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Luttes

La police a espionné les opposants aux mégabassines

Les forces de l'État se sont déjà distinguées par le zèle de leur opposition aux activistes anti-bassines, comme ici, lors de la manifestation du 6 novembre 2021 à Mauzé-sur-le-Mignon.

Des dispositifs de surveillance ont été découverts près du lieu habituel de réunion des opposants aux mégabassines, dans les Deux-Sèvres. Les appareils ont été installés par la police.

Une caméra, un routeur et des batteries lithium, le tout dissimulé sous des filets de camouflage. C’est l’attirail qu’a découvert, jeudi 17 mars, Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci (BNM). Le dispositif de surveillance était orienté vers le domicile de son père, Christian Le Guet, qui accueille régulièrement les réunions des opposants aux mégaretenues d’eau dans le Marais poitevin. Ce dernier a déposé plainte contre X, mardi 22 mars, pour « surveillance illégale ». « Nous avons été espionnés, tempête son fils, joint par Reporterre au téléphone. Ça pose la question de la liberté d’expression, de la liberté de se réunir et de s’organiser. »

Un « dispositif militaire » installé par la police nationale, a finalement admis la préfecture des Deux-Sèvres lundi 21 mars, « afin de préparer la sécurisation de la manifestation des 25, 26 et 27 mars prochains », a-t-elle indiqué dans un communiqué adressé au journal Le Courrier de l’Ouest. En fin de semaine, le collectif Bassines non merci organise un rassemblement festif et militant, le Printemps maraîchin.

Mais « pourquoi fliquer ainsi des militants pacifistes » s’interroge Frédéric Amiel, des Amis de la Terre, soutien du collectif poitevin. À demi-mot, les autorités expliquent craindre de nouveaux sabotages de bassines, après les démantèlements et débâchages menés en novembre et en mars par des opposants aux retenues d’eau — sans que le rôle de Bassines non merci dans ces actions n’ait été prouvé. « Ce dispositif par ailleurs posé dans le strict respect du cadre légal a été rendu nécessaire par l’implication du collectif BNM dans l’organisation de manifestations ayant entraîné de graves troubles à l’ordre public ces derniers mois dans le département des Deux-Sèvres et dans les départements voisins », a ainsi indiqué la préfecture.

Le collectif BNM a dénoncé un « Water Gate » et des « méthodes de barbouze » et a appelé à un rassemblement de soutien à Christian Le Guet, mardi 22 mars à 17 h 30 devant la préfecture de Niort « pour protéger notre liberté d’expression, notre liberté d’opinion, notre liberté à manifester, notre liberté de circulation, le respect de nos vies privées, fussent-elles militantes ».

Le dispositif de surveillance visait le domicile du père de Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci. © Corentin Fohlen / Reporterre

Dans un communiqué de soutien au collectif deux-sévrien, le mouvement des Soulèvements de la Terre fait directement le lien avec Démeter, la cellule de gendarmerie mise en place afin de surveiller les opposants à l’agriculture productiviste. Il rappelle également que la nouvelle préfète des Deux-Sèvres, Emmanuelle Dubée, est une proche de Gérald Darmanin : elle était jusqu’au mois dernier directrice adjointe du cabinet du ministre de l’Intérieur. « Cela s’inscrit dans cette tendance dramatique, très renforcée sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, de criminalisation des mouvements associatifs », estime Frédéric Amiel, des Amis de la Terre, joint par Reporterre.

En 2020, des caméras de surveillance dissimulées avaient été découvertes par les habitants de la Zad du Carnet (Loire-Atlantique), en lutte contre un projet de zone industrielle sur une zone naturelle. Tous les indices semblaient montrer qu’elles avaient été posées par la gendarmerie.

Les tensions ne cessent de s’aiguiser entre les promoteurs d’une agriculture intensive et irriguée et celles et ceux qui défendent une transition agroécologique. Fin février, le porte-parole de la Confédération paysanne, syndicat engagé contre les réserves d’eau des Deux-Sèvres, était agressé en marge du Salon de l’agriculture. Quelques semaines plus tôt, ce dernier avait été entendu par la gendarmerie, suite au démontage d’une bassine en novembre 2021. Le 15 janvier, pro et anti-bassines s’étaient retrouvés lors d’un face-à-face tendu, près de la réserve de Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres).

L’État a déjà déployé des moyens conséquents contre les rassemblements du collectif Bassines non merci, comme lors de la manifestation du 6 novembre 2021 à Mauzé-sur-le-Mignon. © Corentin Fohlen / Reporterre

La découverte de la caméra de surveillance intervient donc quelques jours avant le Printemps maraîchin. Objectif de la manifestation : obtenir l’arrêt des travaux — la première des seize réserves prévues dans la Sèvre niortaise a été achevée à la fin de l’année dernière —, la mise en place d’un moratoire sur les projets de « mégabassines », et « remettre la question des usages de l’eau et des pratiques agricoles au cœur du débat public », d’après l’appel à participation. Les organisateurs espèrent donc une mobilisation d’ampleur : plusieurs dizaines d’organisations ont signé l’appel à manifester, et des bus sont affrétés depuis différentes villes de France. « Il est en train de se passer quelque chose d’important dans les Deux-Sèvres, insiste Frédéric Amiel. L’accès équitable à l’eau est essentiel pour construire un monde apaisé ; on ne peut pas laisser quelques-uns s’accaparer la ressource, sinon, on va droit vers une guerre de l’eau. » Les Amis de la Terre seront ainsi présents cette fin de semaine, aux côtés des autres organisations membre du collectif Plus jamais ça.

Mais l’État pourrait bien jouer les trouble-fête : « On est engagé dans un bras de fer avec la préfecture des Deux-Sèvres, qui va tout faire pour que le rassemblement n’ait pas lieu, craint Julien Le Guet, qui rappelle que les précédents rassemblements n’avaient pas été autorisés par les pouvoirs publics. On s’attend à un important dispositif de la gendarmerie, mais également à une contre-manifestation des agriculteurs irrigants de la Coordination rurale. » Quid d’un éventuel sabotage de bassine, que semblent craindre les autorités ? « En novembre, si on s’est retrouvé à proximité de la bassine de Cramchaban, et que celle-ci a été démantelée, c’est bien parce que la préfecture avait interdit le tracé initial de notre marche, et que les gendarmes nous ont arrosés de lacrymos, se défend M. Le Guet. La violence commence toujours du côté de l’État. »

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