Delphine Batho, écolo anxieuse mais déterminée

Delphine Batho à Paris le 3 septembre 2021. - © Mathieu Génon/Reporterre
Delphine Batho à Paris le 3 septembre 2021. - © Mathieu Génon/Reporterre
Durée de lecture : 11 minutes
Présidentielle PolitiqueVenue de la gauche socialiste, ministre courageuse — et limogée — sous François Hollande, Delphine Batho veut redéfinir une écologie fondée sur la décroissance, le féminisme et la laïcité. Avec rigueur et compétence, mais aussi intransigeance, au risque d’irriter.
Reporterre publie chaque jour de la semaine le portrait et l’interview de l’un des cinq candidats à la primaire des écologistes, dont le premier tour se déroule du 16 au 19 septembre et le second du 25 au 28 septembre, en vue de la présidentielle de 2022. L’ordre de passage a été tiré au sort.
Paris (20ᵉ)
« Je ne cherche pas à devenir présidente de la République ! » L’exclamation a jailli alors que Reporterre lui demandait ce qui, dans son parcours, avait été le déclic de sa candidature à la primaire des écologistes. Son regard bleu perçant s’assurant que son message passe bien, Delphine Batho précise : « Je ne suis nullement taraudée par l’ambition d’un pouvoir personnel. Je suis candidate pour détruire le présidentialisme. Si j’y parviens, j’aurais fait mon devoir. »
Alors, le 5 juillet dernier, l’ex-ministre de l’Écologie de François Hollande, députée des Deux-Sèvres depuis 2013 et présidente de Génération écologie, âgée de 48 ans, est entrée dans l’arène. Elle a choisi des concepts forts en se présentant comme la candidate de l’écoféminisme et surtout de la « décroissance ». Au risque d’agacer chez les candidats des Verts qui ont prudemment évité ce terme de crainte d’effrayer les électeurs, et semblent aujourd’hui dépassés en radicalité par l’ancienne socialiste. « On me demande souvent si je n’ai pas peur d’utiliser ce mot. Mais moi, ce qui me fait peur, ce sont les inondations meurtrières à New York ou l’été cataclysmique que nous avons connu. J’assume totalement mon éco-anxiété donc non, un débat sur la solution ne me fait pas peur », assure-t-elle à Reporterre. Cette conviction que le salut n’est pas à chercher dans l’accroissement infini du produit intérieur brut (PIB) ne date pas d’hier : « Le découplage entre la croissance et la consommation de matières n’existe pas, plaidait-elle déjà en décembre 2019 en commission du développement durable. Si nous voulons aller au-devant d’un certain nombre de chocs et d’effondrements, nous devons au contraire organiser une décroissance volontaire. »
Sophie Haristouy, directrice d’établissement médico-social et animatrice de la commission écoféminisme de Génération écologie, salue un choix « courageux et lucide ». « Je me souviens d’une des réunions de lancement de la campagne d’Urgence écologie [1]. Nous étions partagés entre l’urgence de la situation, et l’idée qu’il fallait promouvoir une écologie joyeuse pour casser notre image d’écolos catastrophistes. Delphine a tranché en disant : “Les faits scientifiques sont là. Notre responsabilité est de nous lancer sans édulcorer.” Cette volonté de regarder la vérité en face, de la dire et de réfléchir à ce qu’on peut faire pour remédier à la situation, je ne la retrouve pas chez beaucoup de gens en politique. »

De fait, députée des Deux-Sèvres depuis 2007, Delphine Batho a participé à de nombreuses batailles écologistes pour « remédier à la situation ». En mars 2016, elle a obtenu l’interdiction des néonicotinoïdes — des pesticides tueurs d’abeilles qui ont été réhabilités par la majorité En Marche en octobre 2020. Mission d’information sur l’offre automobile française fondée en octobre 2015 suite au dieselgate, amendement interdisant l’exploitation du gaz de couche, propositions de loi avec François Ruffin pour l’interdiction de certains vols intérieurs et pour l’instauration de quotas carbone individuels afin de limiter l’usage de l’avion, amendements visant à abolir les privilèges des entrepôts de vente en ligne… Elle est une députée incontestablement active. La loi Climat, définitivement adoptée le 20 juillet dernier, est son dernier grand combat. « Cette loi renonce à toute forme d’action efficace face au réchauffement climatique », a-t-elle taclé en avril dernier dans les colonnes de Reporterre. Un mois après avoir déposé à l’Assemblée nationale sa « vraie » loi climat, élaborée avec le député Matthieu Orphelin, « cinq à huit fois plus efficace » que les mesures gouvernementales — mais que la majorité macroniste n’a bien sûr pas retenue.
