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EnquêteNucléaire

Le nucléaire n’est pas bon pour le climat

Portés par un puissant lobbying, les pronucléaires tentent de séduire l’opinion publique. « Le nucléaire n’émet pas de gaz carbonique », vraiment ? L’atome n’est ni anodin pour le climat, ni pour les citoyens. Enquête [1/5]

[1/5 — Le nucléaire n’est pas bon pour le climat] Face aux lobbies qui présentent le nucléaire comme LA solution au défi climatique, Reporterre a mené l’enquête. Comment l’atome s’est-il imposé dans le débat public ? Un accident grave est-il possible en France ? La sobriété n’est-elle pas la meilleure solution à l’urgence climatique ? Une enquête en cinq parties.



Alors, le nucléaire, bien ou mal ? Écoutez cette journaliste du quotidien patronal L’Opinion : « La prétendue impossibilité de démanteler les centrales, la prétendue incapacité à traiter les déchets, relèvent de la fausse information. Et le nucléaire civil, quand on parle de son danger, de ses explosions, a fait dans toute son histoire moins de 1 000 victimes ». D’ailleurs, affirme-t-elle aussi : « Être antinucléaire, c’est l’équivalent climatique d’être antivax : le refus de la raison » [1].

Dans le fil d’une telle argumentation, on comprend qu’il soit permis d’injurier les responsables politiques qui prétendraient sortir du nucléaire : un nucléariste anonyme règle ainsi son compte à Jean-Luc Mélenchon : « Qu’est-ce qu’il est nul ! [2] » ; un autre renchérit : « Sérieusement, quel abruti. [3] » Et à propos d’une comédienne qui exprime sa crainte légitime d’un accident nucléaire, les « quelle conne » fusent de la part des trolls nucléaristes.

Un patient travail de lobbying

Ces personnages ne se permettraient pas de telles saillies si un patient travail de lobbying n’avait préparé l’opinion, depuis des années, à croire des sornettes.

Comme le disait l’ancien ministre de la Transition écologique François de Rugy, EDF est un des trois lobbies auquel il a été confronté, avec ceux de l’automobile et de la chasse [4]. Le Premier ministre Édouard Philippe était un ancien directeur d’Areva, un des pivots français de la filière nucléaire (devenue Orano après sa quasi-faillite).

Le nucléaire, vert ? (Ici, la centrale nucléaire de Cruas, en Ardèche.) Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Maarten Sepp

À Bruxelles, le lobby nucléaire, au sein duquel les Français sont les plus actifs, comptait en 2021 vingt-sept organisations employant 119 personnes et dépensant 7,9 millions d’euros par an pour peser sur les choix européens. Mais, à vrai dire, c’est toute la classe dirigeante française qui constitue le lobby nucléariste, tant par les écoles d’élite Polytechnique et Mines, qui ont formé l’ossature de la filière depuis des décennies, que par la majorité actuelle des partis politiques.

L’offensive a été relancée vigoureusement depuis quelques années, avec les moyens de l’époque : une utilisation assidue des réseaux sociaux, des youtubeurs et des médias parfois payés pour parler des déchets nucléaires, tels Usbeck et Rica ou Le Drenche - celui-ci relayé sur le site de Ouest-France -, des chroniqueurs partisans comme Emmanuelle Ducros, ou des personnages pleins d’aplomb comme Jean-Marc Jancovici, à la tête du Shift Project. Tout cela est favorisé par l’ignorance fréquente des journalistes, comme le reconnaît honnêtement une journaliste de BFMTV : « Je prépare une chronique sur [le] nucléaire/renouvelable pour ce soir… mon niveau de méconnaissance est abyssal. Nous (journalistes) avons besoin de formation sur les questions énergétiques d’urgence ne serait-ce que pour comprendre les ordres de grandeur. »

Raisonner et s’informer avant de décider

Donc, avant d’être favorable à une relance du nucléaire en France, ou à d’autres solutions, il faut se libérer de la propagande, et raisonner en s’informant. Reprenons l’affaire à la base. Tout part du sophisme que voici : « Le nucléaire n’émet pas de gaz carbonique, le gaz carbonique est mauvais pour le climat, donc le nucléaire est bon pour le climat. » Le raisonnement semble très convaincant, mais il ne nous apprend en fait pas grand-chose.

Ou pas davantage que deux autres sophismes tout aussi convaincants : « Les énergies renouvelables n’émettent pas de gaz carbonique, le gaz carbonique est mauvais pour le climat, donc les énergies renouvelables sont bonnes pour le climat » ; ou « Économiser l’énergie n’émet pas de gaz carbonique, le gaz carbonique est mauvais pour le climat, donc économiser l’énergie est bon pour le climat ».

Les trois raisonnements étant également pertinents, plusieurs choix se proposent, si l’objectif est d’arrêter d’émettre des gaz à effet de serre : adopter soit l’une des trois voies proposées, soit une combinaison des trois ensemble, soit une combinaison de deux voies (nucléaire et solaire, nucléaire et économies d’énergies, économies d’énergie et énergies renouvelables). Sept choix sont possibles !

Donc, pour opérer le bon, il faut analyser comment les solutions proposées répondent à des critères autres que l’émission de gaz à effet de serre, paramètre pour lequel elles sont à égalité. Ces critères vont porter sur la dangerosité éventuelle des solutions, sur leur faisabilité, sur leur coût, sur ce qu’elles impliquent pour la vie quotidienne, sur le type de société qu’elles impliquent.


C’est ce que nous allons explorer dans les parties suivantes de l’enquête de Reporterre :

L’accident qui ne doit pas arriver

Le propre d’un accident grave est qu’il est toujours imprévu, et que son ampleur dépasse les protections envisagées. Les catastrophes nucléaires sont ainsi rares, mais bouleversantes. Et leurs conséquences sont gigantesques, tant sur le plan humain qu’économique. Elles se font sentir sur des décennies en raison de la contamination radioactive des territoires. Le scénario d’un accident grave en France a été étudié par l’IRSN. Il est tragique.

Un accident nucléaire peut-il se produire en France ?

Guerres, cyberattaques, dérèglement climatique... Les causes possibles d’accidents graves sont nombreuses. Et en France, les réacteurs vieillissants gérés par une entreprise en difficulté financière soulèvent la crainte qu’un accident majeur puisse se produire. Les responsables de la sûreté nucléaire lancent des avertissements répétés sur la fragilité de la filière.

Relancer le nucléaire ? Une mauvaise affaire pour le climat

Dans le monde, le nucléaire est en déclin, largement supplanté par les énergies renouvelables. Car celles-ci ont énormément progressé techniquement et économiquement, quand le nucléaire stagnait dans une technologie très datée. Pourtant, la France prévoit de relancer le nucléaire. Le scénario sur lequel se base cette relance repose sur des hypothèses fragiles. Le nucléaire risque fort de nous coûter cher.

Nucléaire ou sobriété, il faut choisir

L’obsession des conservateurs pour le nucléaire permet de repousser le débat sur la sobriété. Celle-ci est pourtant le moyen prioritaire pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Mais la sobriété suppose une réduction forte des inégalités, et donc une vision de la société tout autre que l’imaginaire nucléariste.

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