La fin du Haut Conseil des biotechnologies, une mauvaise nouvelle pour le débat démocratique

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Le gouvernement a finalement mis fin au Haut Conseil des biotechnologies. Cette instance inédite en Europe associait la société civile aux scientifiques pour rendre des avis sur les biotechnologies, notamment les OGM. Une perte, même pour ses détracteurs.
Le débat est clos. Avec la loi de programmation de la recherche votée par l’Assemblée nationale le 20 novembre, le gouvernement est habilité à dissoudre, par ordonnance, le Haut Conseil des biotechnologies (HCB). Reconduit encore en 2021, la fin programmée du HCB est écrite, selon plusieurs membres. « C’est désolant parce que c’était une instance très originale », regrette Christine Noiville, présidente démissionnaire du HCB. Créé en 2009 en pleine bataille autour des OGM (organismes génétiquement modifiés), cet organisme était chargé d’éclairer la décision publique sur les questions relatives aux biotechnologies, en associant aux scientifiques un comité économique, éthique et social (CEES). Comité qui réunit en effet plusieurs parties prenantes : syndicats agricoles, industrie des semences, associations de défense de l’environnement, etc.
« Le débat n’y était pas capté par des experts, ce qui a permis de l’élargir au-delà des risques sanitaires et environnementaux. Le HCB était la reconnaissance que les biotechnologies ne peuvent se réduire à la question du risque mais qu’elles soulèvent des choix de société », commente celle qui était à la tête du Haut Conseil depuis 2014. « Obtenu à l’issue du Grenelle de l’environnement, le HCB était une avancée démocratique majeure en Europe, parce que la société civile participe à l’élaboration des avis », souligne Frédéric Jacquemart, représentant de France Nature Environnement (FNE) au HCB et ancien vice-président du CEES.
« L’enjeu du HCB était de permettre l’expression des avis contradictoires et non pas la recherche de consensus »
Mais depuis 2017, la structure vacillait, après des démissions en cascade, dont la présidente, qui n’a jamais été remplacée. « Je ne suis pas étonnée par la décision du gouvernement. Moi-même, j’en étais arrivée à la conclusion que cela ne pouvait plus fonctionner. » Christine Noiville explique cette « chronique d’une mort annoncée » : « Même si personne n’avait imaginé que ce serait facile, le débat est resté très polarisé. L’instance était instrumentalisée comme une caisse de résonance des oppositions des uns et des autres. » Sa présidence en a fait les frais : les industriels ont claqué la porte lors de son premier mandat, puis les organisations paysannes et écologistes au cours de son second mandat. Bref, si une des missions du HCB était de faciliter le travail du gouvernement, la volonté de trouver un consensus est restée un vœu pieux.
Le HCB accueillait des débats sur des intérêts économiques et des choix de société irréconciliables. En jeu ces dernières années, moins la première génération d’OGM que les nouvelles techniques (notamment la mutagénèse dirigée), qui permettent de modifier le génome d’une plante sans recourir à l’introduction d’un gène extérieur. Pour le monde industriel et une partie du monde agricole (FNSEA, le syndicat agricole majoritaire), l’objectif est d’utiliser le plus rapidement possible ces technologies en les intégrant aux méthodes de sélections traditionnelles, afin qu’elles échappent à la lourde législation des OGM. En face, les anti-OGM dénoncent tout à la fois l’agriculture industrielle, la privatisation du vivant, et les risques écologiques d’une modification accélérée des variétés cultivées.
Cette expression d’avis nécessairement divergents avait toute sa place, selon Denis Bourguet, ancien expert scientifique du HCB, pour permettre aux politiques de prendre des décisions en connaissance de cause (les avis du HCB n’étant pas décisionnels). Outre qu’elle « était illusoire », la recherche de consensus était « inutile », selon le chercheur en écologie.