« Au début de mon stage en 2014, Delphine Batho m’a donné ce conseil : "Quand on a une cause à défendre, on ne lâche rien. Si on ne peut pas entrer par la porte, on entre par la fenêtre ; si on ne peut pas entrer par la fenêtre, on entre par le vasistas" », se souvient Aloïs Gaborit, conseiller municipal à la mairie de Poitiers et vice-président du Grand Poitiers, qui fut son assistant parlementaire. Il se souvient d’une travailleuse acharnée, pointue sur ses dossiers, à la mémoire « impressionnante ». Mais ne serait-elle pas distante voire froide, sa blondeur frisée toujours tirée en un chignon strict ? « C’est qu’elle est concentrée à 100 % sur son travail et ses combats. Je l’aidais à préparer ses auditions quand elle était vice-présidente de la mission d’information commune sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, raconte l’élu à Reporterre. Elle connaissait les dossiers bien mieux que moi et était capable de me demander un article paru cinq ans auparavant, en me précisant le titre et le jour de publication. »
De fait, bien que ses propos aient été jalonnés de chiffres et de références à diverses études, sondages et publications, Delphine Batho n’aura pas sorti de carnet de notes pendant toute la durée de notre entretien — une heure et demie. Et aura ponctué les temps forts de coups légers du plat de la main, toute à sa détermination à convaincre.

« Elle est aussi d’une droiture extrême, poursuit M. Gaborit. Je me rappelle qu’une entreprise privée avait omis de signer le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique avant son audition. Elle a exigé que l’entreprise se mette en conformité et l’audition a commencé en retard. C’est la seule députée que j’ai vue faire ça. »
Son intransigeance lui a sans doute valu son portefeuille de ministre de l’Écologie, obtenu en juin 2012. Boulevard Saint-Germain, elle a tenté de mettre fin aux pollutions de l’usine d’alumine de Gardanne, refusé de signer un décret relevant le seuil d’autorisation pour les élevages porcins en dépit des pressions du ministère de l’Agriculture et de Matignon, lancé des états généraux pour la modernisation du droit de l’environnement afin d’essayer de contrer la dérégulation à l’œuvre. Las, elle a été limogée le 2 juillet 2013, après avoir qualifié de « mauvais » le budget 2014 lors d’une interview à RTL. Budget qui prévoyait une baisse de 7 % des crédits alloués à son ministère. De cette expérience, elle a tiré un livre, Insoumise (Grasset, 2014), dans lequel elle dénonce le poids des lobbies de l’énergie sur la politique du gouvernement.
