La répression se durcit contre les opposants à l’éolien industriel en Aveyron

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Énergie Libertés LuttesUne nouvelle procédure judiciaire est lancée contre des opposants à l’éolien industriel en Aveyron. Elle fait suite au blocage d’un chantier éolien en décembre dernier et à la lutte contre le projet de transformateur électrique de Saint-Victor-et-Melvieu, notamment prévu pour les éoliennes.
- Actualisation - Vendredi 3 février 2018 - La décision de justice suite au procès de lundi 1er février est tombée : la procédure en référé menée par Théolia a été rejetée. Pas de condamnation donc, et une fin de non recevoir pour les plaignants.
- Actualisation - Lundi 29 janvier 2018 à 15 h - Une nouvelle procédure judiciaire a été lancée contre les militants anti-éoliens de l’Aveyron. La société Futuren, en charge du projet éolien contesté, assigne en référé heure-à-heure cinq personnes. Selon nos informations, l’entreprise demande qu’il leur soit interdit de circuler pendant quatorze mois autour du chantier éolien de Crassous, ainsi que de participer à des actions d’opposition au projet. Cette procédure d’urgence n’a même pas laissé le temps à l’avocat des militants d’étudier le dossier qui était discuté ce lundi matin à Rodez. Le verdict sera rendu jeudi, et communiqué directement aux parties, sans audience. Devant cet accumulation de procédures, les militants ont lancé un appel à rassemblement ce samedi 3 février à 10h30 à Saint Affrique, pour les libertés de manifester et « contre la criminalisation des luttes »
- Article publié le 27 janvier 2018 :
- Saint-Affrique et Saint-Victor-et-Melvieu (Aveyron), reportage
Opération d’envergure dans le sud-Aveyron jeudi matin 25 janvier, menée sans violences physiques, mais avec l’usage de menottes. Treize personnes ont été interpellées, dont les deux parents d’enfants en bas-âge. Elles ont été placées en garde à vue un peut partout dans les casernes du département, avant d’être libérées en fin de journée.
Il faut remonter un mois plus tôt, sur un chantier d’installation d‘éoliennes, sur la commune de Saint-Affrique pour comprendre l’enjeu. Le 12 décembre 2017, une trentaine de personnes se rendait physiquement sur le chantier d’une centrale de six mâts éoliens, près du lieu-dit Crassous. Un projet lancé il y a bientôt dix ans et dont tous les recours en justice ont été rejetés. Sur le mot d’ordre humoristique « oui à l’enfouissement des éoliennes », ils sont parvenus à rejoindre les pelleteuses en train de défricher la zone d’implantation des futures machines et ont stoppé le chantier. Celui-ci reprenait début janvier, cette fois, sous bonne garde policière assorti d’une interdiction de stationner à proximité prises par le maire de Saint-Affrique, favorable au projet, qui déclarait dans la presse locale : « A présent, force à loi. Il faut qu’on en finisse avec le comportement de certains. Et que la société puisse mettre en action son chantier. »

Dans le même temps, une dizaine de personnes recevaient une convocation en gendarmerie pour « entrave concertée à l’exercice de la liberté du travail » et « vol » (des panneaux de chantiers auraient été subtilisés). Il semble que les plaintes émanent de la société Arlès, entreprise locale en charge du déboisement. Fait étonnant : les convocations touchaient toutes les composantes de la lutte, militants très investis, agriculteurs, simples sympathisants. Collectivement, décision a été prise le 8 janvier de refuser de se rendre à ces convocations qui « constituent une tentative d’intimidation et de division d’un mouvement qui est amorcé, ici et ailleurs, contre l’invasion éolienne et le méga transformateur », déclaraient alors les militants.

