L’union de la gauche ardemment défendue par les Insoumis

Jean-Luc Mélenchon aux journées d'été de la France insoumise, en août 2022. - © Estelle Pereira / Reporterre
Jean-Luc Mélenchon aux journées d'été de la France insoumise, en août 2022. - © Estelle Pereira / Reporterre
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PolitiqueLes nouveaux députés insoumis ont célébré le succès de la Nupes lors des journées d’été du parti. Entre récit des premiers jours et stratégie pour la rentrée, ils cultivent leur statut de seuls véritables opposants.
Châteauneuf-sur-Isère (Drôme), reportage
Chez les Insoumis, les années défilent et les symboles changent. Le « V » de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) était partout, au point d’éclipser la lettre grecque phi lors des « Amphis d’été » de la France Insoumise, qui se tenaient pour la troisième année consécutive à Châteauneuf-sur-Isère, près de Valence, du 25 au 28 août.
Passés de 17 à 75 à l’Assemblée nationale, les anciens et nouveaux députés ont soigné pendant ces quatre jours l’alliance avec les communistes, les verts et les socialistes pour préparer une rentrée politique qui s’annonce intense, tout en évitant les pièges de la division.

Objectif : apparaître comme la seule force d’opposition au gouvernement. « Nous assistons à une recomposition politique majeure », analyse Aurélie Trouvé, nouvelle députée de la 9ᵉ circonscription de Seine-Saint-Denis du groupe France Insoumise et ancienne présidente d’Attac. « Celle d’une gauche qui se reconstruit autour d’un programme de rupture. Je crois qu’il fallait ça pour être majoritaire : être radical, c’est-à-dire s’attaquer à la racine des problèmes, tout en acceptant la pluralité de cette gauche et de cette écologie. » L’économiste a beaucoup œuvré au sein du parlement de l’Union populaire, renommé depuis « Parlement de la Nupes », réunissant des économistes, des penseurs et militants de la société civile.
Il faut dire que la stratégie de l’Union populaire, le nom du slogan de la campagne présidentielle, a porté ses fruits auprès des militants de la France Insoumise qui n’ont pas rechigné à soutenir les candidats et candidates Nupes, même s’ils n’étaient pas issus de leur formation politique.

Pour les cadres du parti, il faut se préparer à une éventuelle dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République qui a perdu sa majorité lors des dernières élections législatives (de 308 à 166 députés). L’effervescence militante doit, dans ce cas, être rapidement mobilisable. « Il faut que la Nupes vive localement là où vous avez mené les campagnes. Là où il nous a manqué quelques dizaines de voix. Nous ne savons pas quand auront lieu les prochaines élections législatives mais nous ferons en sorte d’être prêts pour avoir la majorité qui nous permettra de gouverner ce pays », déclare Manuel Bompard, directeur de la campagne présidentielle 2022, député et successeur de Jean-Luc Mélenchon dans la 4ᵉ circonscription des Bouches-du-Rhône, à son auditoire scandant « Union populaire » à tue-tête.
Préserver cette union et la faire grandir, « l’émulation plutôt que la compétition », dira Jean-Luc Mélenchon, lors du discours de clôture qu’il a effectué sur un pupitre estampillé Nupes. « Les gens ont voté pour vous, parce que vous êtes Nupes, n’oublions pas que notre parole est engagée », a-t-il rappelé à la coalition. Les Insoumis en sont persuadés, l’union est le seul moyen de faire bloc face aux 89 députés Rassemblement national et aux membres des groupes Renaissance (ex-LREM) et Les Républicains.
L’Hémicycle à la sauce Nupes
Les « Amfis » ont été l’occasion pour les élus des quatre partis de raconter leurs premiers jours à l’Assemblée nationale. Une fois par semaine, une réunion intergroupe est organisée, ainsi que dans chacune des commissions permanentes où siègent les députés Nupes pour travailler sur des propositions de loi. « On nous disait que cette alliance n’existerait plus au bout d’une semaine. Ce qu’on a fait à l’Assemblée nationale en juillet est la preuve du contraire », se réjouit Mathilde Panot, présidente du groupe LFI-Nupes en évoquant la motion de censure et les deux propositions de lois, l’une sur le pouvoir d’achat, l’autre sur l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution, déposées par la Nupes.
Il reste à inventer comment afficher ses divergences, en débattre sans que cela ne provoque de crises. « Nos désaccords sont connus. Nous avons un programme commun qui compte 650 mesures, c’est une base qui acte nos accords et qui ne cache pas les désaccords. Il n’y aura pas de surprise lorsque le parti communiste portera, par exemple, une proposition sur le nucléaire… » veut croire Mathilde Panot.

