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Énergie

Gaz et pétrole : le Royaume-Uni en veut toujours plus

La plateforme pétrolière de Montrose, dans la mer du Nord.

Le Royaume-Uni va accorder des centaines de nouvelles licences d’exploration et d’exploitation pétrolières et gazières en mer du Nord. Les écologistes dénoncent une décision catastrophique pour le climat.

La Méditerranée brûle, l’océan Atlantique bout, la surface de la banquise dégringole, et… l’Europe s’enferre dans les énergies fossiles. Le gouvernement britannique a promis, lundi 31 juillet, d’accorder des « centaines » de nouvelles licences d’exploration et d’exploitation pétrolières et gazières en mer du Nord.

Ce projet, présenté comme un moyen d’accroître l’indépendance énergétique du pays dans le contexte de l’invasion russe en Ukraine, met en péril l’avenir du climat. La neutralité carbone ne pourra en effet pas être atteinte en 2050 si l’humanité développe et exploite de nouveaux champs pétroliers et gaziers, montrait l’Agence internationale de l’énergie dans un rapport daté de 2021.

Emplois, prix et dépendance à la Russie

« Certaines personnes pensent que la meilleure manière de protéger notre environnement est d’abandonner le pétrole et le gaz britannique. Mais ça n’a aucun sens », a déclaré le premier ministre (conservateur) Rishi Sunak dans une vidéo pour le tabloïd The Sun. À le croire, la production d’énergies fossiles au large de l’Écosse serait presque une mesure écologique, dans la mesure où elle éviterait d’importer du gaz venant « de l’autre bout du monde ».

Le dirigeant du parti Conservateur, qui expliquait ce weekend vouloir lutter contre le changement climatique de manière « proportionnée et pragmatique », justifie également cette décision par la nécessité de réduire la dépendance du Royaume-Uni à des pays « hostiles » comme la Russie, de protéger des « milliers » d’emploi, et d’éviter une envolée des prix de l’énergie.

« De l’huile sur le feu climatique »

Cet argumentaire ne tient pas debout, selon Mike Childs, des Amis de la Terre Royaume-Uni. Dans un communiqué de presse, il estime que ces nouvelles licences ne feront que « mettre de l’huile sur le feu climatique », sans améliorer l’indépendance énergétique du pays. Ces combustibles fossiles seront en effet « vendus sur des marchés internationaux, et non réservés à un usage britannique », dénonce-t-il.

Pour Lorette Philippot, des Amis de la Terre France, cette annonce est « une très mauvaise nouvelle » : « Ça va à l’encontre de tout ce que dit la science depuis des années », dit-elle. Outre l’Agence internationale de l’énergie, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a mis en garde, dans son rapport de 2023, contre le développement de nouveaux projets pétroliers ou gaziers.

Si elles ne sont pas fermées de manière anticipée, les infrastructures d’énergies fossiles existantes ont déjà de très grandes chances d’exploser le budget permettant de rester sous la limite des 1,5 °C de réchauffement, indiquaient les scientifiques. En ouvrir de nouvelles atomiserait ces espoirs déjà bien maigres.

La sobriété aux oubliettes

Le gouvernement britannique se veut rassurant ; il assure vouloir créer, en parallèle de ces projets fossiles, deux sites de capture et de stockage du CO₂ en mer du Nord. Mais ces technologies ne sont pour le moment « pas matures », « inefficaces » — puisqu’elles ne visent qu’une partie limitée des émissions —, et surtout « hyper coûteuses », déplore Lorette Philippot.

« Ça nous détourne des véritables solutions pour le climat et l’indépendance énergétique : le développement des renouvelables, la rénovation thermique des bâtiments, la sobriété… Ces mesures urgentes sont laissées de côté au profit de l’industrie pétrolière et gazière », regrette-t-elle.

Tendance

Le directeur du think tank européen Strategic Perspectives, Neil Makaroff, déplore un « retournement de veste assez surprenant » du Royaume-Uni ; jusqu’à présent, explique-t-il, le pays était en effet perçu comme « très proactif sur la scène internationale » en matière d’écologie.

La situation est d’autant plus préoccupante que le gouvernement britannique n’est pas le seul, en Europe, à s’embourber dans le marécage fossile. Dans un récent rapport, le réseau Bankwatch montre que les gouvernements polonais, croates et bulgares envisagent d’investir plusieurs centaines de millions d’euros dans la construction de nouvelles infrastructures gazières.

Signaux négatifs

La France n’est pas en reste : main dans la main avec TotalÉnergies, elle s’apprête notamment à importer massivement du gaz naturel liquéfié (GNL) via un nouveau terminal flottant, au Havre. D’ici la fin de l’année, il devrait débarquer 3,9 millions de tonnes de GNL par an, en provenance des États-Unis, du Qatar et d’Afrique, selon les informations des Échos.

L’Allemagne inaugure elle aussi, à tour de bras, de nouveaux terminaux pour importer du gaz liquéfié. L’argument brandi pour justifier ces dépenses climaticides est, à nouveau, la recherche de sécurité énergétique.

Le développement de ces infrastructures gazières émet des signaux « très négatifs » à l’international, regrette Neil Makaroff. Ils sont également très coûteux pour les contribuables européens, et risquent d’alimenter « un discours politique néfaste contre la transition écologique ». Cette dernière est pourtant l’option « la moins coûteuse et la plus efficace pour assurer notre sécurité énergétique », assure-t-il. « Si l’on veut vraiment être indépendant, il n’y a pas grand-chose de mieux à faire. »

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