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Présidentielle

« L’écologie de droite » existe-t-elle ?

Discours de Valérie Pecresse, candidate Les Républicains, à Paris le 3 avril 2022.

L’écologie, une réelle « préoccupation » pour Valérie Pécresse ? Défense du nucléaire, du productivisme ou des transports : zoom sur « l’écologie de droite » défendue par la candidate des Républicains.

« Je revendique d’appartenir à cette droite qui a fait de l’écologie une vraie préoccupation » : le 13 mars, Valérie Pécresse n’a pas lésiné sur sa salive pour convaincre de sa fibre écolo. Sur le plateau du « Débat du siècle », la candidate Les Républicains (LR) a défendu sa vision d’une « écologie des solutions, qui n’est pas décroissante ». Son programme en la matière, plus copieux que celui de ses prédécesseurs, messieurs Fillon et Sarkozy, défend le nucléaire, l’électrification massive des transports, la rénovation énergétique. Assiste-t-on à l’émergence d’une écologie de droite ?

C’est du moins ce que défend Olivier Blond dans un essai paru en mars dernier, Plaidoyer pour une écologie… de droite (Albin Michel). Ex-président de l’association Respire, qui lutte contre la pollution de l’air, cet enseignant en santé environnementale a rejoint les rangs de Les Républicains et fondé un groupe de réflexion, l’Institut Brunoy, sur le sujet. « L’écologie n’appartient ni à la gauche ni à la droite », affirme-t-il, dénonçant un « kidnapping des Verts ». Selon lui, le parti Europe Écologie-Les Verts (EELV) a peu à peu écarté tous les défenseurs d’une écologie « transpartisane », tout en favorisant les alliances avec le Parti socialiste (PS). Mais il le répète : « L’idée selon laquelle l’écologie est de gauche n’avait au début rien d’une évidence. »

Ancien secrétaire national des Verts devenu aujourd’hui soutien de Valérie Pécresse, Yann Wehrling approuve : « En France, l’écologie a avancé, non pas quand la gauche était au pouvoir, mais plutôt quand la droite était au pouvoir », estime-t-il, citant la Charte de l’environnement, adoptée sous Jacques Chirac, et le Grenelle de l’environnement porté par Jean-Louis Borloo, sous Nicolas Sarkozy.

« Si l’on en juge par les résultats, l’écologie de gauche existe moins que l’écologie de droite », juge M. Blond. Pour le politologue Florent Gougou, attention cependant à comparer ce qui peut l’être : « Il faudrait confronter ce qu’a fait la droite et ce qu’auraient fait les Verts ou La France insoumise à leur place, dit-il. Le bilan du Parti socialiste ne peut pas être assimilé à celui d’un parti écologiste de gauche, car les sociaux-démocrates n’ont jamais remis en cause le productivisme, et restent attachés à l’idée de croissance. »

« Les résultats sont insuffisants »

Les résultats de la droite au pouvoir ne sont d’ailleurs pas si reluisants. En 2012, alors que M. Sarkozy se présentait à sa réélection, le média Basta ! listait ses « quatre grandes arnaques écolos » : transport routier favorisé, énergies fossiles subventionnées, bio dénigrée, énergies renouvelables délaissées.

Même son de cloche fêlée à Libération : à la fin du quinquennat, « [il restait] plusieurs lois (OGM, Grenelle 1, Grenelle 2) et quelques réussites, mais le sentiment qui [dominait était] celui d’un rendez-vous lancé dans l’euphorie puis embourbé dans l’indifférence d’une droite qui s’est laissée influencer par les écolosceptiques ».

Valérie Pécresse lors du « Débat du siècle », le 13 mars 2022. © Mathieu Génon/Reporterre

Pour Olivier Blond, ceci peut s’expliquer par un désintérêt des électeurs de droite pour l’écologie, longtemps vue comme « anticapitaliste, subversive, ou au mieux baba cool ». En clair : pourquoi mener une politique environnementale si ça ne rapporte rien électoralement ? De fait, en la matière, les élus Les Républicains ont jusqu’ici plutôt brillé par leur inaction. Au Parlement, députés et sénateurs ont majoritairement voté en faveur de la réautorisation des néonicotinoïdes, et « n’ont pas soutenu les tentatives de fixer des conditions sociales et écologiques aux chèques en blanc du gouvernement Macron pour les entreprises polluantes pendant la crise du Covid », notait Greenpeace dans un communiqué.

En Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez passe pour un cancre du climat. En Pays de la Loire, la majorité de droite « a mis du temps à se réveiller », selon les associations écolos. Et en Île-de-France, dirigée par Mme Pécresse, « les résultats sont insuffisants », aux dires des ONG et de l’Observatoire régional climat énergie.

