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Culture et idées

Le réveillon de Noël n’a pas toujours été comme aujourd’hui. Petite histoire d’un repas fétiche

La norme du repas de Noël semble bien installée. Mais cela n’a pas toujours été le cas : depuis les premières célébrations du réveillon au Moyen-Âge jusqu’à l’apparition de très contemporains menus véganes, notre alimentation de fête a beaucoup changé. Et raconte l’histoire de la société.

Ouvrez les papilles et la boîte à souvenirs, jouons à un petit jeu : si l’on vous demande quelques idées d’entrées, plats et desserts typiques d’un repas de Noël, que citez-vous ? Il y a fort à parier qu’huîtres et saumon figurent au menu des entrées, qu’une dinde trône sur la table pour le plat principal, et que la bûche vienne clore le festin. Pourquoi ces aliments-là ? Est-ce le fruit de traditions ancestrales ou du marketing américain ? « Les mots “traditionnel” ou “authentique” n’ont ici pas beaucoup de sens », explique Florent Quellier, professeur d’histoire moderne à l’université d’Angers.

À la veille du réveillon de Noël, Reporterre vous offre une petite plongée dans les entrailles de l’histoire culinaire afin de vous apporter quelques informations croustillantes pour égayer votre table.

Comme nous vous le racontions l’année dernière, la date de Noël — célébration de la naissance de Jésus - « a pris la place des fêtes du solstice d’hiver », selon Bruno Laurioux, historien médiéviste et président de l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation (IEHCA). La période est propice à la fête dans des sociétés encore largement paysannes : « C’est une période de relatif repos dans le calendrier agricole, et un moment où la viande est disponible, car on tue le cochon l’hiver », indique Florent Quellier.

Repas maigre et repas gras

À écouter nos historiens, Moyen-Âge et époque moderne semblent se dérouler dans une relative continuité. Quand la fête chrétienne a pris le dessus, elle a imposé son menu. Car toute veille de célébration religieuse suppose « un moment de pénitence. Il faut se recueillir avant la fête, comme le carême avant Pâques », dit Bruno Laurioux. Il y a donc un repas maigre le 24 au soir, suivi de la messe de minuit, puis, au retour, un repas gras. « À minuit et une minute, on peut consommer de la viande, vous passez d’un jour maigre à un jour gras, il y a donc deux repas », complète Florent Quellier. D’où l’origine du terme de réveillon : on veille, puis on « re-veille ». Le réveillon est donc le repas gras. « Sous l’Ancien Régime, le terme n’était pas réservé à Noël, il pouvait être utilisé dans diverses situations de fêtes religieuses ».

Le repas maigre a laissé des traces dans nos habitudes. En Provence, on s’abstient encore dans certaines familles de manger de la viande le soir du 24, préférant le poisson. Et le saumon, les huîtres ou les fruits de mer, considérés comme des aliments maigres, ne sont-ils pas aussi des restes de ces règles religieuses ? « Les huîtres sont un aliment de maigre classique, mais elles ne sont pas particulièrement associées à Noël. On a des recettes d’huîtres cuites dès le Moyen-Âge. Sauf pour les régions côtières, elles restent un aliment luxueux jusqu’à la fin du XVIIIe siècle », explique Bruno Laurioux.

Autres aliments autorisés pendant les périodes maigres, les denrées sucrées. « Cela a fait l’objet de débats, peut-on manger du sucré — une nourriture qui procure du plaisir — pendant les périodes de pénitences ? » raconte Bruno Laurioux. « Mais il n’est pas interdit. » Au contraire, « il y a une habitude du don d’aliments autour de Noël, poursuit son confrère Florent Quellier, spécialiste de la période dite moderne (de la Renaissance à la Révolution française). On s’inscrit dans un cycle de festivités qui commence avec la Saint-Nicolas et dure jusqu’à l’Épiphanie [1]. On est dans une société de pénurie et en plein hiver en plus, ces dons alimentaires sont de bon augure pour l’année à venir. » Les cadeaux dépendent de la catégorie sociale. Fruits secs, noix, amandes, noisettes et petits pains pour les plus pauvres. À une époque où le pain rassis et noir est la règle, « il faut imaginer que l’immense majorité population salive pour du pain blanc et frais, c’est la principale gourmandise, poursuit M. Quellier. Pour ceux qui ont les moyens, on s’offre des fruits confits, des brioches, du vin, des gaufres, des pains d’épices. On retrouve des moules pour faire des pains d’épices en forme de personnages ou autres. » En revanche, l’orange ou l’agrume de Noël, importée de la Méditerranée, n’apparaît que sur les tables les plus fortunées.

Un moule à pain d’épices alsacien représentant le roi David avec sa harpe (milieu du XVIIe siècle).

De la volaille, grasse et rôtie

Une fois passée la période de pénitence, on peut, enfin, passer au repas gras. « Ce sera de la viande, mais à l’époque moderne, il n’y a pas de plat spécifiquement lié au repas de Noël », indique Florent Quellier.

