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Habitat et urbanisme

Le Parlement recule sur le « zéro artificialisation nette »

Destruction des jardins ouvriers à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) pour les JO.

Contre l’étalement urbain, l’Assemblée examine une proposition de loi sur la mise en œuvre des objectifs « zéro artificialisation nette ». Elle assouplit ce que prévoyait la loi Climat.

C’est un serpent de mer. L’objectif « zéro artificialisation nette » d’ici à 2050 prévu par la loi Climat de 2021. Mais les élus locaux n’ont cessé de demander d’assouplir les modalités de cette mesure visant à limiter l’extension des villes et ainsi enrayer la chute de la biodiversité. Le gouvernement, lui, n’est pas sourd à leurs demandes. Alors qu’une proposition de loi venue du Sénat est examinée à l’Assemblée depuis le 21 juin, Christophe Béchu, ministre de la Transition énergétique et de la Cohésion des territoires, a même affirmé vouloir « envoyer un signal au monde rural pour le rassurer ». Cette proposition est-elle moins ambitieuse que les mesures présentées dans la loi Climat ?

Certaines propositions, comme permettre la « compensation » dès maintenant — on renature d’un côté, on détruit de l’autre —, chagrinent les défenseurs de l’environnement. D’autant qu’en parallèle de cette proposition de loi s’ajoutent d’autres tentatives, des décrets par exemple, pour échapper au « zéro artificialisation nette ».

« Le pire a été évité », affirme tout de même Louama Mestrot, chargée de mission aménagement du territoire à France Nature Environnement Île-de-France. « Le gouvernement [par son droit d’amendement] a tenu sur un certain nombre de lignes rouges. Cela va dans le bon sens », estime lui aussi Cédric Marteau, directeur du pôle Protection de la nature de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Ainsi, selon la loi Climat, la réduction de l’artificialisation doit se faire par étapes. Le premier objectif à atteindre est que la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) entre 2021 et 2031 soit deux fois moins importante que celle observée entre 2011 et 2021. Cela signifie qu’à l’échelle nationale, on peut encore « consommer » 125 000 hectares. Dans leur proposition de loi, les sénateurs avaient prévu de nombreuses dérogations qui auraient permis de consommer jusqu’à 60 000 hectares supplémentaires, selon les calculs de la LPO. Le texte qui arrive à l’Assemblée est beaucoup moins permissif. « Nous resterons dans l’enveloppe de 125 000 hectares à l’échelle nationale », assure le député Renaissance Lionel Causse, rapporteur du texte à l’Assemblée.

Lire aussi : La fin des sols artificialisés, un objectif lointain

Les sénateurs voulaient également que la consommation d’espaces liée aux projets d’envergure nationale ou européenne (comme les lignes grande vitesse ou le canal Seine-Nord Europe) — soit environ 25 000 hectares — soit sortie de la comptabilité. Finalement, la proposition de loi prévoit un compte à part de certains projets dans un « forfait national de 15 000 hectares », pour les répercuter de manière équitable entre toutes les régions. « Il faudra voir dans les faits comment cela s’applique. Nous resterons vigilants sur ce point », dit Cédric Marteau.

Trop de régimes dérogatoires

Certaines dispositions sont toutefois critiquées par les associations environnementales. « Les zones de montagne et du littoral, qui figurent déjà parmi les territoires les plus artificialisés, pourraient bénéficier de régimes dérogatoires », s’inquiète Cédric Marteau. Surtout, la proposition de loi offre la possibilité d’intégrer le principe très décrié de la compensation dès maintenant (et non d’ici à 2050) alors que la loi Climat ne le permettait pas. Ainsi, des surfaces qui ont fait l’objet d’une renaturation entre 2011 et 2021 pourraient ouvrir le droit… d’en détruire autant sur la décennie suivante. Par exemple, une commune qui a « renaturé » un espace occupé autrefois par une décharge pourrait détruire une prairie ou un champ de la même surface et ce alors que ces espaces ne sont pas équivalents en matière de biodiversité ni de possibilités agricoles.

Les opposants à l’A69 luttent contre cette autoroute qui exige le bétonnage de 400 hectares de terres. © Patrick Batard / Hans Lucas via AFP

En parallèle de cette proposition de loi, deux décrets, en consultation publique jusqu’au 4 juillet, pourraient modifier les règles d’application du « zéro artificialisation nette ». Contrairement à ce que prévoyait la loi Climat, « la déclinaison du ZAN ne serait plus définie par la région, mais par les élus locaux. L’objectif reste le même, mais sans règles générales qui s’imposent aux documents locaux d’urbanisme », explique Louama Mestrot. En bref, l’application des objectifs chiffrés et soumis à calendrier sera plus laxiste.

Par ailleurs, la nomenclature qui définit ce qu’est un espace artificialisé ou non va être modifiée par un décret. Parmi les changements notables : les parcs et jardins dans les villes pourraient être considérés comme des espaces non artificialisés. Cela a le mérite d’encourager les politiques de nature en ville, mais éloigne là encore des objectifs de préservation de la biodiversité, en mettant sur le même plan prairie, champs et parcs en ville. « C’est un petit recul, car les parcs en contexte urbain sont souvent gérés de manière intensive avec des sols tassés et altérés peu compatibles avec l’accueil de biodiversité », observe Brian Padilla, écologue et ingénieur recherche au Muséum national d’histoire naturelle.

L’Île-de-France, la Corse et les Outre-Mer toujours pas concernés

Enfin, dans la loi Climat, seules les régions couvertes par un schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire (Sraddet) sont concernées par l’objectif de division par deux du rythme de la consommation d’Enaf par rapport à la décennie 2011 – 2021. Mais l’Île-de-France, la Corse et les Outre-Mer sont régies par d’autres documents. FNE Île-de-France avait demandé que la loi corrige cette exception mais n’a pas obtenu gain de cause. Résultat, le schéma directeur de la région Ile-de-France (Sdrif), qui va être soumis au vote lors du conseil régional du 4 juillet, « ne prévoit qu’une diminution de 20 % de la consommation d’espace par rapport à la décennie précédente », se désole Louama Mestrot. S’il est voté, ce Sdrif sera ensuite soumis à enquête publique. L’occasion, pour les habitants, de pousser l’Île-de-France à être plus ambitieuse.

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