Comme ils s’y attendaient, les militants ont donc vu débarquer trois semaines plus tard les forces de l’ordre, pour les amener de force en garde à vue pour être auditionnées.
La réaction des soutiens n’a pas tardé. Dès 13 h, jeudi, une petite cinquantaine de personnes se sont retrouvés devant la gendarmerie de Saint-Affrique, pour protester à coup de casserole et sirènes contre ce « coup de pression ». Devant les caméras et la presse régionales, le colonel Le Floc’h, commandant du groupement de gendarmerie de l’Aveyron, expliquait de manière lapidaire « qu’une opération judiciaire et en cours » et que par conséquent « il ne communiquera pas ». Même silence du côté du procureur de la République de Rodez.
Au fil de la journée, dans une ambiance bon enfant mêlée d’inquiétude pour leurs camarades, les militants ont compris que les personnes arrêtées ont été placées en garde-à-vue dans des gendarmeries de Villefranche-de-Rouergue, Rodez et même à l’autre bout du département. « Bravo le bilan écologique ! » s’amusait un manifestant. A 16 h 30, le procureur a finalement ordonné la libération des interpellés, qui purent se retrouver le soir à Saint-Affrique, lors d’une soirée sur l’autodéfense juridique dans le café associatif local.
Pourquoi un tel dispositif pour relâcher tout le monde quelques heures plus tard ? Contacté par Reporterre, l’avocat des militants, Maitre Gallon, explique que « ce genre de procédure n’est pas une nouveauté ». Il a déjà eu à défendre des Faucheurs volontaires, et estime que « dans la logique policière, l’arrestation simultanée permet d’éviter la concertation entre les personnes visées tandis que la dispersion des gardes-à-vue permet d’éviter un rassemblement trop important en un point fixe. »
C’est donc maintenant au procureur de décider ou non de poursuites et donc d’aller vers un procès au tribunal correctionnel. Sur l’antenne de la radio associative locale, Nelly, l’une des interpellées, expliquait jeudi : « On y était prêts, ce n’est pas grave une garde-à-vue, les délits reprochés auront assez peu de conséquences ». Elle ajoute : « On sentait bien que c’était un coup de pression et une volonté de diviser les militants » même si « on n’était pas traités comme des délinquants, ils savent que c’est un contexte particulier ».
Reste que cette démonstration de force, si elle vise à intimider, pourrait avoir l’effet inverse et redonner de la vigueur au mouvement militant local. Car, la lutte anti-éolienne à Saint-Affrique est directement liée à une autre lutte, celle contre le projet de transformateur électrique de St-Victor-et-Melvieu, à 15 km de là. Ce projet, porté par RTE (Réseau de transport d’électricité, filiale à 100 % d’EDF) vise à accroître les capacités du réseau haute tension notamment du fait du raccordement ... de nouvelles éoliennes. Ce projet de transformateur, a été découvert en 2010 par une conseillère municipale du village de Saint-Victor-et-Melvieu et a déjà donné lieu a une bataille juridique menée par l’association plateau Survolté.

Aujourd’hui, c’est le fond même des logiques de réseau et de transition énergétique à grande échelle qui est contesté par une partie des opposants réunis au sein de l’assemblée de l’Amassada, qui ont construit des lieux d’occupation sur le site envisagé pour le projet.
Saint-Victor est désormais reconnu nationalement comme un pôle de lutte et d’occupation, après Notre-Dame-Des-Landes. De quoi agiter les fantasmes des éditorialistes locaux sur un éventuel « débarquement de zadistes » pour renforcer la lutte. Mais à Saint-Victor, l’occupation a toujours été pensée en lien avec le territoire, son histoire occitane, et dans le rejet des cadres posés par l’administration pour le projet. Remettant en cause l’argument de sa nécessité technique, les opposants qualifient l’enquête publique de « une mascarade » et ont décidé début novembre de bloquer l’ouverture de la permanence du commissaire-enquêteur.

Cette action festive et non-violente a provoqué le déplacement des bureaux de l’enquête publique à 50 km au nord, loin de là où le projet est combattu ! Une preuve supplémentaire pour les militants du caractère illusoire de la consultation.
Après l’avis favorable remis par les commissaires enquêteurs le 11 janvier dernier, le promoteur a communiqué le 19 janvier, s’engageant à suivre les recommandations des commissaires enquêteurs (enfouissement d’une ligne THT, isolation sonore du chantier et indemnisation des habitants du hameau voisin).
Il ne manque donc plus que la signature de la déclaration d’utilité publique par la préfète du département pour démarrer le chantier. Dans ce contexte, ces arrestations, sans suite à ce jour, pourraient donner du grain à moudre aux militants. « On a désormais la preuve que la transition énergétique a besoin des forces de l’ordre pour avancer », lançait jeudi soir un des interpellés. Une manière de rallier à la lutte une partie de la population, jusqu’ici frileuse à soutenir ouvertement des militants dont les actions (envahissement de réunion, refus de l’enquête publique) sont loin de faire l’unanimité. Un chantier collectif est désormais lancé pour rendre habitable les cabanes de l’Amassada, une nouvelle étape de la bataille anti-industrielle en sud Aveyron.
