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Intimidations, agressions… Quand les chasseurs font leur loi

Vendredi 11 septembre se tient le procès d’un chasseur, poursuivi pour violence, au tribunal de Draguignan. En 2019, il a agressé une femme parce qu’elle lui demandait d’arrêter de chasser près de sa propriété. Un cas loin d’être isolé : les associations constatent une augmentation de la violence envers les militants et les riverains anti-chasse.

  • Actualisation — Vendredi 9 octobre — Aujourd’hui se déroule le procès du deuxième agresseur de Nathalia Covillault.

  • Article du 11 septembre 2020

« Ça fait un an qu’on est exilés. » D’une voix enrouée, Nathalia Covillault essaie de trouver ses mots pour exprimer sa douleur. Il y a dix mois, cette femme de 38 ans a été agressée par deux chasseurs, chez elle, à Forcalqueiret, dans le Var. Elle habitait sur son terrain depuis plusieurs années, dans une caravane, en compagnie de ses chevaux et de sa chienne, ses chats et ses poules. Le lieu avait été inscrit en tant que « Refuge LPO », pour y interdire la chasse. « J’avais remarqué beaucoup d’espèces d’oiseaux différentes sur mon terrain. Je voulais en faire un petit jardin d’Éden et le protéger au maximum », se souvient-elle.

Le doux rêve de Nathalia a volé en éclats le 15 novembre 2019, lorsqu’elle a demandé à deux hommes qui chassaient près de sa propriété de s’en aller. En quelques minutes, l’altercation a dégénéré. L’un d’eux, furieux que Nathalia les filme (sur un conseil du garde-chasse de Forcalqueiret), s’est rué sur elle, a frappé sa main pour la faire lâcher son téléphone, l’a bousculée puis poussée au sol. « Ils m’ont traité de pute, de salope, raconte Nathalia, la voix teintée de colère. Ils ont menacé de tuer ma chienne et de “revenir fumer mes canassons”. C’est une phrase qui reste dans ma tête encore aujourd’hui. » Une fois les deux hommes partis, Nathalia a déposé plainte. Puis s’est retrouvée seule, terrifiée. « Je m’attendais à des représailles », explique-t-elle.



Trois semaines ont passé, avant qu’une bagarre n’éclate devant un bar de Forcalqueiret, impliquant le compagnon de Nathalia, un des chasseurs et le père de celui-ci. Deux jours plus tard, en pleine nuit, le père s’est introduit, armé, sur le terrain de Nathalia et a forcé la porte de son habitation. Paniquée, la Varoise et son compagnon se sont barricadés et ont attendu les gendarmes. À leur arrivée, une heure plus tard, l’homme avait disparu.

« J’ai peur de retrouver mes chevaux avec trois balles dans la tête »

« À partir de là, le cauchemar a commencé, souffle Nathalia. J’ai fait un gros blackout, je ne me souviens de quasiment rien. J’ai passé la nuit à faire des crises de tétanie. On est allés déposer plainte, mais je ne m’en souviens pas vraiment. De ce qu’on m’a raconté, mes animaux ont été éparpillés, des amis se sont débrouillés pour les accueillir chez eux. En 24 heures, on a déplacé notre habitation mobile, on a enlevé toute notre vie du terrain parce qu’on a senti que si on n’avait pas surpris ce mec armé chez nous... » Nathalia ne finit pas sa phrase. Depuis un an, « 10.000 scénarios » tournent dans sa tête. Et si elle avait été seule chez elle, que se serait-il passé ? Est-ce que l’homme voulait seulement les effrayer ? Ou réellement leur faire du mal ?

En tout, Nathalia a reçu 16 jours d’ITT, 16 jours où elle a été « clouée au lit, incapable de manger, traumatisée ». La jeune femme n’avait plus ses animaux ni sa maison, avait perdu ses repères et ne se sentait pas soutenue par les forces de l’ordre. Désespérée, Nathalia a tenté de mettre fin à ses jours. Elle a dû se faire hospitaliser pendant un mois.

Nathalia vit désormais chez des amis (avec ses animaux qu’elle a réussi à rassembler), à une centaine de kilomètres de Forcalqueiret. « Il n’y a pas un seul jour qui passe sans que j’ai envie de rentrer chez moi, soupire Nathalia. Mais j’ai peur de revenir, de m’absenter pour faire des courses et de retrouver mes chevaux avec trois balles dans la tête. J’attends que les personnes qui m’ont fait du mal soient punies par la justice pour être en confiance avec mon avenir. »

L’audience de l’homme l’ayant frappé sur son terrain est prévue aujourd’hui, vendredi 11 septembre, au tribunal de Draguignan. Celle de l’individu s’étant introduit chez elle la nuit aura lieu le 9 octobre 2020. Nathalia espère qu’ils n’auront plus le droit de porter d’armes, et que leur permis de chasse leur sera retiré. Le même jour, un autre procès de chasseur se déroulera, cette fois au tribunal correctionnel de Privas, en Ardèche. En août 2019, un homme de 22 ans a abattu le chiot de quatre mois de ses voisins, au motif que celui-ci aboyait trop fort et risquait d’effrayer le gibier, à quelques jours de l’ouverture de la chasse.

