La revue de référence des préfets publie un texte climatosceptique

« L’humanité n’est pas responsable du réchauffement climatique », assure-t-on dans la revue de référence des préfets. - © Alban Elkaïm / Reporterre
« L’humanité n’est pas responsable du réchauffement climatique », assure-t-on dans la revue de référence des préfets. - © Alban Elkaïm / Reporterre
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Climat PolitiqueLes élus, préfets et hauts fonctionnaires sont-ils bien informés ? Dans la revue « Administration », une publication de référence, un long article nie la responsabilité humaine dans le changement climatique.
Dissolution des Soulèvements de la Terre, interdiction du rassemblement de protestation contre le projet ferroviaire Lyon-Turin… Les mouvements écologistes sont dans le collimateur du ministère de l’Intérieur et des préfets. Ces représentants de l’État sont-ils bien informés sur l’urgence climatique ? On peut se le demander, à la lecture d’un article paru en mars 2022 dans la revue Administration. Éditée par l’Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, cette publication, diffusée par abonnement et sur la plateforme numérique cairn.info, s’adresse aux préfets, aux hauts-fonctionnaires d’État, ainsi qu’aux parlementaires et à tous les autres élus territoriaux. En 2022, l’association a bénéficié d’une subvention du ministère de l’Intérieur dirigé par M. Darmanin dont le montant précis n’est pas connu.


L’article signé Pascal Mainsant, annonce la couleur dès son titre : « L’humanité n’est pas responsable du réchauffement climatique », (en ligne le 04/07/23). Le spécialiste de l’élevage, ingénieur de recherche Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) à la retraite, y développe, sur six pages, un argumentaire climatodénialiste. « Aussi bien au Moyen Âge que pendant l’Empire romain […] les glaciers alpins étaient encore plus reculés qu’aujourd’hui », y lit-on. Les rapports du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) eux-mêmes ne montreraient « pas plus de canicules, de cyclones, d’inondations, de sécheresses, de record de température que depuis 3 000 ans ! » et le mensonge sur la réalité de la situation écologique sert « un objectif non avoué du Giec : convaincre l’humanité de sa responsabilité dans le réchauffement. […] Tout cela pour accéder au statut de sauveur de l’humanité ».

Mensonge donc, car « c’est un réchauffement naturel qui tend à augmenter la teneur de l’atmosphère en CO2 » et l’activité humaine y est « marginale, [elle n’a] aucun rôle dans le réchauffement ». La hausse des températures provient d’« une augmentation du champ magnétique du soleil qui favorise l’ensoleillement ». Conclusion ? « Pour les physiciens hors-Giec, la thèse du Giec est dépourvue de toute base scientifique. Sa diabolisation des énergies fossiles est notoirement fausse. »
« Cet article est complètement dingue ! » s’exclame, à sa lecture, David Chavalarias, mathématicien du Centre national de recherche scientifique (CNRS) et spécialiste des dynamiques sociales et cognitives, notamment de la désinformation en ligne. « C’est un melting pot de théories complotistes et dénialistes ! »
L’article paru dans Administration s’appuie sur Unsettled, le livre de Steven Koonin, ancien sous-secrétaire d’État à la science de l’administration Obama entre 2009 et 2011 et nouvelle référence des milieux dénialistes (qui nient la crise climatique). Il s’inscrit dans un dossier titré « Une société de progrès ? » dont la consigne éditoriale était favorable aux postures critiques de la politique française, d’après une autre contributrice du numéro jointe par Reporterre.
On y trouve un autre article climatosceptique dans lequel Christian Gérondeau, polytechnicien et climato-sceptique notoire estime que « la vision uniformément négative de l’évolution de la planète et de l’humanité qui nous est constamment ressassée ne correspond pas à la réalité ». Continuons à feuilleter : un éloge de la nostalgie à la française — « Oui, c’était mieux avant ! » — côtoie une critique de l’organisation française de la recherche et de l’enseignement supérieur et une réflexion sur le concept de croissance dans un « monde écologiquement contraint ».
« La revue est ouverte à tous les points de vue »
Les commandes étaient assurées par Jean Godfroid, préfet honoraire et directeur éditorial de la revue Administration. Contacté par Reporterre, il répond : « La revue du corps préfectoral, comme le corps préfectoral, n’a pas de point de vue propre. Elle est ouverte à tous les points de vue et a à cet égard enregistré un courrier des lecteurs critique de l’article de M. Mainsant. » Il précise que « le débat fait partie de notre culture démocratique ». Il a néanmoins refusé de répondre précisément sur le processus de commande et le choix de Pascal Mainsant comme contributeur sur la question du climat. Bien que nos questions relèvent de sa responsabilité éditoriale, Jean Godfroid nous renvoie vers l’ingénieur à la retraite, « pour argumenter précisément contre ses démonstrations scientifiques ».
Mais la science ne discute plus ni de la réalité ni des causes du changement climatique. Les remettre en cause relève de stratégies visant « à retarder les mesures à prendre pour lutter contre le changement climatique », comme l’explique David Chavalarias dans un entretien avec Le Journal du CNRS. Inquiétant donc de trouver de telles opinions dans une revue éditée par et pour des préfets, c’est-à-dire des fonctionnaires qui ont la « charge des intérêts nationaux », selon la Constitution.