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ReportagePrésidentielle

Jadot pragmatique et Rousseau radicale, le match de l’écologie

Yannick Jadot et Sandrine Rousseau lors des résultats du premier tour de la primaire écologiste, le 19 septembre 2021.

L’eurodéputé Yannick Jadot et l’économiste Sandrine Rousseau sont arrivés en tête de la primaire écologiste (très serrée), dimanche 19 septembre. Ils ont respectivement recueilli 27,7 % et 25,14 % des suffrages. Récit d’une soirée très surprenante, qui secoue le paysage politique.

Paris, reportage

C’est sur un pont parisien, bloquant la circulation des automobilistes, que Yannick Jadot et Sandrine Rousseau se sont retrouvés, quelques minutes après la proclamation des résultats. Sous les caméras et les perches des micros, ils se sont solennellement serré la main. La vice-présidente de l’université de Lille l’a assuré : « Vous avez devant vous le ou la future présidente de la République. Que le ou la meilleure gagne ! »

Dimanche 19 septembre, les plus de 100 000 électeurs à la primaire écologiste — un record ! — ont hissé l’eurodéputé Yannick Jadot et l’économiste Sandrine Rousseau en tête du scrutin, censé désigner le candidat vert à l’élection présidentielle. Ils ont recueilli respectivement 27,7 % et 25,14 % des suffrages, et s’affronteront lors du second tour de la primaire, du 25 au 28 septembre.

Chez Europe Écologie—Les Verts (EELV), la direction s’attendait à un duel final entre Yannick Jadot et le maire de Grenoble, Éric Piolle. Mais celui-ci n’est arrivé qu’en quatrième position, avec 22,29 % des voix, derrière l’ancienne ministre de l’Écologie Delphine Batho (22,32 %). Les scores des quatre premiers étaient serrés, Jean-Marc Governatori, conseiller municipal de Nice et fervent défenseur d’une « écologie du centre », étant quant à lui marginalisé avec 2,35 % des voix.

Yannick Jadot, le seul rassembleur ?

« Responsabilité. » Ce mot, Yannick Jadot l’a répété à l’envi après la proclamation des résultats. « Je reste concentré pour ce second tour, je suis évidemment très heureux du vote du premier tour et je vous le dis : on a une responsabilité extraordinaire, nous, les écologistes, a-t-il déclaré devant la foule amassée dans la petite salle du Pavillon des canaux (Paris XIXe). On ne peut pas s’offrir un quinquennat de plus d’Emmanuel Macron. » Plus tard, devant le Hang’Art, le bistrot où ses soutiens étaient rassemblés depuis 16 h 30, rebelote : « On va continuer à convaincre, on va continuer à démontrer que l’écologie est la seule alternative enthousiasmante. On a la responsabilité de gagner. » Des salves d’applaudissements et des « Yannick ! Yannick ! Yannick ! » ont salué ces déclarations.

Matthieu Orphelin, député du Maine-et-Loire, soutien de Yannick Jadot. © Émilie Massemin/Reporterre

Très vite, le candidat s’est éclipsé « pour travailler », a indiqué Matthieu Orphelin, qui soutient Yannick Jadot, à Reporterre. Autour de lui, sur l’esplanade de sable face au Hang’Art, les conversations, analyses des résultats et pronostics allaient bon train. Une bière à la main, le député écologiste du Maine-et-Loire s’est attardé près des péniches qui oscillaient doucement sur les eaux calmes du canal de l’Ourcq, et a autant goûté la chaleur des derniers rayons de soleil automnal que la victoire de son candidat. Une courte tête d’avance, un second tour risqué où Yannick Jadot pourrait se faire dépasser par Sandrine Rousseau, identifiée comme plus radicale ? « Quand vous écoutez la FNSEA [1] ou le Medef [2], Yannick est vraiment “le” radical, a-t-il assuré. Il est dans l’action, mais assume aussi le fait de vouloir parler au plus grand nombre. Il ne faut pas oublier que pour être au second tour de l’élection présidentielle, il faut rassembler, parler au plus de citoyens et de citoyennes possible. »

Cette capacité à fédérer bien au-delà de son camp est un atout que lui ont reconnu nombre de ses soutiens présents sur place. Comme Morgan Jasienski, coresponsable de la commission immigration d’EELV et fondateur de la commission prévention, sécurité et tranquillité publique. « Nous sommes encore sous la Ve République. Même si ce n’est pas notre came, il existe une personnalisation du pouvoir et Yannick Jadot est le mieux armé pour l’emporter et fonder enfin la VIe République », a estimé le jeune homme, un tote-bag aux couleurs arc-en-ciel de la communauté LGBTQI à l’épaule. Avant de saluer les prises de position passées de son candidat : « Au Parlement européen, il a défendu avec constance l’accueil inconditionnel des personnes migrantes. Certes, sa participation à la manifestation des policiers [le 19 mai dernier] a été critiquée, mais les conditions de travail désastreuses dans la police sont un véritable problème à régler pour pouvoir lutter contre les violences policières. Dans une interview à la revue Têtu, il s’est aussi montré très attentif aux conditions de travail des travailleuses et travailleurs du sexe. »

