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Agriculture

Grippe aviaire : le vaccin sauvera-t-il nos canards ?

Canards d'un élevage du Sud-Ouest.

La grippe aviaire touche les élevages français. Ni l’abattage de près de 2,5 millions de volailles, ni les désinfections, ni la claustration ne semblent l’enrayer. Émerge l’éventualité de la vaccination des palmipèdes. Mais elle ne fait pas l’unanimité.

Un vaccin pourra-t-il enrayer l’épisode de grippe aviaire, dont 2,5 millions de volailles seront abattues en France ? « Les travaux sur la vaccination se poursuivent », a certifié le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation dans un communiqué du 20 janvier. Cette inflexion de la stratégie du gouvernement date de l’an dernier, avec déjà le constat que les mesures de contrôle, d’isolement, d’abattage, « si elles sont nécessaires sur certains territoires, ne sont pas suffisantes », dit à Reporterre Jean-Luc Guérin, professeur à l’École vétérinaire de Toulouse et spécialiste en pathologies aviaires.

Le groupe de travail sur la vaccination, piloté par le ministère et composé de professionnels du secteur et de syndicats [1], suit donc pour le moment deux axes : l’évaluation de deux candidats vaccins — dont les noms et les entreprises qui les fabriquent sont pour le moment confidentiels — dans des conditions très encadrées, et la vérification de l’efficacité de la vaccination. « Il existe bien des vaccins contre l’influenza aviaire, d’ailleurs utilisés dans d’autres pays, mais seulement pour les poulets. La cible aujourd’hui ce sont les palmipèdes, en période hivernale, sur un territoire donné », précise Jean-Luc Guérin. Le calendrier, avec la mise en œuvre des expériences encadrées, reste toutefois inconnu ; et l’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire (Anses), contactée par Reporterre, n’a pas répondu à nos questions.

Préserver les exportations

La question du vaccin est complexe. Elle réside notamment dans la volonté de ne pas impacter les exportations des autres branches de la filière volaille, dont le poids est plus important que la branche palmipède. Avec la maladie de Newcastle, la grippe aviaire est la seule à devoir obéir à des règles internationales drastiques posées par l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et suivies par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’OIE oblige les pays exportateurs à prouver qu’ils ne sont pas touchés par le virus. Or vacciner, c’est admettre que le H5N1 est présent dans les élevages français. D’où la tentation jusqu’à présent d’éviter la vaccination et de préférer des mesures de biosécurité.

Car l’enjeu commercial est important. D’un côté, se trouvent les gros industriels de la filière poulet comme le groupe LDC [2], dont les installations sont loin des zones infestées et qui peuvent continuer à exporter sans se soucier de vacciner tout en gardant une image « propre » ; de l’autre, les petits producteurs de canards du Sud-Ouest gravement touchés. Les premiers n’ont pas intérêt à vacciner : ce serait admettre qu’ils sont touchés par le virus, donc impacter leurs exportations. Les seconds envoient leur foie gras vers quatre-vingts pays et ne pas vacciner, c’est arrêter leur activité (ou au moins, continuer les abattages, le vide sanitaire, etc.). Néanmoins, les exportations de poulets représentent environ vingt fois celles des exportations de canards, le poids des industriels du poulet est donc plus important dans les discussions.

Vacciner, pour ne pas changer de modèle

« Nous sommes satisfaits que la porte s’entrouvre, mais la vaccination ne réglera pas tout, certifie Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération paysanne, membre du groupe de travail sur la vaccination. On ne parle que des canards, et c’est une expérimentation, ce qui suppose un temps long avant l’application dans les exploitations. » Raison pour laquelle son syndicat avait signé cette feuille de route à la sortie de la précédente crise tout en ayant des réserves, notamment sur la claustration que le gouvernement souhaite maintenir, alors qu’elle n’est pas nécessaire s’il y a prophylaxie.

L’éventualité de vacciner pourrait également servir de « cache-misère », selon Sylvie Colas, porte-parole de la Confédération paysanne du Gers et éleveuse de volailles de chair vendues en direct sur les marchés locaux. « Le vaccin est un prétexte pour ne pas changer ce modèle industriel, maltraitant pour les animaux, catastrophique pour l’environnement et qui pose des problèmes de santé publique avec la propagation de maladies, regrette-t-elle. Pourtant, nos dirigeants et les industriels de l’élevage veulent continuer ainsi, quoiqu’il en coûte. Lors des discussions avec le ministère, sont présents l’Anses, les représentants de l’interprofessionnelle du foie gras, les grosses coopératives, la FNSEA, les vétérinaires, les chambres d’agriculture, le Modef-Confédération paysanne, mais jamais les consommateurs ni les associations de défense de l’environnement, alors qu’au fond, la question est bien celle de ce que nous mangeons. »

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