Surtout que la recherche du consensus a conduit à faire la part belle aux pro-OGM, majoritaire au HCB, selon Frédéric Jaquemart. Une critique constante de la Confédération paysanne, de FNE et des Amis de la Terre entre autres, qui les a conduits à déserter pendant quatre ans les bancs du Haut Conseil. Mais aujourd’hui, ce camp des anti-OGM est pourtant le seul à afficher publiquement — dans un communiqué commun — ses regrets à l’annonce de cette disparition : « Notre sortie du HCB en 2016, puis notre retour en 2020 (…), n’auront servi à rien, pas plus que nos demandes réitérées d’une refonte démocratique de cette institution qui lui permette d’accomplir sa mission de départ. » Frédéric Jacquemart s’explique : « On a critiqué le HCB pour l’améliorer, pas pour le détruire. Pour nous, l’enjeu du HCB était de permettre l’expression des avis contradictoires et non pas la recherche de consensus, qui a malheureusement guidé le travail du HCB sous la présidence de Christine Noiville. »
Le CEES n’avait d’ailleurs pas l’exclusivité des tensions. En 2016, la démission d’Yves Bertheau du comité scientifique avait déclenché celle des associations paysannes et environnementales. Le chercheur dénonçait un texte publié par le comité scientifique où ses propres réserves sur les nouveaux OGM étaient éludées, en particulier à propos des effets des modifications non intentionnelles du génome des plantes (dits « effets hors cible »).
« C’était le lieu pour débattre des nouveaux enjeux règlementaires sur l’édition du vivant »
Mais le HCB compte aussi des réussites, « des moments de grâce », selon l’expression de Christine Noiville. Comme l’avis sur les brevets pour restreindre la brevetabilité des plantes génétiquement modifiées. Pour une fois, les intérêts des partisans de semences paysannes et des semenciers français ont convergé. Ces derniers craignent en effet que le système étasunien de brevet ne prenne le pas sur le système européen de protection des semences et ne bloque leur travail.
L’audit du HCB lancé en 2018 par ses cinq ministères de tutelle [1] aurait-il pu le sauver ? Impossible à dire car ses résultats n’ont pas été communiqués aux membres du HCB. Membres qui pourtant avaient proposé des pistes d’amélioration sur son fonctionnement et sa crédibilité : « Notre expertise était fragile. Il aurait fallu qu’elle obéisse aux règles strictes qui doivent s’appliquer en la matière, par exemple en matière de liens d’intérêts », dit Christine Noiville.
La suppression du HCB n’intervient pas n’importe quand dans le dossier des OGM. En début d’année, le Conseil d’État, saisi par neuf associations dont deux membres du HCB (la Confédération paysanne et les Amis de la Terre), a tranché sur le statut des organismes obtenus par mutagenèse : ces variétés, dont les plantes rendues tolérantes aux herbicides, sont bien des OGM. Cette décision, en soumettant les nouvelles variétés aux règles des OGM, devrait entrainer une multiplication des demandes d’autorisations. Une perspective qui a visiblement poussé le gouvernement à s’affranchir du HCB. Même si l’incertitude plane encore sur le sort de ces OGM puisque le gouvernement n’a toujours pas appliqué le jugement du Conseil d’État et que la bataille juridique — qui se tient également au niveau européen — n’est pas finie. Pour Denis Bourguet, la disparition du HCB intervient au « mauvais moment, alors que c’était justement le lieu pour débattre des nouveaux enjeux règlementaires sur l’édition du vivant ».
Aujourd’hui, le gouvernement entend redistribuer les compétences du HCB, en confiant en particulier l’évaluation des risques liés aux OGM à l’Agence nationale de sécurité sanitaire et environnementale (Anses). Et le reste au Comité économique, social et environnemental (Cese) et au Comité national d’éthique. Si la qualité de l’expertise de l’Anses n’est pas en cause, la dispersion du débat est « un recul démocratique » qui laisse amers ceux qui s’étaient « battus pendant plus de dix ans pour ouvrir le débat sur les OGM à l’ensemble de la société », dénonce Guy Kastler, de la Confédération paysanne. « Ils ne veulent plus entendre parler de la société civile », conclut Frédéric Jaquemart.