« J’espère que tu vas prendre un coup de fusil un jour »

Selon différents collectifs de défense des animaux, ces cas sont loin d’être isolés. L’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) recense de plus en plus de conflits entre habitants et habitués de la chasse. Elle énumère : en 2019, par exemple, des chasseurs ont tiré dans le jardin d’un éleveur de vaches en Ille-et-Vilaine. À Kerbors (Côtes-d’Armor), un riverain a été giflé et menacé de mort par des chasseurs venus sur son terrain. « Ça fait cinq ans que j’habite ici, cinq ans que je subis des agressions, témoigne l’homme, interrogé par Reporterre. J’ai perdu quinze kilos, ma famille ne me reconnaît plus. Pour moi, c’est une mafia française qui sème la terreur. » Il a porté plainte.

Fin août 2020, c’est tout un quartier de la ville de Saint-Amand-les-Eaux, dans le Nord, qui a été traumatisé par une partie de chasse. Celle-ci s’est déroulée sans interruption de 5 h 30 à 22 h. « C’était atroce, on se serait cru en période de guerre, raconte une habitante, citée par le journal local L’Observateur du Valenciennois [1]. Sous les yeux de nos enfants, nous avons assisté à un massacre en règle de 25 oies qui ne savaient plus dans quelle direction aller. Des plombs sont retombés sur les toits de nos maisons. » Quelques jours plus tard, des coups de fusil ont même été tirés vers les fenêtres d’une habitation. « Les gens se sont installés dans ce quartier car il est calme, et ils se retrouvent à avoir peur de sortir de chez eux », s’indigne Florence Masselot, déléguée locale du Nord à l’Aspas.

Chaque semaine, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) reçoit des messages de menaces sur ses réseaux sociaux.

Aux agressions physiques et aux craintes de se promener en période de chasse, s’ajoutent désormais les menaces reçues sur les réseaux sociaux. Le naturaliste Pierre Rigaux milite contre la chasse depuis vingt ans, et a toujours connu des conflits avec les chasseurs. « Depuis que j’ai une page Facebook, précise-t-il, ça a décuplé. Avec des menaces de mort et de violence sur les réseaux sociaux notamment. » Les messages reçus chaque semaine vont de « J’espère que tu vas prendre un coup de fusil un jour » à « On va l’éjointer [couper le bout de l’aile des oiseaux d’élevage afin de les empêcher de voler] lui, il va manger ».



La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) n’est pas épargnée. Des photos de guillotine lui sont parfois envoyées sur Twitter et Facebook. « Les menaces se sont radicalisées avec l’apparition des réseaux sociaux, témoigne Yves Verilhac, directeur général de la LPO. Mais c’est aussi une forme de laxisme des dirigeants cynégétiques et agricoles qui ne condamnent jamais les actes délictueux et les menaces. » À la place, la Fédération nationale des chasseurs (FNC) évoque sur son site internet un « chasse bashing » et propose un formulaire en ligne pour signaler « les violences morales, physiques et matérielles que les chasseurs subissent régulièrement ». Contactée, la FNC n’a pas répondu à notre demande d’interview.

« Le sujet n’est pas pris au sérieux »

Les poursuites judiciaires contre les chasseurs se produisent, mais rarement. « Il y a une impression que le sujet n’est pas très pris au sérieux par la justice », regrette Pierre Rigaux. En avril dernier, le naturaliste a été frappé par un chasseur, à quelques centaines de mètres de chez lui. À l’heure actuelle — cinq mois plus tard donc — l’agresseur n’aurait toujours pas été auditionné.

Souvent, les preuves viennent à manquer. « Ce qu’on dit aux riverains, c’est que leur premier réflexe doit être de sortir leur téléphone portable et d’allumer la vidéo, conseille Rodolphe Trefier, porte-parole du collectif Abolissons la vénerie aujourd’hui (Ava). Les images peuvent constituer des preuves. » L’association est notamment connue pour filmer des parties de chasse à courre. Les militants sont régulièrement gênés dans leur entreprise par des chasseurs qui les empêchent de tourner des images.

Plus que la pratique en elle-même, ce sont les sentiments de toute-puissance et d’impunité que des victimes dénoncent. « Je ne me considère pas comme une militante anti-chasse, je fais la part des choses sur le comportement de chaque individu, dit Nathalia Covillault. J’ai reçu beaucoup de soutien de la part de certains chasseurs sur les réseaux sociaux. Mes agresseurs sont surtout des voyous qui terrorisent les gens et les animaux. Ce n’est pas en payant un permis de chasse à 46 euros qu’on peut s’octroyer le droit de détruire des vies. »

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