Pour Dominique Bertinotti, qui fut maire socialiste du IVᵉ arrondissement de Paris et ministre déléguée à la famille de mai 2012 à mars 2014 sous François Hollande avant de quitter le PS en 2016 et de rejoindre Génération écologie en 2020, cette expérience n’en reste pas moins un atout pour la primaire des écologistes. « Elle est la seule à avoir l’expérience d’un travail ministériel. Elle a aussi l’expérience d’une campagne présidentielle, puisque nous avons elle et moi fait partie de la direction de la campagne de Ségolène Royal en 2006 et 2007 » Un moment fort et formateur, se souvient Mme Bertinotti. « Nous avons observé l’agressivité très forte que pouvait susciter la candidature d’une femme. Nous avons aussi beaucoup innové, en parlant de démocratie participative et en créant les cercles Désirs d’avenir, ce qui nous a valu d’innombrables moqueries. »
Des mobilisations lycéennes au Parti socialiste
C’est une autre caractéristique forte de Delphine Batho : la candidate n’est pas issue du sérail de l’écologie politique et n’est jamais passée par Europe Écologie — Les Verts (EE-LV). Présidente de la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL) dès 1990, membre de SOS Racisme [2], elle a été repérée en 1990 par Julien Dray à l’occasion d’un mouvement de grèves lycéennes contre Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation. Elle n’avait alors que le bac en poche — elle a rapidement abandonné la fac d’histoire — mais sa carrière politique était lancée. Elle adhèra au Parti socialiste en 1994 et a rejoint Dray, alors député de l’Essonne, au sein de la Gauche socialiste, le courant qu’il animait avec Jean-Luc Mélenchon et Marie-Noëlle Lienemann. Elle s’est ensuite spécialisée dans les questions de sécurité et est à l’origine du concept d’« ordre juste » défendu par Mme Royal pendant sa campagne.
« L’écologie fait partie de ma culture familiale, c’est un attachement presque charnel, précise-t-elle toutefois à Reporterre. L’écologie a d’abord été un espace personnel avant d’être politique. Plus tard, dans les débats internes au PS, en 2004, j’étais déjà l’une des rares militantes à être pour la Charte de l’environnement. »

De son passé socialiste, Delphine Batho conserve une vision des sujets régaliens qui détonne chez les écologistes. En mai 2021, elle a participé — de même que Yannick Jadot et Jean-Marc Governatori — à la manifestation de policiers devant l’Assemblée nationale. Son parti, Génération Écologie, a refusé d’organiser l’université d’été avec EELV, en raison notamment de l’intervention de la vice-présidente de l’Unef, qui porte le voile. Une application stricte de sa vision de la laïcité qu’elle assume « totalement », revendiquée comme résolument républicaine et anticommunautariste. « Organiser une formation sur l’engagement de la jeunesse avec la vice-présidente de l’Unef qui affiche ostensiblement ce symbole de façon volontaire, plutôt qu’avec Alternatiba ou Youth for Climate, ne correspond pas à mes valeurs, dit-elle à Reporterre. La laïcité est la liberté qui permet toutes les autres, le droit de penser par soi-même. Elle est aujourd’hui attaquée. »
Reste à savoir si Delphine Batho arrivera à convaincre les électeurs à la primaire. La formule n’est pas celle qu’elle espérait, elle qui rêve d’un « grand parti de l’écologie politique, qui dépasserait les organisations actuelles » et plaidait pour la formation d’une « équipe de France de l’écologie » en vue de 2022, comme son collègue Matthieu Orphelin. Las, l’initiative a périclité et M. Orphelin s’est rallié à Yannick Jadot. La députée des Deux-Sèvres s’est bien entourée de personnalités respectées, tel le philosophe Dominique Bourg, mais ne peut s’appuyer sur un parti fort et structuré. « Son problème est qu’elle ne fait pas partie de la bande EELV, explique un fin connaisseur des mouvements écologistes en France. Pire, elle a récupéré le parti Génération écologie, qui en est le grand adversaire depuis les années 1990. » Reste un indéniable succès d’estime sur lequel la candidate espère capitaliser. « Il n’est pas normal que l’écologie politique ne soit qu’à 10 % aux élections alors qu’elle devrait être autour de 20 %. Il n’est pas normal que notre progression soit plus lente que la fonte des glaciers, martèle la candidate. Les écologistes ont un cap de crédibilité à franchir, pour que les Françaises et les Français nous voient comme capables de diriger la France. C’est pourquoi, très humblement, je mets mon expérience à contribution, en espérant qu’elle sera utile au collectif. »