débat sur le site du ministère de l’Écologie, que l’on peut consulter jusqu’au 4 mars. Plus de 13.000 internautes ont déjà réagi, dont une large majorité pour s’opposer à une mesure qui allongerait encore la période de chasse. Bientôt, prévient la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) dans un communiqué, « il ne restera bientôt plus que les mois d’avril et de mai pour profiter d’une nature sans chasse en France ».

Abattre des sangliers à partir du 1er juin était déjà possible, mais conditionné à l’obtention d’une « autorisation individuelle préfectorale de chasse anticipée ». « Dans les faits, la majorité des chasseurs attendait la fin des vacances d’été pour ressortir le fusil, indique la LPO. Grâce à un nouveau décret en préparation, plus besoin d’autorisation préalable : feu à volonté dès le 1er juin. » Une inquiétude que dément Nicolas Rivet, de la Fédération nationale des chasseurs : « Cette mesure ne va rien changer, il s’agit juste d’une simplification administrative. » Un avis partagé par David Pierrard, gestionnaire du domaine de Belval, où la protection de la nature s’allie à une pratique raisonnée de la chasse. « Chasser au début de l’été n’est pas dans la culture des chasseurs, glisse-t-il. Ce n’est pas parce qu’on facilite la chose qu’on aura des mecs dans des miradors partout en France au 1er juin. » Contacté à ce propos, le ministère de la Transition écologique ne nous a pas répondu à temps avant la publication de l’article.

Face à la prolifération des sangliers, nombre d’agriculteurs réclament plus de tirs

Mais si « cela ne change rien », pourquoi étendre encore la période de tirs ? « La suppression de l’autorisation individuelle de chasse anticipée pour le sanglier et le chevreuil » est une des mesures du décret « relatif à la maîtrise des populations de grand gibier et de leurs dégâts » et doit permettre d’« améliorer la situation. Les dommages agricoles dus au grand gibier sont en hausse, argue le ministère de l’Ecologie. La maîtrise des populations de grand gibier et notamment du sanglier est un enjeu de premier ordre. »

« Un sanglier vous retourne une prairie, détruit le sol, mange les céréales, mais aussi les raisins et les plantes maraîchères », détaille ainsi Jean-Michel Granjon, paysan dans la Loire et syndicaliste à la Confédération paysanne. En 2018, le préjudice pour les agriculteurs se serait élevé à 60 millions d’euros, indiquait l’an dernier le député LREM Alain Péréa, auteur d’un rapport sur le sujet (et passionné de chasse).

Face à cette prolifération, nombre d’agriculteurs réclament plus de tirs. « La chasse anticipée paraît une solution, même si on ne l’accueille pas avec joie, dit Jean-Michel Granjon. Dans certains secteurs, ça peut permettre de réguler la population. » Le paysan rappelle également que ces chasses estivales ne sont pas des battues, une méthode de chasse dans laquelle des traqueurs rabattent le gibier chassé vers des tireurs postés.

Le naturaliste Pierre Rigaux doute que la chasse anticipée résolve le problème. « Depuis vingt ans qu’on tue le sanglier, même en facilitant les tirs ou en allongeant les périodes de chasse, ça ne fait pas baisser la population », constate-t-il. Plus de 700.000 animaux auraient été abattus sur la saison 2018-2019, un chiffre en constante hausse. « En Alsace-Moselle, ils tirent toute l’année, même de nuit, et ce n’est pas mieux qu’ailleurs, confirme David Pierrard, lui-même chasseur. On peut rallonger autant qu’on veut la période de chasse, s’il n’y a pas de réelle volonté de réduire le gibier, ça n’aura aucun effet. »

« Si on laisse les laies, ça fait plus de petits. »

Pour Jean-Michel Granjon, paysan, cet échec est imputable, en partie, aux chasseurs eux-mêmes : « Jusqu’ici, la plupart d’entre eux étaient dans une logique de développement et non pas dans une logique de régulation ». Autrement dit, l’objectif premier n’était pas de réduire les populations mais de les entretenir, pour le bon plaisir des tireurs. « Il y avait des consignes contre-productives, comme celles de ne pas tirer les laies reproductrices [femelles sangliers], dit le paysan. Sauf que si on laisse les laies, ça fait plus de petits. » Autres pratiques régulièrement pointée du doigt : le nourrissage (ou agrainage), le lâcher d’individus élevés en captivités, l’hybridation avec le cochon. Autant de pratiques que le décret ministériel n’aborde pas, ou à la marge. « Il y a une mesure contre les lâchers, mais c’est tout, regrette M. Granjon. On est déçu, c’est loin de ce qu’on souhaitait. »

« Je veux être libre d’aller et venir, ce qui n’est pas le cas en période de chasse »

Selon Yves Verilhac, directeur de la LPO, il s’agit donc d’une énième concession au lobby de la chasse. « Si le gouvernement voulait vraiment se concentrer sur les dégâts aux cultures, le texte ne concernerait pas les chevreuils, qui causent des dommages minimes, et encore moins les renards [1], qui mangent des micro-mammifères et sont des alliés des agriculteurs, dit-il. C’est donc bien un texte pour étendre les périodes de chasse. »

Juin et juillet sont précisément « un temps de redécouverte de la nature pour les gens qui se baladent, ajoute Yves Verilhac. Le partage de la nature, c’est important. » Dix personnes ont été tuées depuis le début de la saison de la chasse, à l’été 2019. L’année précédente, d’après l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, « le nombre total d’accidents de chasse relevés durant la saison [s’est élevé] à 131 », dont sept mortels (les victimes sont principalement des chasseurs). Et l’Office de préciser : « La très grande majorité des accidents mortels restent liés à un manquement aux règles élémentaires de sécurité et en particulier au non-respect de l’angle de sécurité de 30°, à un tir sans identification ou à une mauvaise manipulation de l’arme. » Les battues et les parties de chasse en milieu péri-urbain sont particulièrement pointées.

« Pour profiter de la nature pendant le confinement, faut-il devoir lui tirer dessus ? »

Sur le site de la consultation publique, nombre d’internautes ont fait part de leur crainte, à l’instar de cette citoyenne anonyme : « J’ai envie de me promener en toute tranquillité et sécurité. Je veux être libre d’aller et venir, ce qui n’est pas le cas en période de chasse. L’enjeu financier pour l’agriculture ne doit pas être un prétexte en faveur de cette chasse de loisir qui est très dangereuse pour les concitoyens. » Fanny, fille d’agriculteurs, pense aussi que si « la chasse est nécessaire, la régulation par les grands prédateurs n’étant pas suffisante, elle ne doit pas monopoliser l’espace naturel. La forêt et la montagne doivent rester accessibles sans crainte pour les gens qui ne chassent pas, au moins sur la durée de la saison estivale ! »

Le naturaliste Pierre Rigaux estime de son côté que la solution au problème du grand gibier pourrait être pensée à travers une approche agricole : « La plupart des dégâts concernent une minorité de zones et de cultures, notamment du maïs en monoculture. Si on développe une autre agriculture, avec des petites parcelles plus faciles à protéger, avec des productions moins attractives pour les sangliers, on pourrait sans doute limiter les dommages. » De son côté, David Pierrard pousse pour « remettre à plat les pratiques de chasse » : « Les chasseurs se font plaisir, mais il faut aller au-delà : nous devons faire évoluer les pratiques vers des méthodes de chasse plus efficaces, plus propres. Un écosystème en bonne santé, une biodiversité riche, on a tous à y gagner. »

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