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« Je suis morte de peur » : en Italie, vive émotion après qu’un ours a tué un joggeur

Après la mort d’un joggeur dans la région du Trentin, l’inquiétude règne dans les villages. Des associations dénoncent une mauvaise gestion de la cohabitation avec les ours, et une instrumentalisation politique de la tragédie.

Caldes (Italie), reportage

« Si vous allez par là, faites attention à l’ours ! » avertissent deux petits garçons en indiquant le bois, avant d’enfourcher leur vélo et de remonter en trombe la rue menant au château. Depuis le 5 avril, le village de Caldes, dans le massif alpin italien, est en deuil. Ce jour-là, Andrea Papi, 26 ans, a été tué par une ourse brune, baptisée JJ4, alors qu’il courait dans les bois.

L’accident tragique a choqué le petit millier d’habitants du village trentin. « Je suis morte de peur », confie Patrizia Martini, une employée de banque de 50 ans, en regardant son chien laper l’eau de la fontaine. Même si depuis la capture de JJ4, le 18 avril, elle est légèrement rassurée.

En attendant que son sort soit décidé, l’animal a été placé dans le centre Casteller, près de Trente. Le seul en Italie à pouvoir enfermer des ursidés. Dimanche 23 avril, quelques centaines de personnes s’étaient réunies devant les grilles de la structure pour réclamer sa fermeture et la libération des trois ours détenus.

Des militants des droits des animaux organisent une manifestation devant le centre Casteller, près de Trente, le 23 avril 2023, où l’ours capturé JJ4, accusé d’avoir tué le coureur, est détenu. © Piero Cruciatti / Reporterre

À 50 kilomètres de là, dans les rues de Caldes, Mattia Giovannini, un agriculteur de 21 ans, et Alice Mondaini, une réceptionniste de 20 ans, rentrent d’une promenade près de la rivière. De passage pour le week-end, ils viennent d’un village voisin. Chez eux aussi les ours peuplent la nature alentour. D’ailleurs, ils ont appris à l’école les réflexes à avoir face à un plantigrade. Mais depuis la mort d’Andrea Papi, les jeunes ont revu leurs habitudes. Alice ne va plus seule dans le bois et Mattia a arrêté d’y passer des soirées avec ses amis. « Maintenant, je n’y vais que la journée », explique-t-il.

Des touristes se promènent dans les bois à Caldes, en Italie, le 24 avril 2023. © Piero Cruciatti / Reporterre

« C’était une tragédie annoncée »

La présence des ours bruns dans le Trentin remonte à la fin des années 1990. Lancé par le parc naturel Adamello Brenta, le projet européen Life Ursus prévoyait de réintroduire cette espèce en voie de disparition. Dix ours originaires de Slovénie y ont donc été relâchés, entre 1996 et 2004. Depuis cette date, le parc Brenta n’a plus de responsabilité dans la gestion de ces animaux, qui a été confiée aux autorités provinciales. Et aujourd’hui, on estime qu’il y a une centaine d’ours bruns sur le territoire.

« Personne ne sait vraiment combien ils sont, ils ne sont même pas surveillés », assure Isabella, une coiffeuse de 52 ans, en pointant l’endroit où, deux semaines plus tôt, une chèvre a été mangée par l’un d’eux. La mère de famille se souvient quand les ours sont arrivés : « On s’est demandé pourquoi on les mettait là. On ne nous a jamais sollicités. » À l’époque, un sondage avait toutefois été réalisé auprès de plus de 1 500 habitants du Trentin et 70 % d’entre eux y étaient favorables. « Ça aurait pu être un beau projet. Un bois sans ours, c’est comme une mer sans poisson. Le problème, c’est que la situation n’a pas été contrôlée », commente à son tour Armando Vallorz, 80 ans, natif de Caldes mais vivant à Vicence, en Vénétie.

