« Je n’ai jamais connu ça » : en Gironde, la vie à côté du brasier

Des riverains regardent la fumée sur Cazaux, à La Teste-de-Buch, le 14 juillet 2022. - © AFP/Thibaud Moritz
Des riverains regardent la fumée sur Cazaux, à La Teste-de-Buch, le 14 juillet 2022. - © AFP/Thibaud Moritz
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Forêts Climat IncendiesDeux feux ravagent les forêts de Gironde depuis le 12 juillet. Ils continuent leur progression, mais les évacuations et l’entraide des habitants sont légion.
Landiras (Gironde), reportage
Depuis le 12 juillet, les chiffres ne cessent de tomber : 2 000 hectares brûlés, puis 2 700 le 13 juillet, 5 300 hectares le jour suivant, pour finalement atteindre plus de 7 300 hectares cumulés sur les deux foyers. Et le décompte n’est pas prêt de s’arrêter, selon le maire de Landiras, Jean-Marc Pelletant : « Le feu n’est toujours pas maîtrisé, pas fixé. Ça va durer. » La commune dont il est à la tête est le point de départ de l’un des deux incendies qui parcourent les forêts de Gironde. Alors que l’espoir d’une résolution rapide s’éloigne, elle se prépare à devoir tenir des jours avec la forêt embrasée à proximité.
C’est dans cette même commune, dans un hameau face aux pins, que Sébastien Lafue fixe du regard les colonnes de fumée qui s’échappent des bois. Bras croisés, accompagné de ses voisins, il plaisante sur ses nouvelles compétences de spécialiste incendie acquises sur le tas, en deux jours : « La colonne était plus distincte toute à l’heure », commente-t-il en ce début d’après-midi du 14 juillet.

C’est à 500 mètres de là que le feu a pris deux jours plus tôt. Les habitants ont plusieurs fois cru que l’ordre d’évacuer allait tomber. Mais depuis deux jours le feu a décidé de les épargner. Le hameau voisin, à quelques centaines de mètres de chez lui, n’a pas eu cette chance. Les dix maisons habitées ont reçu jeudi midi la visite de trois gendarmes avec en toile de fond la fumée qui se rapprochait. Une valise ou deux à la main, les personnes ont rejoint leur voiture pour quitter les lieux.
Pour la plupart des habitants des communes voisines, la valise est prête depuis le départ des feux. Au cas où. Dans le hameau où vit Sébastien, un propriétaire a commencé à évacuer ses chevaux. L’odeur de fumée sature l’air, rendant possible l’imminence d’un ordre d’évacuation.

Évacuations et organisation
Car des habitants évacués, il y en a eu des centaines à Landiras et des milliers sur l’autre foyer, à La Teste-de-Buch, dans le bassin d’Arcachon, principalement des campings, et la ville de Cazaux.
La totalité du village de Guillos fait figure d’œil du cyclone du côté de l’incendie parti de Landiras. Cernée par les flammes, la commune n’est plus accessible. Seuls les pompiers et des élus locaux se rendent encore sur place dans l’objectif de sauver les habitations. Le maire du village d’Origne, Vincent Dedieu, fait partie des élus qui ont continué de franchir les panneaux « route barrée ». Il a fait un saut dans sa mairie jeudi après-midi. Son village était d’un calme absolu, plombé par une épaisse nappe de fumée et une chape de chaleur. « Certaines familles ont pris des dispositions pour partir, chez de la famille, des amis. Les autres sont cloîtrés, non pas à cause de la canicule, mais de la fumée. » Son village a finalement été évacué quelques heures plus tard, dans la nuit.

Si l’origine du départ du feu est encore inconnue, Vincent Dedieu avance des causes plus profondes, « les fortes chaleurs, le manque d’eau et le fait que nous vivons en terrain propice. Je n’ai jamais connu un tel feu. Même certaines personnes âgées ou des professionnels du secteur ont été impressionnés ». Il formule l’espoir que cela serve de détonateur : « Au niveau du climat, on doit prendre conscience qu’il se passe quelque chose ! »
Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) alerte en effet sur le risque accru de phénomènes exceptionnels comme celui qui ravage actuellement les forêts girondines.

« Ils étaient prêts et courageux »
Des renforts de pompiers sont venus de nombreux départements. Dans la salle polyvalente de Landiras, mise à disposition par la mairie, ils peuvent se restaurer et se reposer avant de repartir combattre les flammes. Des pompiers venus de Haute-Garonne se retrouvent à couper des tomates pour le repas du jeudi midi.
Le caporal-chef Maxime Redant et ses collègues viennent tout juste d’apprendre qu’ils ne repartiront pas à 12 heures comme prévu. « Normalement, on est mobilisés pour intervenir sur l’arc méditerranéen, la Gironde ne fait pas partie de notre secteur. » Appelés en renfort face à la gravité de la situation, ils ne devaient pas rester longtemps. Mais, à quelques kilomètres de là, des flammes attisées par le vent en ont décidé autrement. On a encore besoin d’eux sur place.

Dans les mairies, les élus déplorent aussi le manque de moyens. « On fait des économies de bout de chandelle, on n’a pas suffisamment de Canadair, de Dash… Et à côté de ça, on veut mettre des milliards dans la LGV », dit Jean-Marc Pelletant en référence à la ligne à grande vitesse. Les communes traversées par les flammes sont en effet sur le tracé prévu et affichent leur opposition au projet.
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La solidarité entre les habitants s’organise. À Cabanac-et-Villagrains, où quelques quartiers ont été évacués, un homme vient se manifester à l’accueil de la mairie pour proposer un hébergement. L’agent d’astreinte note ses coordonnées. L’un des employés municipaux a été évacué et a trouvé refuge chez son beau-père. « Les habitants sont costauds, se réjouit la maire, Anne-Marie Caussé. Quand on a dû évacuer, ils étaient prêts et courageux. Il y a beaucoup d’entraide. Presque tout le monde est allé dans la famille ou chez des amis, mais les communes environnantes ont aussi proposé de l’aide. »