« Il y a eu des efforts de modernisation des transports collectifs ou encore des incitations financières pour utiliser des voitures ou du chauffage moins polluants, expliquait alors à Reporterre Muriel Martin-Dupray, coprésidente de France Nature Environnement Île-de-France. Il faut pourtant aller plus loin : il reste nombre de choses à appliquer au-delà des annonces. »

L’écologie inévitable... et technologique

La droite, résolument anti-écolo ? Olivier Blond n’y croit pas. À le lire, la donne aurait changé, et l’heure serait désormais venue pour Les Républicains de faire leur mue verte : « L’électorat s’est transformé, note-t-il, des militants plus jeunes sont arrivés [qui] ne partagent pas tous l’hostilité de leurs aïeux pour les écologistes. »

Les derniers scrutins — européens, municipaux, régionaux — ont en effet été marqués par une poussée d’EELV, notamment dans des fiefs tenus par la droite. La réaction, côté Les Républicains, a été plutôt verte… de rage : après les municipales de 2020, l’offensive médiatique conservatrice n’avait pas tardé, à grand renfort de « péril vert » et autres accusations d’« autoritarisme ». « Ils sont en train de perdre la bataille culturelle, estimait alors le politologue Simon Persico. Ils sont aigris et déçus. Les écologistes deviennent des opposants dangereux qui menacent leur position. »

Valérie Pécresse lors du « Débat du siècle », le 13 mars 2022. © Mathieu Génon/Reporterre

« Plus personne ne peut faire comme si la crise écologique n’existait pas, tous les partis politiques sont donc obligés de prendre position et de s’emparer du thème de l’environnement, estime Florent Gougou, qui réfute le terme « écologie de droite ». Il serait plus juste de dire que la droite a pris en charge la question de l’environnement. »

Poussée par la crise écologique montante — et la mobilisation citoyenne —, le parti Les Républicains n’a donc plus d’autres choix que de se verdir… à sa manière. Pour Olivier Blond, « le sujet n’est plus une défense de la nature, mais la protection d’un certain bien-être ».

Au programme : véhicules électriques, avions à hydrogène, réacteurs nucléaires...

Pollution de l’air, alimentation saine et lutte contre le bruit seraient ainsi les fers de lance d’une écologie de droite. Avec un objectif électoral, que M. Blond ne cache pas : capter le vote des citadins CSP+, ceux-là même souvent taxés de « bobos » par les conservateurs. Deuxième caractéristique de cet environnementalisme sauce LR : la croyance dans le solutionnisme technologique. « L’enjeu n’est plus une diminution progressive de la consommation, mais une transformation radicale de la production », écrit Olivier Blond. Véhicules électriques, avions à hydrogène et autres réacteurs nucléaires nouvelle génération : le programme de Valérie Pécresse mise à fond sur « l’innovation » et la réindustrialisation de la France pour répondre au défi climatique.

« Pour décarboner la France d’ici à 2050, il n’y a pas trente-six solutions, insiste Yann Wehrling. Ça passe par des économies d’énergie, mais ça ne suffira pas. Il faut électrifier les usages, passer dans les grandes métropoles à des mobilités électriques, changer les chauffages individuels du gaz à l’électrique. On n’y coupera pas, et donc, on ne peut pas se passer du nucléaire. »

Plusieurs organisations, telles l’Agence de la transition écologique (Ademe) ou Négawatt, ont cependant montré qu’il était possible de viser la neutralité carbone tout en sortant progressivement du nucléaire. Quant aux conséquences écologiques de ces technologies, Valérie Pécresse assume : « Il faut hiérarchiser les priorités écologiques, a-t-elle estimé lors du « Débat du siècle ». Pour moi la priorité, c’est le zéro carbone. » Sous-entendu, la préservation du vivant attendra.

Capitalisme et productivisme non remis en cause

Las, les analyses de programmes effectuées par moult organisations convergent : le programme de la candidate LR ne permettra pas de tenir nos engagements climatiques. D’après le Shift Project, le projet de Mme Pécresse reste ainsi « très éloigné » des objectifs fixés par la Stratégie nationale bas carbone. « Sans stratégie claire présentée, la capacité pour la candidate d’atteindre son objectif de neutralité carbone interroge », écrivent les Shifters, soulignant notamment sa politique agricole, qui n’aborde pas « le changement des pratiques nécessaire à la préservation des sols et la réduction des émissions [et] la baisse de la consommation de produits carnés ».

Le Réseau Action Climat (RAC) voit aussi rouge : les mesures proposées « ne sont pas à la hauteur des enjeux », dit-il. Pour Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace, la droite ne peut être écolo tant qu’elle « refuse de faire de la lutte contre le dérèglement climatique une priorité, en transformant en profondeur le système économique et les secteurs polluants », indiquait-il dans un communiqué.

Florent Gougou distingue ainsi « deux lignes de fracture » entre partis de droite et de gauche sur l’écologie. D’une part, « la remise en cause du système capitaliste, productiviste » : « À droite, on considère qu’on peut résoudre la crise écologique au sein du système actuel, tandis qu’à gauche, on estime que le capitalisme est le problème », résume-t-il.

« Elle parle d’environnement, mais ce n’est pas au sommet de ses priorités »

Autre clivage, le rapport à l’État : tandis que la droite libérale parie davantage sur l’incitation, rejetant toute forme de taxation, la gauche mise sur la régulation par la puissance publique et la fiscalité écologique. C’est ce qu’a analysé l’institut I4CE : « L’opposition [de Mme Pécresse] à “l’écologie punitive” se traduisant par une stabilité du cadre réglementaire et fiscal actuel, elle préfère faciliter l’accès [pour les ménages et les entreprises] à l’emprunt et mobiliser l’épargne privée avec notamment un “Livret vert”, détaille l’institut. Est-ce suffisant ? On peut en douter. »

Dernière limite, et non des moindres, d’une écologie de droite : l’importance donnée au sujet. Car Les Républicains sont bien plus prompts à crier à l’insécurité qu’à l’urgence climatique. « Une des principales différences entre le programme de Mme Pécresse et celui de Yannick Jadot, c’est la place accordée à l’écologie, souligne Florent Gougou. La candidate LR parle d’environnement, certes, mais ce n’est pas au sommet de ses priorités. »

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