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La moitié des forêts tropicales d’Indonésie ont disparu depuis 1960

En mars, les forêts d’Indonésie sont à nouveau parties en fumée, provoquant une pollution atmosphérique intense sur les pays voisins. Année après année, le massif forestier recule devant le palmier à huile et la corruption. Reporterre a interrogé un des meilleurs connaisseurs de ce désastre écologique continu, Rhett Butler.


De Bornéo à la Malaisie, villes et campagnes sont auréolées depuis janvier d’une brume mortelle qui atteint cette année des niveaux de pollution semblables à ceux qui, l’été dernier, avaient obligé le président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono à présenter des excuses à la Malaisie et à Singapour pour la contamination de leur air.

Ce qui est pire cette année, c’est que les incendies ont commencé plus tôt, en plein hiver ! Walhi, le World Resources Institute, et Greenpeace constatent que les incendies sont liés à la fois à la pire sécheresse depuis des années, mais aussi à la corruption et à l’inaction du gouvernement.

Selon les données satellites de la Nasa, plus de trois mille feux ont brûlé au pic du désastre, fin mars, à travers l’Indonésie, la Thaïlande et la Malaisie depuis la mi- janvier, plus qu’en juin 2013. Le journal The Economist rapporte que Pekanbaru, la capitale de la province de Riau, sur l’île indonésienne de Sumatra, « est enveloppée d’un nuage blanc de fumée âcre si dense que la visibilité est de moins de 50 mètres. » La qualité de l’air y est officiellement décrite comme « dangereuse », et la plupart des gens portent des masques, même à l’intérieur des maisons. Près de cinquante mille personnes dans Riau ont déjà été traitées pour des problèmes respiratoires, des yeux ou de la peau. Les avions ont eu du mal à atterrir et le gouverneur de la province a déclaré l’état d’urgence.

En 1997, déjà, le président du Fonds mondial pour la nature, World Wide Fund, Syed Babar Ali, déclarait : « C’est une catastrophe d’ampleur internationale ! » Et à la question de savoir comment éteindre ces incendies, il répondait que : « Nous ne savons pas. »

Nous avons demandé à Rhett Butler, fondateur et rédacteur en chef de Mongabay.com, l’un des meilleurs sites internet sur les forêts tropicales et la biodiversité, de décrypter pour nous cette situation dramatique et récurrente.

Reporterre - Comment les incendies ont-ils commencé ?

Rhett Butler - Avec l’habitude qu’avait prise le président Soeharto, président de la République d’Indonésie de 1967 à 1998 de donner des concessions de forêt à ses amis ou rivaux, pour s’assurer de leur soutien. Ils ont commencé par déboiser pour vendre le bois, puis ils ont planté des palmiers à huile ou des acacias pour produire du papier et de la pâte à papier. Ce n’est pas la forêt qui brûle, ce sont les terres déboisées qu’on prépare pour les planter : ce qui brûle, ce sont les restes du déboisement non vendable (branches etc.), et surtout la tourbe, car les terres sont très tourbeuses. C’est cela qui fait qu’il y a beaucoup de fumée. C’est aussi une perte énorme, car cette tourbe est très riche et fertile.

Quelle est la proportion des forêts déjà disparues ?

Depuis les années 1960, la moitié des forêts d’Indonésie a déjà disparu. Cela a commencé à Java, puis s’est étendu à Sumatra et au Kalimantan, puis au Sulawesi. Le nouveau territoire qui commence à être dévasté, est la Papouasie qui a énormément de forêt sur sa partie indonésienne.

Quels sont les autres pays concernés ?

L’Indonésie, la Malaisie, l’Équateur, les Philippines, le Nigeria, le Cambodge, le Vietnam ont déjà perdu un fort pourcentage of leur forêts.

La corruption joue-t-elle un rôle ?

Dans les incendies, oui. La corruption fait que les lois ne sont pas appliquées. Par ailleurs, les concessions sur lesquelles les incendies se produisent sont souvent des terres qui ont été accordées de façon non transparente.

Quels sont les effet de la déforestation ?

Les trois principaux sont une perte des ressources, l’érosion des sols, et de graves perturbations de l’approvisionnement en eau. Un autre effet est l’augmentation de la température ambiante.

Y a-t-il des conséquences sur le reste de la planète ?

La déforestation et la dégradation des forêts compte pour environ 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à l’activité humaine. Mais il est important de ne pas négliger les effets sur les pluies et sur la perte de biodiversité.

Qu’est-ce qui a été tenté pour prévenir cette destruction des forêts ?

Jusqu’à présent, la principale approche à ce jour a été d’établir des politiques pour protéger les forêts et de surveiller l’application des lois. Cela fonctionne mieux dans certains pays que d’autres. Aujourd’hui la surveillance par satellite et par d’autres dispositifs s’améliore, et si il y avait la volonté politique et un intérêt à arrêter la déforestation, il serait possible de prendre des mesures immédiates.

Quel est le rôle des grandes ONG comme le WWF ou Greenpeace ?

Ces groupes sont radicalement différents, donc je ne voudrais pas les regrouper. Greenpeace est une organisation militante qui n’agit pas normalement dans des projets de terrain conservation, à la différence de TNC ou le WWF. Je crois que les campagnes de Greenpeace pour la forêt tropicale depuis 2006 ont connu un succès incroyable. C’est probablement la plus efficace de toutes les ONG travaillant sur les forêts.

Les ONG locales peuvent aussi jouer un rôle très important dans le renforcement des moyens, la prise de conscience, et qu’elles peuvent aussi stimuler l’innovation. Les groupes plus importants comme TFT (http://www.tft-forests.org/pages/?p=6040 )font aussi un travail important.

Quelles autres solutions pour arrêter le feu et la destruction des forêts ?

Donner une valeur aux forêts comme entités vivantes est très important. De même que la surveillance des forêts et le fait de prendre des mesures quand elles sont attaquées. Enfin provoquer une prise de conscience et faire pression sur les entreprises pour qu’elles adoptent des pratiques plus écologiques.

Quelle est la position du favori à l’élection présidentielle qui aura lieu le 9 juillet en Indonésie, Joko Widodo, gouverneur de Jakarta ? (ou Jokowi, comme il est surnommé par tous les Indonésiens)

Jokowi a obtenu un diplôme de la faculté de Foresterie de l’Université Gadjah Mada en 1985. Il comprend le risque énorme de la déforestation et de la dégradation des forêts.

- Joko Widodo -

Est-ce un facteur d’espoir ?

Je pense qu’il est trop tôt pour le dire. L’expertise de Jokowi en foresterie signifie qu’il comprend et qu’il est techniquement capable de travailler avec les systèmes internationaux tels que REDD +, qui pousse à des réformes forestières en Indonésie. Cependant il sera obligé de travailler dans les limites politiques du système, et son succès dépendra de qui sera dans les principaux ministères, comme le ministère des Forêts. Il est aussi possible que Jokowi ne gagne pas. Les autres candidats semblent être plus intéressés par l’approche « business-as-usual » des forêts… continuer la déforestation.

-  Propos recueillis par Elisabeth Schneiter

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