J’ai suivi une formation à la désobéissance civile

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Libertés LuttesDe plus en plus de militants écologistes prônent la désobéissance civile. Il s’agit de réaliser des actions spectaculaires, non violentes, qui font mouche grâce à une organisation millimétrée. Notre reporter a observé un stage de formation à Paris.
- Paris, (reportage)
« Des soldats malgré nous, on tiendra jusqu’au bout, malgré tout, pour l’amour du grand tout, on restera, autant qu’il le faudra, sans haine, sans arme et sans violence, pour l’amour du vivant, on rentre en résistance. Voici venu le temps de la désobéissance ! »
Ces paroles de HK rappées vendredi 19 avril 2019 à l’occasion de l’action « la République des Pollueurs » donnent le ton. Ces derniers mois, la France a été traversée par de nombreuses actions de désobéissance civile non violente effectuées par des activistes écologistes. De quoi s’agit-il et comment se mijotent et s’organisent ces actions ?

Chacune est préparée en amont, avec rigueur, parfois pendant des mois. Repérages, bases arrières, évaluation des risques, budgétisation, formations, relation presse, l’action de désobéissance civique découle de méthodes rigoureuses, très axées sur la communication. Une personne, un rôle, c’est la règle. Coordinateur, médiateur, porte-parole ou contact presse… il faut choisir. Pour éviter les fuites, seule l’équipe de coordination dispose de toutes les informations ; pour les autres participants, ce sera la surprise du lieu et du détail de l’action jusqu’au dernier moment. Mais cela ne semble pas inquiéter les principaux intéressés : « Ne pas savoir c’est hyper excitant, hyper motivant ! » nous dit Antoine, enthousiaste.
« L’action non violente est très inclusive, elle permet à des personnes de n’importe quelles capacités physiques de participer »
Le principe de la non-violence est posé par les organisations qui prônent la désobéissance civile et doit être strictement respecté. « L’action non violente est très inclusive, elle offre la possibilité à des personnes de n’importe quelles capacités physiques de participer et permet donc un mouvement de masse », explique Pauline Boyer, coordinatrice et formatrice à Action non violente-COP21 (ANV-COP21). « Les moyens d’une lutte déterminent les fins et la non-violence est ce que nous voulons pour le monde de demain ».
Pour se préparer à l’action, les néo-activistes doivent suivre une formation. Pauline Boyer, formatrice, transmet ce qu’elle sait sur les actions de désobéissance civile avec un large sourire. Elle enseigne le cadre de la non-violence, les rôles nécessaires au bon déroulement d’une action, la répression policière et les différents types de procédures juridiques. Ce mercredi 17 avril, une vingtaine de participants, plutôt jeunes, avec une mixité homme/femme quasi parfaite, l’écoutent attentivement. Les questions fusent quand on en vient au point juridique. C’est le moment pour les futurs activistes de se renseigner précisément sur ce qu’ils risquent en participant à une action. Une jeune femme avoue sa gêne : « Je trouve qu’on manque de temps pour réfléchir aux conséquences juridiques. » Réponse de Pauline Boyer : « Il faut y penser avant l’action. On peut aussi ne pas s’exposer en choisissant un consensus d’action plus soft mais ce qu’on fait ce n’est pas anodin, on s’expose, il faut y aller en connaissance de cause. »
Techniques de résistance face à une évacuation policière
D’où l’importance d’être bien informé de ses droits. La formatrice les éclaire : « Vous n’avez rien à déclarer, vous avez le droit au silence lors d’une garde à vue et c’est un point très important pour la ligne de défense de votre avocat. [...] Vous pouvez faire un refus d’ADN mais vous risquez un an de prison et 5.000 euros d’amende. Je vous conseille d’y réfléchir avant pour vous positionner le jour venu. C’est un choix politique. »
La formation dure trois heures. Après le stress généré par le point police/répression/poursuites judiciaires, les participants s’exercent dans l’euphorie à des techniques de blocage et de résistance face à une évacuation policière. « Imbriqués les uns dans les autres pour former une chenille, vous pouvez résister pendant des heures », assure Pauline.

