La loi Asile et immigration, une « régression raciste »

Des dizaines de personnes se sont rassemblées devant le Sénat, le 6 novembre 2023. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
Des dizaines de personnes se sont rassemblées devant le Sénat, le 6 novembre 2023. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
Durée de lecture : 5 minutes
Des dizaines de personnes se sont rassemblées le 6 novembre devant le Sénat, à Paris, pour dénoncer le projet de loi Asile et immigration. Elles dénoncent une « politique inhumaine » du gouvernement.
Paris, reportage
La scène est paradigmatique d’une certaine vision du monde : devant le Sénat, à Paris, des policiers intiment l’ordre à plusieurs dizaines de personnes migrantes, parquées derrière une rangée de barrières, de ne pas sortir d’un petit périmètre. Nous sommes le 6 novembre et, à l’occasion du début de l’examen du nouveau projet de loi Asile et immigration par les sénateurs, un rassemblement a lieu à l’appel du collectif Uni
es contre l’immigration jetable (Ucij). Le but : dénoncer ce texte porté depuis plusieurs mois par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et réclamer la régularisation de toutes les personnes sans-papiers.Transformation de l’aide médicale de l’État (AME) — qui permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins [1] — en aide médicale d’urgence, possibilité d’expulser « les étrangers [en situation régulière ou non] qui représentent une menace grave pour l’ordre public » ou ne respectant pas les « principes de la République »... Pour les associations, collectifs et syndicats membres de l’Ucij, ce projet de loi, qui s’est durci par rapport à sa première mouture présentée en mars, est synonyme de « régression raciste ».

« Cette loi va criminaliser les sans-papiers. Qu’est-ce que c’est une “menace grave à l’ordre public” ? Traverser le passage clouté quand le feu est rouge ? La notion n’a pas de réelle définition ! » Debout derrière une grande banderole appelant à la régularisation des personnes sans-papiers, Aboubakar Dembélé, porte-parole des grévistes sans-papiers d’un centre de tri Chronopost à Alfortville (Val-de-Marne), répond avec gravité aux journalistes.
À l’heure où le projet de loi immigration prévoit, via son article 3, d’instaurer un titre de séjour d’un an pour les travailleurs sans-papiers des « métiers en tension » (restauration, BTP...), l’homme déplore « l’hypocrisie » et la « vision utilitariste » d’un gouvernement qui entend « exploiter un maximum de personnes, qui travaillent dans des conditions horribles, avant de les expulser ».
« Il faut régulariser tous les sans-papiers, et ce de façon pérenne. Qui, pendant le Covid, a tenu le pays lorsque celui-ci était au plus bas ? Les travailleurs sans-papiers ! Avec cette loi, vous qualifiez de délinquants les gens qui vident vos poubelles, livrent votre nourriture, construisent vos bâtiments », lance-t-il un peu plus tard, mégaphone en main.

« Les habitants sont obligés de partir pour survivre »
Les prises de parole, entrecoupées de chants exigeant « la liberté pour tous » (et appelant Gérald Darmanin à « changer »), se poursuivent. La Ligue des droits de l’Homme, la Cimade ou encore l’association Droit au logement sont présentes.
Quelques personnalités politiques, aussi. Le sénateur Yannick Jadot passe une tête, assurant que les élus écologistes « vont se battre pour la régularisation de tous les travailleurs sans-papiers et pour que cesse cette criminalisation ». On croise aussi la députée La France insoumise Andrée Taurinya qui, déplorant que l’exécutif considère les « étrangers comme des objets jetables plutôt que comme des humains », rappelle qu’entre « les conflits, les guerres et le changement climatique », l’immigration ne va pas cesser. « Le gouvernement ne réfléchit pas aux causes des déplacements de population, c’est totalement aberrant », ajoute-t-elle.

Anzoumane Sissoko, porte-parole de la coordination 75 des sans-papiers (CSP 75), ne dit pas le contraire. Le regard vif sous son bonnet noir, l’homme de 58 ans, agent d’entretien à la mairie de Paris, donne un exemple concret : « Là d’où je viens, dans la région du fleuve du Sénégal, la sécheresse fait rage. Les habitants sont obligés de partir pour survivre. »
« Le dérèglement climatique touche surtout les personnes et les pays les plus pauvres. Le combat écologiste et celui pour les droits humains, c’est la même chose », abonde la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, qui s’inquiète de « l’extrême droitisation des débats » et de la « politique inhumaine » consubstantielle à ce projet de loi immigration.
Après quelques mots sur la suppression possible de l’AME — « Cela va poser un problème de santé publique, on voit jusqu’à quel point d’absurdité on peut aller par racisme » — la voilà d’ailleurs qui file au Sénat, pour le début de l’examen du texte. Devant le bâtiment, les manifestants, eux, sont toujours là. Mariama Sidibé, membre de la CSP 75, donne de la voix. Cette femme malicieuse de 67 ans, originaire du Sénégal, a obtenu de haute lutte sa régularisation au début des années 2010. Aujourd’hui, cette ex-aide à domicile veut « se battre pour toutes et tous les autres ».