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Le véritable (et peu glorieux) bilan du CAC 40

76 pages d’enquêtes. Six chapitres. Des centaines de chiffres. L’Observatoire des multinationales a publié jeudi 19 novembre son rapport intitulé « CAC40 : le véritable bilan annuel ». Un énorme travail d’enquête qui analyse le bilan des grandes entreprises françaises et qui montre une chose : malgré la crise, les grosses entreprises continuent de prospérer, en faisant fi de leur impact écologique et social.

En effet, la plupart ont bénéficié de massives aides publiques, sans réelles contreparties, notamment le transport aérien ou encore l’industrie automobile.

Certains groupes comme Total ou Sanofi ont prétendu ne pas avoir bénéficié d’aides de l’État parce qu’ils n’avaient pas eu recours au chômage partiel ou aux reports de charges. En réalité, les pouvoirs publics ont débloqué bien d’autres formes de soutien financier, direct et indirect, dont ces groupes ont profité. De plus, seulement huit groupes ont supprimés leurs dividendes, contraints par le gouvernement ou la banque centrale. Huit autres ont au contraire augmenté leurs dividendes.

Ces entreprises ont ensuite multiplié les annonces de suppressions d’emplois en France et dans le monde car le gouvernement n’a pas posé de réelles conditions à l’octroi de ses aides, mis à part la suspension des dividendes pour les prêts garantis et pour les reports de charges.

Coté emploi, le tableau n’est pas meilleur. Les effectifs du CAC 40 ont baissé de 12 % depuis l’an 2000, alors qu’en parallèle, les dividendes ont été multipliées par quatre. Certaines entreprises sont engagées dans une politique de réduction des effectifs comme Carrefour (- 15 % sur deux ans), la Société générale (- 6 %) ou encore Sanofi (- 5,8 %). Et les augmentations d’effectifs sont souvent dues à des fusions plutôt qu’à de vraies créations d’emploi.

Les patrons du CAC 40 continuent à toucher des rémunérations stratosphériques, alignées sur les intérêts des marchés financiers et de plus en plus déconnectées de la réalité des salaires au sein de leurs groupes. En 2019, leur rémunération moyenne a atteint 5,5 millions d’euros et la part variable, liée à des critères financiers et boursiers, représente plus de 75 % de cette rémunération.

Notons également que pour la première fois cette année, le CAC 40 a dû publier des « ratios d’équité » censés comparer la rémunération des dirigeants à celle des salariés moyens. L’enquête de l’Observatoire démontre que de nombreuses entreprises ont calculé ce ratio de manière délibérément biaisée, pour cacher l’ampleur des inégalités en leur sein.

Enfin, ces entreprises n’ont toujours pas pris un virage écologique et pèsent à elles seules 5 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Depuis 2017, la baisse de leurs émissions s’établit à 3,13 %, surtout grâce à Engie, qui s’est lancé dans une politique de désinvestissement de ses actifs liés au charbon. Si l’on enlève Engie, les émissions du CAC 40 sont en réalité en hausse de 2,6 % depuis 2017.
De plus, vingt firmes de l’indice boursier parisien ont encore augmenté leurs émissions entre 2017 et 2019, dont le groupe pétrolier Total (+ 3,3 % en deux ans), qui représente près de 30 % des émissions du CAC 40.

Le champion du grand écart entre les discours et la réalité est le groupe Danone. Il s’est donné cette année le statut d’« entreprise à mission », énumérant des objectifs plus vertueux les uns que les autres : « améliorer la santé », « préserver la planète », « construire le futur »... Dans le même temps, Danone émet davantage de gaz à effet de serre, y compris rapportés à ses effectifs et à son chiffre d’affaires, génère davantage de déchets, et consomme davantage d’eau, de plastique et d’huile de palme.

Au-delà de tous les chiffres, ce millésime 2020 de CAC 40 pose aussi et surtout une question essentielle. Avec la crise sanitaire provoquée par le Covid-19, il a beaucoup été question de souveraineté, de relocalisation et de « monde d’après ». Mais au final, on assiste à un renforcement de l’emprise des grands groupes et une érosion supplémentaire de leur responsabilité démocratique vis-à-vis du reste de la société. Ils ont capté la plus grosse parties des aides débloquées par les pouvoirs publics sans qu’elle ne soient assorties d’aucune contrepartie réelle.

Avec la crise sanitaire, le gouvernement semble plus convaincu que jamais que son seul salut est de soutenir toujours davantage les multinationales françaises, avec pour résultat de s’en rendre encore plus dépendants et de les laisser capter davantage les richesses. Ce « véritable bilan annuel » se penche justement sur la réalité des chiffres et des faits, occultée par cet habillage publicitaire. « Il y a donc plus besoin que jamais de règles du jeu contraignantes, de transparence, de débat démocratique contradictoire, et généralement de sortir les pouvoirs publics de leur servitude volontaire envers les grandes entreprises. Mais c’est la direction inverse qui est empruntée depuis des années, et de manière encore plus marquée depuis les débuts de l’épidémie », estime Olivier Petitjean, responsable du rapport.

Une version imprimée du rapport sera bientôt disponible sur demande, au prix de 20 euros. Une manière de soutenir le travail de l’Observatoire des multinationales, un organisme totalement indépendant.

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