Il peut y avoir, comme on l’a déjà indiqué, du cochon, tué en hiver. Surtout, la volaille est reine. « Les volatiles sont la viande de référence au Moyen-Âge, explique Bruno Laurioux. Dans l’échelle des aliments, tout ce qui est près du ciel est valorisé. » « On recherche de la viande rôtie, complète Florent Quellier. C’est ce qui marque le côté festif. Car pour qu’une viande rôtie soit bonne il faut qu’elle soit grasse, et on veut manger de la viande grasse. » Oie, chapon, ou même canettes puis dinde. « D’origine américaine, la dinde est arrivée au XVIe siècle. Elle a été à la mode au moment de son introduction, puis c’est devenu une variation parmi d’autres », précise Bruno Laurioux. L’oiseau peut-être farci. « Au XVIIIe siècle, dans les journaux, on trouve des annonces pour des volailles et des pâtés truffés. »

Des plaisirs réservés aux élites pendant très longtemps. Il est plus compliqué de savoir ce que mangeait la paysannerie, car il y a moins de sources. Il n’est pas dit que le repas de Noël, mis à part dans les quantités servies, qui permettent de mimer l’abondance, ne sorte de l’ordinaire. Or, « pour l’immense majorité de la population, ce que l’on mange en général est une soupe avec un peu de beurre rance et du lard », note Florent Quellier.

Et quand on a accès à la viande, ce n’est en général pas de la viande rôtie, mais plutôt de la bouillie : la vieille poule qui ne pond plus d’œufs que l’on met dans la soupe. « La viande de quadrupèdes, tels que le porc ou le bœuf, est considérée comme de la viande de paysan », ajoute Bruno Laurioux.

Puis les aliments autrefois luxueux se retrouvent sur toutes les tables

Les choses changent à l’époque contemporaine. « Dans le dernier quart du XIXe siècle, la chute du prix du pain permet aux gens pauvres et de la classe moyenne d’acheter plus souvent de la viande », observe Peter Scholliers, professeur honoraire d’histoire contemporaine à l’Université libre de Bruxelles. Il pense que beaucoup d’observations sur la Belgique peuvent être communes à la France. Dans les livres de cuisine, il ne trouve des indications de menus de Noël qu’à partir du début du XXe siècle : « Après la Première Guerre mondiale, dans les livres de cuisine paysanne, le porc est au centre du repas de Noël, il est préparé avec des pommes de terres. Les volailles aussi sont présentes dans les menus, mais cela reste des plats luxueux pour l’époque. »

Notons l’apparition de la bûche, sans doute sous forme d’un gâteau roulé, chez les pâtissiers dans la deuxième moitié du XIXe siècle. «  Elle est inspirée de la vraie bûche de Noël, quand on la mettait dans le foyer, on priait pour l’année à venir », raconte Nadine Cretin, historienne spécialiste des fêtes.

« Mais c’est surtout après la Deuxième Guerre mondiale que l’on voit apparaître le repas de Noël dans les livres de cuisine », poursuit M. Scholliers. « D’abord, le luxe est la quantité. Puis à partir des années 1960-1970, ça s’accélère, le repas de Noël commence à devenir plus complexe, recherché, sophistiqué. On commence à élever des volailles spécifiquement pour le repas de Noël. On la voit apparaître comme aliment de luxe pour la classe populaire. » Il n’observe, dans ces livres, le grand retour de la dinde que dans les années 1980. « C’est l’influence anglo-saxonne », indique-t-il. « Le prix des oranges, lui, devient abordable pour tous dans les années 1970. »

Les aliments autrefois réservés à une infime classe aisée se répandent sur toutes les tables. « Mais je n’aime pas parler de “démocratisation”, précise Peter Scholliers. Car du moment où les classes populaires commencent à manger de la volaille ou du saumon, les plus riches gardent énormément de moyens de montrer leur différence avec les classes inférieures. Elles vont par exemple choisir un saumon livré directement de Norvège, qui coûte dix fois plus cher que celui du supermarché. Une hiérarchie culinaire se fait et le repas de Noël est un excellent moyen d’afficher son identité et son appartenance sociale. »

Le repas de Noël, par ailleurs, est un bon indicateur des évolutions alimentaires de nos sociétés. « Maintenant, on propose même des repas de Noël véganes, je n’observais pas cela il y a cinq ans », note Peter Scholliers.

En revanche, il y a une constante : « Noël est considéré comme le moment de la bonne chère », rappelle Florent Quellier. « La table de Noël doit être très fournie, car l’abondance promet l’abondance », complète Nadine Cretin. Dans nos sociétés où les mauvaises récoltes sont bien moins craintes, l’origine du symbole s’est un peu diluée, mais la pratique, elle, reste bien vivante…

Bon appétit et bon réveillon !

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