Incendie de La Teste-de-Buch : cessons d’accuser les écolos

Un pompier tentant de maîtriser l'incendie à La Teste-de-Buch, le 13 juillet 2022. - © AFP/Thibaud Moritz
Un pompier tentant de maîtriser l'incendie à La Teste-de-Buch, le 13 juillet 2022. - © AFP/Thibaud Moritz
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Forêts IncendiesAccuser les écologistes dans l’incendie de la forêt usagère de Gironde, comme le font certains internautes, est une « aberration », défend l’auteur de cette tribune. Au contraire, son statut unique a permis de la préserver.
Paul Devin est président de l’Institut de recherches de la FSU. Originaire d’Arcachon, il connaît bien la forêt de La Teste-de-Buch, son histoire et les luttes de défense dont elle a été l’objet.
Les réseaux sociaux se livrent à une inquiétante cabale qui voudrait laisser croire que la forêt usagère de La Teste, en Gironde, a brûlé parce que des actions écologiques auraient empêché son entretien. Cela constituerait, proclament leurs tweets parfois particulièrement violents, la preuve de l’ineptie d’un combat écologique radical et intégriste, obsédé par la préservation d’une nature sauvage, mais incapable de prendre en compte les réalités.
Ceux qui ne connaissent des forêts landaises que les pinèdes et leurs alignements rectilignes ne peuvent pas imaginer ce qu’était la « Grande Montagne » qui constituait l’essentiel de la forêt usagère de La Teste et que l’incendie toujours en cours a détruit en très grande partie. Ces dunes côtières couvertes de végétation étaient le témoin de plus de deux mille ans d’interactions entre nature et activités humaines. Le paysage singulier des reliefs boisés de cette forêt, la variété de ses espèces d’arbres, les vestiges de l’ancienne activité résinière, la richesse de sa biodiversité en faisaient un lieu exceptionnel.
Cette richesse naturelle était liée au statut de forêt usagère [1] [une forêt originelle qui se régénère naturellement depuis des siècles ; ici sur 3 650 hectares], qui empêchait une exploitation économique de la forêt, puisque si les parcelles et le droit d’exploitation de la résine relevaient de la propriété privée, les arbres étaient propriété collective des « usagers », c’est-à-dire des habitants des communes voisines [Aux XIXe et XXe siècles, les habitants ont obtenu des droits d’usage permettant notamment de prélever du bois pour leurs besoins propres ; désormais « les ayant Pins » sont les propriétaires de parcelles]. Un tel statut avait permis de faire perdurer une régénération naturelle dans une région où le massif forestier, destiné à la production de bois, est produit par plantation ou semis.

Jusque dans les années 1970, l’exploitation de la résine a constitué, pour les propriétaires, un revenu qui n’existe plus. Face à cette perte financière, certains d’entre eux aimeraient jouir à leur guise de l’exploitation du bois en transformant la forêt en futaie régulière, régulièrement coupée et replantée, et centrée sur la production sylvicole. Mais les mesures de protection (site classé, ZNIEFF, SIC [2]) et le statut juridique spécifique avaient permis de résister à ces perspectives pour que perdure la seule forêt naturelle de cette importance dans les Landes de Gascogne.
La faute à l’écologie ?
Une déferlante d’accusations simplistes, notamment sur les réseaux sociaux, a récemment accusé les écologistes d’être responsables de l’incendie récent qui a ravagé cette forêt. Le délire est tel qu’une rumeur totalement fausse s’est développée, annonçant que l’origine de l’incendie serait un véhicule électrique, ce qui constituerait un signe supplémentaire de la responsabilité écologiste ! Or, la consultation de la presse locale, photos à l’appui, et la mise en ligne de vidéos filmées par des témoins lève toute ambiguïté : le départ de feu a été causé par l’incendie accidentel d’une camionnette dotée d’un moteur thermique.
Mais, au-delà des faits, que signifient ces accusations ? Elles insinuent que l’écologie se limiterait à un simpliste retour à l’ensauvagement naturel du territoire, toute intervention humaine y étant refusée. Une telle attitude serait responsable de la propagation de l’incendie.

Il suffit de se documenter sur la forêt usagère de La Teste pour constater qu’il n’en est rien. Des propositions sont faites depuis les années 1980 pour tenter de trouver l’équilibre capable de préserver le site. En 2012, Natura 2000 a permis l’élaboration d’un diagnostic concerté avec les acteurs du territoire et la définition d’objectifs basés sur des contrats financés et l’adhésion volontaire à une charte.
Si les actions prévues privilégient la régénération naturelle, elles n’excluent aucunement les interventions humaines raisonnées et justifiées par une finalité de préservation des habitats et des espèces : élimination d’espèces invasives, abattages ponctuels, débroussaillages et même plantations ou semis. Nous sommes loin d’une stratégie de sacralisation absolue du sauvage qui refuserait toute forme de gestion humaine, mais seulement dans le refus déterminé que la forêt usagère soit livrée à la monoculture du pin maritime. Des luttes ont d’ailleurs été nécessaires pour empêcher les coupes illégales ou éviter que des parcelles deviennent des lotissements.
« Accuser les luttes pour la préservation de forêts naturelles est une aberration »
Ceux qui profitent du drame de l’incendie de la forêt usagère de La Teste pour se livrer à un écolo-bashing violent se rendent-ils compte de la folie insensée de leurs propos ? À raisonner sur un mode binaire, qui voudrait considérer l’écologie comme partisane d’une absolue non-intervention et donc lui préférer la poursuite d’une domination économique des espaces naturels, ils contribuent à faire obstacle aux indispensables prises de conscience.
La raison majeure du développement des incendies de forêt reste notre incapacité politique à décider les modifications économiques et sociales qui permettraient de réduire le réchauffement climatique. Accuser les luttes pour la préservation de forêts naturelles et contre leur transformation en forêts plantées est donc une aberration, d’autant que ces forêts naturelles contribuent justement à freiner le changement climatique et à maintenir la biodiversité.
C’est pourquoi d’autres luttes seront encore nécessaires pour que la forêt usagère de La Teste détruite par le feu ne soit pas livrée aux appétits économiques, avides d’en faire une forêt de monoculture du pin. Car il faudra encore la préserver pour que sa régénération lui permette de redevenir le lieu exceptionnel qu’elle doit rester par la singularité de ses paysages et la richesse de sa vie naturelle.