Les participants sortent de l’exercice enthousiastes et confiants, comme en témoigne le débriefing où chacun exprime son ressenti. Ceux qui n’étaient pas familiers avec d’autres formes de militantisme soulignent à quel point celle-ci leur semble essentielle. « Je vais pourvoir prendre mes décisions en connaissance de cause », dit l’une, « ne plus me sentir seule, être armée », dit l’autre.
Gwenolé confirme : « J’ai appris des choses sur le déroulé d’une garde à vue, ça fait peur au début mais la formatrice a tellement pris le temps de répondre aux questions, de tout bien expliquer qu’au final ça rassure et ça motive ! Ça faisait longtemps que je voulais me former pour avoir un impact plus conséquent. Et je vais pouvoir accéder à d’autres formations pour continuer. » Les participants pourront, en effet, s’initier à un rôle spécifique (médiateur, communication, logistique, legal team, médic…) par la suite.
Tout au long de l’action, chacun sait ce qu’il a à faire. Des activistes effectuent l’action concrète, les médics soignent et rassurent pendant que les « peacekeepers » se font médiateurs : ils établissent un lien entre les personnes présentes lors de l’action et les forces de l’ordre, et veillent à l’interdiction formelle de toute violence physique ou verbale ou toute forme de dégradation non consentie par les organisateurs.
Ne pas laisser le monopole de l’information aux médias traditionnels
Car la non-violence est aussi affaire de stratégie de communication. Les activistes veulent donner « une bonne image », ne pas heurter les personnes qui subissent l’action ni ceux qui la découvrent via les médias. Pour les activistes, « toute action violente perd de son sens. Tu ne peux pas être communiquant et violent », dit Marc, activiste depuis peu. Pauline Boyer ajoute : « Si on casse une porte, l’attention des médias ne va porter que là dessus. Nous cherchons à maitriser notre message, à ce que l’attention ne soit pas détournée. » La volonté d’autogérer l’information, via l’auto-média, pour ne pas laisser le monopole de l’information aux médias traditionnels a donc un rôle central. « Ça nous permet de passer nos messages en maitrisant notre image, de mettre en avant le côté bon enfant, décalé, qui donne envie aux gens de nous rejoindre », dit Pauline Boyer. Ainsi, pendant les actions, une équipe se dédie à la communication et alimente le compte Twitter, Facebook et les pages web, en direct.

La question de l’image est aussi déterminante lors des arrestations et des procès. Là aussi, tout est filmé, fortement médiatisé. Les activistes cherchent à interpeller les autres citoyens, à souligner une situation d’anormalité. « Voir des policiers qui défendent une conférence Total qui a lieu dans un château c’est fort comme image », dit Pauline Boyer se référant au blocage du Palais Beaumont, à Pau, en 2016 dans lequel avait lieu le sommet pétrolier MCE Deepwater Development.
Chaque action peut avoir des conséquences sur les activistes qui agissent à visages découverts. De la garde à vue au procès, c’est le moment où l’équipe qui soutient les personnes confrontées à la répression policière et judiciaire, la legal team, s’active. « Le fait d’aller au tribunal pousse d’autres personnes à s’indigner. Car se prendre un procès pour avoir volé des chaises ou des cadres Ikea à 8€90 dans le cadre des réquisitions des portraits d’Emmanuel Macron, c’est ridicule », affirme Pauline Boyer. De plus, ces procès sont l’occasion de faire passer un message. C’était le cas, par exemple, lors des procès des faucheurs de chaises en 2015. Des activistes avaient réquisitionné le mobilier des agences bancaires BNP pour dénoncer l’évasion fiscale. Leur procès avait lieu à Dax. Pendant ce temps, à l’extérieur du tribunal, plus de 2.000 personnes assistaient à des tables rondes, à des ateliers sur des alternatives pour financer la transition écologique.
Les actions de désobéissance civile ne sont pas nouvelles mais ont suscité un regain d’intérêt ces dernières années auprès du mouvement climat et séduisent de plus en plus de néo-activistes lassés par l’inefficacité des marches pour le climat et des pétitions. « Aujourd’hui, plus j’avance plus j’ai envie d’en faire plus car la situation s’aggrave, et je ne pense pas que ce soit avec des manifs’, des pétitions ou Europe Écologie-Les Verts qu’on va réussir la transition énergétique », dit Gwenolé. « Ici, il y a un cadre avec des gens qui ont un fort capital militant, des garanties de représentation juridique, un suivi média, tout un ensemble qui fait que je peux y aller avec confiance, les yeux fermés et avec envie », conclut Antoine.