L’idée d’une candidature commune aux élections européennes 2024, lancée par le député LFI Manuel Bompard, a pourtant provoqué quelques remous. Les Verts y sont à ce jour opposés, « parce que c’est un scrutin à la proportionnelle », dit Cyrielle Chatelain, député EELV venue débattre du rôle du parlement avec Fabien Gay, sénateur communiste. La coprésidente du groupe Écologiste-Nupes à l’Assemblée nationale craint une mise en scène de leur division alors « que nous devons nous concentrer sur ce que nous sommes en train de construire maintenant ».
Le mot d’ordre est donc d’afficher ce qui unit. En cette rentrée politique, la Nupes veut occuper l’espace : pétition pour taxer les superprofits, organisation d’une marche avec les syndicats à la mi-octobre contre la vie chère, proposition d’un projet de financement de la Sécurité sociale. Alors que se tenaient au même moment les universités d’été du PS à Blois, Olivier Faure a proposé un référendum d’initiative partagée pour « forcer le président de la République à aller vers cette taxation des superprofits ». Proposition applaudie côté Insoumis.
L’après-Mélenchon
Le défi de gouvernance qui se pose à la Nupes existe également en interne chez la France Insoumise. La position du chef de file Jean-Luc Mélenchon, « en retrait, mais pas en retraite », interroge d’ores et déjà sur sa succession. Mais, il y aussi la croissance du mouvement, qui aurait gagné, selon Mathilde Panot, 360 000 adhérents lors des dernières élections.
Dans un article posté sur son blog, Clémentine Autain estime nécessaire une restructuration profonde. « Les lieux de prises de décisions restent flous, l’espace du débat stratégique n’est pas identifié, la partition entre le local et le national mériterait d’être redéfinie », écrit-elle. LFI vit une « crise de croissance réjouissante », ironise Mathilde Panot qui affirme que cette question d’organisation du mouvement en interne va occuper les 75 députés dans les prochains mois.

Les nouveaux Insoumis, leur histoire militante et leurs luttes, ont d’ailleurs été présentés au public, parfois avec humour et émotion dans une ambiance décontractée. Ont rejoint le groupe à l’Assemblée, entre autres, François Piquemal (4ᵉ circo, Haute-Garonne) professeur d’histoire-géo et ancien porte-parole de l’association Droit au logement, très actif sur la lutte contre les expulsions et le mal-logement. Frédéric Mathieu, (1ʳᵉ circ Ille-et-Vilaine), cadre de la fonction publique au sein du ministère des Armées et syndicaliste, qui entend « remettre de la politique dans la commission de la défense ».
Ou encore Louis Boyard, 22 ans, le plus jeune député de métropole de l’Assemblée, militant contre Parcoursup et ancien président de l’Union nationale des lycéens, qui entend représenter « les aspirations politiques de la jeunesse » qu’il estime plus « poussées et radicales ». « Que ce soit sur les questions sociales, écologistes, de genre, féministes, anti-racistes, la jeunesse appelle à mener plusieurs révolutions sur tous ces sujets », estime-t-il.

Le terme Révolution, le député Antoine Léaument (10ᵉ circo, Essonne), 32 ans, ancien responsable de la communication numérique de Jean-Luc Mélenchon, entend le remettre au goût de jour. Quant à la place de l’écologie dans leur culture politique, elle est « un fil rouge », affirme Élise Leboucher, éducatrice spécialisée en pédopsychiatrie, syndicaliste nouvellement élue dans la Sarthe qui a commencé à travailler sur les maisons fissurées par la sécheresse.
Alors qu’un été caniculaire s’achève, les incendies et la sécheresse encore dans toutes les têtes, les députés Insoumis offrent une relecture du traditionnel clivage « gauche-droite ». Désormais, il y a d’un côté, les tenants du capitalisme, les « néolibéraux » — dans lequel ils intègrent le Rassemblement national ; de l’autre le bloc de rupture, qu’ils entendent bien incarner avec la Nupes, et qui souhaite une répartition des richesses et un changement du système à la racine.