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Le jet privé de Bernard Arnault a été vendu : « C’est une première victoire »

Bernard Arnault à l'École polytechnique (Saclay), en 2017.

Depuis plusieurs mois, un internaute traque sur Twitter les vols de jet privé de milliardaires. Dont Bernard Arnault, qui vient de vendre son avion privé. C’est une « première victoire », estime l’animateur de I Fly Bernard.

Le milliardaire Bernard Arnault a indiqué le 17 octobre au micro de Radio classique - qui appartient à LVMH, le groupe que préside M. Arnault - avoir vendu le jet privé de son groupe LVMH. Les déplacements de cet avion étaient « traqués » depuis le printemps par plusieurs comptes sur les réseaux sociaux (« I Fly Bernard » sur Twitter et « L’avion de Bernard » sur Instagram).

Bernard Arnault continue toutefois de prendre des jets privés : désormais, il les loue incognito. Selon l’homme à l’origine du compte Twitter « I Fly Bernard », qui souhaite rester anonyme, cette première victoire montre que l’utilisation d’avions privés n’est plus acceptée par le reste de la population.



Reporterre — Bernard Arnault a vendu son jet privé, mais loue désormais des avions privés. Les polémiques de cet été sur ce mode de transport n’ont pas provoqué de prise de conscience chez les ultra-riches ?

I Fly Bernard — Si l’objectif de ces actions de « tracking » de jets privés avait été de viser « la prise de conscience des ultra-riches », nous aurions été naïfs, pour rester poli. Le but était de montrer le comportement écocide de cette classe sociale lorsque, dans le même temps, le gouvernement demandait aux gens de « couper le wifi » ou de « mettre un col roulé ».

Le fait que LVMH ait vendu leur jet — même s’ils en utilisent un autre — prouve qu’ils savent que ce moyen de transport n’est plus moralement accepté par le reste de la population. Ils se cachent, désormais. C’est une première victoire.

L’objectif de ce compte Twitter était donc de « nommer l’ennemi » de l’écologie, à savoir les ultra-riches ?

Les rapports Oxfam/Greenpeace démontrent sans ambiguïté le lien entre inégalités de richesses et impact sur l’environnement. Le constat est simple : ce sont les plus riches qui polluent le plus.

Si on veut réussir la transition écologique — qui n’a toujours pas commencé sous M. Macron —, toute la population doit participer. « Toute » signifie les plus riches également. Ce sont eux les plus gros pollueurs, c’est à eux de faire les plus gros efforts en premier. Cela semble évident, mais le gouvernement ne fait rien dans ce sens depuis cinq ans, voire leur épargne des efforts, tandis qu’il culpabilise le reste de la population en lui demandant de baisser le chauffage.

Ceux qui défendent les ultra-riches — oui, des gens y passent du temps, c’est étonnant — évoquent le fait qu’ils représentent un tout petit pourcentage de la population, et que les obliger à moins polluer ne sauvera pas la planète. C’est oublier que faire participer à l’effort climatique cette classe très favorisée serait un symbole très fort pour le reste des citoyens, qui se diraient « Je peux faire des efforts à mon petit niveau vu que les “gros” en font aussi ». La force du symbole n’est pas négligeable.


Vous ne pouvez donc plus suivre les déplacements de Bernard Arnault sur le compte Twitter « I Fly Bernard ». Mais vous documentez les déplacements d’autres personnalités : Vincent Bolloré, François-Henri Pinault... Pourquoi ce choix ?

Le premier choix était de recenser les jets privés de tous les milliardaires français. Cependant, la difficulté à trouver ce genre d’informations a été un premier obstacle. J’ai donc dû réduire la liste aux propriétaires que j’ai pu identifier et confirmer.

« Pointer le curseur de la culpabilité climatique du bon côté »

J’ai visé les milliardaires français — et non pas les footballeurs, par exemple —, car non seulement ils polluent énormément avec leurs jets, mais en plus, leurs autres activités se font également au détriment de l’environnement. Entre autres, ils sont propriétaires de journaux qui dénoncent à longueur d’articles la moindre proposition progressiste pour faire avancer la cause écologique ou sociale.


Le ministre des Transports Clément Beaune a affirmé qu’il fallait « réguler » les vols en jets privés, les députés ont discuté la potentielle suppression de l’avantage fiscal des jets privés… Qu’en pensez-vous ?

Faire confiance à ce gouvernement pour réguler les jets privés, ou toute autre mesure sur le climat, c’est comme de compter sur une « prise de conscience des ultra-riches ». La parole d’Emmanuel Macron sur ces sujets est complètement décrédibilisée depuis son renoncement sur la Convention citoyenne pour le climat : il devait reprendre leurs propositions sans filtre et les a finalement mises à la poubelle. Emmanuel Macron choisit et choisira toujours ses intérêts politiques et économiques contre ceux de l’environnement. Il est illusoire de compter sur une simple régulation des jets privés par le gouvernement dont fait partie M. Beaune.

D’un point de vue plus général sur les thèmes écologiques, sans vouloir donner une coloration politique à ce compte Twitter, il faut constater que seule la Nupes [1] porte ces sujets pour le moment. Mais elle est minoritaire à l’Assemblée nationale. Donc, rien n’avancera jusqu’aux prochaines élections. C’est déprimant, puisqu’il est déjà presque trop tard pour éviter la catastrophe climatique.

J’espère quand même modestement avoir fait avancer le débat, et pointé le curseur de la culpabilité climatique du bon côté. C’est déjà ça de pris.

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