Dina Deffairi-Saissac, Abdallah Benbetka et Sarah Bougrab, soutiens de Yannick Jadot. © Émilie Massemin/Reporterre

Pour Dina Deffairi-Saissac, conseillère municipale à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) et militante EELV, Yannick Jadot est en outre le seul candidat à vraiment s’intéresser aux quartiers populaires. « À Saint-Ouen, nous avons de nombreux points de deal fréquentés par des acheteurs qui ne sont pas du quartier. Cela entraîne violences et déscolarisation, a-t-elle raconté. Yannick Jadot a une connaissance fine de ces dossiers, et plaide pour la légalisation du cannabis. C’est une écologie de terrain, qui ne s’adresse pas seulement aux CSP + [classes socioprofessionnelles supérieures]. » 

Sarah Bougrab, avocate et adhérente à EELV à Saint-Ouen, quant à elle, l’a affirmé carrément : « Yannick Jadot est accusé de macron-compatibilité parce qu’il est le seul à être présidentiable. Sandrine Rousseau a fait une très bonne campagne, mais il ne s’agit plus d’être un parti d’opposition ; il faut maintenant avoir de l’ambition. »

Yannick Jadot à Paris, le 30 août 2021. © Mathieu Génon/Reporterre

Un partisan de Sandrine Rousseau : « Si notre prochain président n’est pas radical, on ne pourra pas faire face au changement climatique. »

Ils ne comprenaient pas cet argument de « Jadot rassembleur », les électeurs de Sandrine Rousseau. Rassemblés dans un autre bar du XIXe arrondissement, reconnaissables à leurs foulards et badges rouges à pois blancs (allusion à l’icône féministe Rosie la riveteuse), les soutiens de la candidate mettaient en avant les atouts de leur candidate. « Elle rassemble de nombreux éloignés de la vie politique, au-delà de la gauche », estimait Antony, étudiant en science politique. « Dans l’équipe de campagne, trois quarts des bénévoles sont des gens qui n’allaient plus voter ! » abondait son ami Jean-Baptiste. Alors qu’on ne vienne pas leur dire que Yannick Jadot serait le plus à même de fédérer les Français pour combattre la droite et l’extrême droite.

« Rassembler des étiquettes politiques ne suffit pas, a déclaré Thomas Portes, porte-parole de Sandrine Rousseau. Elle n’a pas vocation à rassembler l’appareil politique, mais plutôt les milliers de gens humiliés, méprisés depuis des années. » « Sandrine Rousseau est plus proche de la société que du champ politique, a poursuivi la conseillère de Paris Alice Coffin. Choisir Yannick Jadot, c’est refaire un Macron ! Ils sont différents bien sûr, mais si on ne change pas les pratiques politiques et les gouvernants, rien ne changera. »

Sandrine Rousseau, à Paris, le 1er septembre 2021. © Mathieu Génon/Reporterre

Or Sandrine Rousseau l’a promis à maintes reprises durant la campagne : elle veut une écologie de « rupture », « radicale », pour lutter contre le changement climatique et transformer les dominations sociales. Revenu universel, lutte contre les violences faites aux femmes, contre le racisme et l’homophobie, contre les violences policières... « Moi qui viens d’un milieu populaire, son discours me prend aux tripes, confiait Lydie Raer, conseillère municipale d’Ivry-sur-Seine. Elle ne fera pas d’écologie en oubliant le social. » « Ce résultat [du premier tour] n’est une surprise que pour les personnes qui n’ont pas saisi ou qui n’ont pas voulu voir les évolutions de la société », a déclaré Sandrine Rousseau après la proclamation des résultats.

C’est donc deux visions de l’écologie très différentes qui s’affronteront lors du second tour, du 25 au 28 septembre. Les électeurs (les mêmes qu’au premier tour) devront choisir entre une écologie pragmatique d’un côté, radicale de l’autre. Jean-Marc Governatori a d’ores et déjà annoncé qu’il soutiendrait Yannick Jadot, tandis que Delphine Batho et Éric Piolle n’ont pas souhaité donner de consigne de vote à leurs sympathisants. L’équipe de Sandrine Rousseau espère un report des voix en leur faveur — la décroissance portée par Batho et la justice sociale prônée par Piolle étant plus proches idéologiquement du programme de Rousseau. « Je ne sais pas encore pour qui je voterai au second tour, mais je penche un peu plus vers Sandrine Rousseau, confirmait Lucas, un électeur déçu de Delphine Batho, quelques minutes après l’annonce des résultats. Certains, comme Jadot, pensent qu’il faut jouer avec les cartes qu’on a sur la table pour agir ; d’autres, comme Rousseau, renversent la table. Je pense que si notre prochain président n’est pas radical, on ne pourra pas faire face au changement climatique. »

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