Reportage — Déchets nucléaires
Le mouvement antinucléaire s’est réunifié au Larzac

Aux Résistantes, sur le plateau du Larzac, le 6 août 2023. - © David Richard / Reporterre
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Déchets nucléaires Nucléaire LuttesLe mouvement antinucléaire français s’est rabiboché aux rencontres des Résistantes après une décennie de querelles. Il affiche la volonté de redevenir une composante incontournable de la lutte écologiste.
Du 3 au 6 août, près de 150 collectifs des luttes locales de France se sont réunis au Larzac. La rédaction de Reporterre était sur place pour vous faire vivre ce rassemblement historique.
La Couvertoirade (Aveyron), reportage
« C’est un moment historique, celui de la relance du mouvement antinucléaire ! Vous pourrez dire, “Le 6 août 2023, j’y étais”. » Angélique Huguin, de Stop Cigéo, ne cache pas sa joie, partagée par les quelque deux cents activistes présents ce dimanche sous le chapiteau Le muscardin, au Larzac.
On y compte presque autant de jeunes que de militants aux cheveux blanchis, car c’est bien un renouvellement de la lutte qui s’est opéré ce jour avec l’assemblée générale de la Coordination antinucléaire (CAN). Dans une double avancée : réunifier un mouvement qui a pu se diviser, et opérer la jonction avec l’ensemble du mouvement écologiste présent lors des journées des Résistantes.

D’où venait l’épuisement du mouvement ? « Il y a eu la crise en 2010 au sein du Réseau Sortir du nucléaire, alors qu’il était en plein essor », explique Stéphane Lhomme, de l’Observatoire du nucléaire. Le Réseau était alors la colonne vertébrale du mouvement antinucléaire. « Mais aussi », poursuit Lhomme, « le fait que le nucléaire se cassait alors la gueule. »
Nouveaux réacteurs et déchets à enterrer
Pendant la décennie 2010, les antinucléaires se sont épuisés en querelles, tandis que la catastrophe de Fukushima mettait un coup d’arrêt à l’énergie atomique et que la préoccupation climatique occupait la plus large partie de la préoccupation écologiste.
Mais depuis, « deux dynamiques se sont rencontrées », dit Angélique Hugin : « La lutte à Bure contre le projet Cigeo d’enfouissement des déchets radioactifs », relancée à partir de 2016, « et l’annonce par Macron en 2022 de nouveaux EPR ». Les divers mouvements ont recommencé à dialoguer, et le 16 février 2023, une première assemblée générale les a réunis à Tours (Indre-et-Loire).

La première tâche est de réarmer idéologiquement le mouvement. L’influence de Jean-Marc Jancovici, qui promeut le nucléaire sous couvert de défense pour le climat, est particulièrement stigmatisée : « Il défend une vision autoritaire du monde — un gouvernement fort piloté par des experts — et a une vision masculiniste de la société », analyse Didier Latorre d’Arrêt du nucléaire 34 (ADN).
L’influence de M. Jancovici a été d’autant plus déplorée que le président du Shift Project — aussi critiqué en raison des financements de celui-ci par de très grandes entreprises — multiplie les erreurs, voire les mensonges, comme l’a montré notamment Le monde sans fin corrigé par Ghislain Dubois, cité par plusieurs personnes dans l’assemblée.

Deuxième tâche, reformuler l’argumentaire. Marion Rivet, du Réseau Sortir du nucléaire, insiste ainsi sur « l’impact du nucléaire sur les ressources en eau, dans une période de réchauffement », y voyant la possibilité d’une « convergence entre mouvement antinucléaire et mouvement climat ».
« Le coup d’État au Niger rappelle l’histoire coloniale du nucléaire français »
Le mythe de l’indépendance est aussi dénoncé, alors que « des cargos russes livrent de l’uranium à la France », observe Pauline Boyer, de Greenpeace, « et que le coup d’État au Niger rappelle l’histoire coloniale du nucléaire français ».
Le lien vital entre nucléaire civil et militaire a été souligné en un jour anniversaire du bombardement d’Hiroshima, alors que des grands journaux scientifiques viennent de publier un article commun appelant « les professionnels de la santé à alerter le public et nos dirigeants sur [le] danger majeur [d’une guerre nucléaire] pour la santé publique et les systèmes vitaux essentiels de la planète ».

Autre angle, crucial, l’économie : « C’est une industrie ruineuse, la France va vers un désastre financier, l’argent va manquer », affirme Stéphane Lhomme. Selon lui, les dizaines de milliards d’euros investis dans le nucléaire vont manquer aux politiques d’économie d’énergie et aux renouvelables.
Greenpeace devrait publier à l’automne un rapport sur ce thème. « Nucléaire bon pour le climat ?, dit Pauline Boyer. La France devrait réduire de moitié ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, mais d’ici quinze ans, rien ne sera évité par le nucléaire ». En effet, les premiers réacteurs EPR2 sont censés être opérationnels en 2037 au mieux. « Il faut aller vers la sobriété, l’efficacité, et les énergies renouvelables », affirme-t-elle.

Enfin, le mouvement antinucléaire veut renouer avec les autres luttes écologistes et avec le combat pour les libertés. « Ce qu’il y de passionnant avec la thématique nucléaire, c’est qu’elle relie toutes les luttes », dit Pauline Boyer, elle-même éveillée à l’activisme par le mouvement climat. En rappelant, selon Didier Latorre, que la lutte antinucléaire est « un socle de la lutte écologique en France ».
Dans l’enthousiasme, la Coordination antinucléaire a travaillé en groupes régionaux. Des dates d’actions collectives ont été fixées pour l’automne et pour 2024, à commencer par le 23 septembre prochain, avec des marches pour un monde sans armes nucléaires, à articuler avec la marche contre le racisme et les violences policières qui aura lieu le même jour. Un moment historique, ce 6 août ? L’avenir le dira. Mais le mouvement antinucléaire est de nouveau debout.