L’annonce des funérailles d’Andrea Papi à Caldes, en Italie, le 24 avril 2023. © Piero Cruciatti / Reporterre

Un constat partagé par la plupart des habitants du village. Sur leurs balcons, certains ont même accroché des banderoles sur lesquelles ils réclament « Justice pour Andrea ». Comment ? En obligeant « ceux qui les ont mis là à prendre leurs responsabilités », défend Patrizia Martini. Et d’ici là, les villageois ne voient qu’une solution : réduire le nombre d’ours qui, selon eux, sont devenus trop nombreux.

Ce même argument est rabâché par Maurizio Fugatti, président de la province autonome de Trente et membre du parti d’extrême droite La Ligue, qui qualifie le projet européen « d’échec ». Il a d’ailleurs promis de transférer, ou si besoin d’abattre, soixante-dix ours.

La Une d’un journal de Caldes titrant : « Le gouvernement l’assure : les ours seront transférés ». © Piero Cruciatti / Reporterre

Francesca Manzini, porte-parole de la campagne StopCasteller, accuse ce dernier de « profiter de la colère et de la peur des gens — qui le sont à juste titre, car une personne est morte — pour faire sa campagne », en vue des élections locales prévues en octobre. Pour elle, l’accident mortel est le résultat d’une mauvaise gestion de la province et d’un manque de prévention. « C’était une tragédie annoncée », déplore-t-elle. « La politique passe par une communication émotionnelle plutôt que de résoudre la situation d’un point de vue scientifique », déplore Andrea Pugliese, président de l’association environnementale Legambiente Trente.

Et de fait, les experts du parc naturel Adamello Brenta ont jugé la proposition de Maurizio Fugatti irréalisable, lors d’une rencontre avec les maires du coin. Andrea Mustoni, zoologue au sein du parc et responsable à l’époque du projet Life Ursus, a insisté pour que les scientifiques soient de nouveau impliqués dans la gestion des animaux sauvages. Éliminer un ours dangereux « ne doit pas être tabou », mais d’abord « tous les moyens possibles doivent être poursuivis pour réduire le risque d’accidents », a-t-il déclaré.

Lors de la manifestation des militants des droits des animaux, le 23 avril 2023. © Piero Cruciatti / Reporterre

Panneaux, colliers GPS...

Des pistes ont d’ailleurs déjà été mises sur la table par les associations environnementales. Comme les couloirs fauniques, permettant aux ours de se déplacer malgré le fleuve et l’autoroute qui scindent la vallée, ou encore la surveillance avec les colliers GPS. « Il y a beaucoup d’endroits où il n’y a pas de poubelles anti-ours » permettant d’éviter d’attirer les plantigrades, soulève également Francesca Manzini.

Les bois de Caldes. © Piero Cruciatti / Reporterre

Le plus grand manquement, selon les associations environnementales et le parc Brenta, a été la carence d’informations. « Il y a encore des personnes qui promènent leurs chiens sans laisse dans un bois où il y a les ours. C’est un comportement à risque. Et ce n’est pas parce que les gens sont bêtes, mais parce qu’il faut leur expliquer », insiste Francesca Manzini. De fait, tous les experts insistent : l’ours brun est un animal discret et fuyant, surtout vis-à-vis de l’humain dont il a peur, mais qui peut devenir dangereux dans certaines circonstances.

Une militante des droits des animaux demande la libération des ours placés dans le centre Casteller. © Piero Cruciatti / Reporterre

Dans le train pour rejoindre la manifestation devant le centre Castelller, Franco, un retraité de 63 ans qui vit près de Caldes, a remarqué une vidéo qui informe sur le comportement à avoir face à l’ours. « Il y a aussi quelques panneaux sur les sentiers, mais il faudrait faire plus », assure-t-il. En 2016, la province a approuvé un plan de communication complet, auquel le parc naturel Adamello Brenta a participé, pour faire connaître et accepter l’ours sur le territoire à travers des rencontres, des formations... Mais en sept ans, le plan « n’a pas encore été entièrement appliqué », souligne Andrea Mustoni.

Pour Francesca Manzini, la cohabitation avec les ours est un long « défi » qui doit passer par un changement des mentalités. « On doit arrêter de considérer que nous sommes les seuls et uniques habitants de ce monde », conclut-elle.


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