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ReportagePolitique

Les écologistes d’EELV veulent faire place aux classes populaires

Les Verts aux Journées d'été du parti, le 24 août 2023.

Pour sa rentrée politique, EELV cherche à se renouveler et à élargir sa base électorale. L’inclusion des quartiers populaires, des personnes racisées et des zones rurales était au cœur de leurs Journées d’été.

Le Havre (Normandie), reportage

Sur les docks du Havre, les tables dressées sont recouvertes de houmous et autres tartines végétariennes. Sénateurs, députés et élus écologistes affluent pour servir les militants et partager un moment de discussion, selon la tradition du parti lors de ces Journées d’été. Il est à peine midi, et en cette deuxième journée des « JDE » la légère tension qui a précédé la l’échange entre Marine Tondelier et le rappeur Médine s’est évanouie avec la nuit, tout comme la polémique. Rassasié, le public se presse dans les salles du bâtiment, où une programmation fournie les attend : conférences et tables rondes sur les luttes environnementales, LGBTQIA+, antiracistes, quartiers populaires et ruralités… Afin de sortir de l’entre-soi militant qui lui est reproché, Europe Écologie-Les Verts (EELV) a l’ambition d’inclure davantage les personnes issues de la mixité sociale et des territoires.

Assise sur une chaise dans sa veste à fleurs, Mélissa Camara n’hésite pas à évoquer le manque de représentativité des classes populaires et des quartiers défavorisés chez les élus des Verts, qui ont selon elle tardé à se saisir du problème. Élue au conseil municipal de Lille, elle se souvient de la campagne de Yannick Jadot à la dernière présidentielle, et des opérations de tractage dans le quartier du Lille Sud populaire où elle habite. « Quand on faisait du porte-à-porte, rien de ce qu’on racontait, ni nos tracts, ni notre communication n’avait d’écho chez les gens de mon quartier, raconte-t-elle. Je suis entrée en politique pour ces raisons : j’en avais marre de ne pas voir de gens racisés, issus de quartiers populaires, du milieu ouvrier. »

Les Verts veulent inclure davantage de personnes racisées et issues des quartiers populaires. © Jérémy Paoloni / Reporterre

Chargée des formations au sein du parti, elle a espoir de changer les choses. D’autant que cette année EELV s’est lancé dans une refonte du parti avec ses états généraux. La restitution de ce travail aura lieu en octobre prochain. L’enjeu est colossal : « Aux dernières élections, aucun parti de gauche n’a pu envoyer d’ouvriers à l’Assemblée. On fait des programmes d’émancipation, on travaille sur les inégalités mais on n’arrive toujours pas à intégrer de la diversité à nos élus, soupire Mélissa Camara. La vraie victoire, ce sera quand des gens comme mes parents, mes cousins, qui n’ont pas fait d’études, pourront arriver dans des assemblées et y confier leur quotidien. »

« L’écologie existe dans ces territoires »

Dans la grande salle du hall, le public est nombreux pour écouter un échange qui cible les quartiers populaires : « Racisme dans la police, mépris des quartiers, sortons de l’impasse » affiche la programmation. Sur scène, Sabrina Sebaihi intervient en tant que députée des Hauts-de-Seine, originaire d’un quartier prioritaire. Elle fait partie des députés des Verts ayant signé une tribune appelant le parti à « sortir de l’entre-soi », publiée récemment dans le journal Libération. Dans ce texte, des élus signataires originaires de classes sociales populaires rappellent « l’exception statistique » qu’ils représentent au sein des Verts.

« Dans les groupes locaux, il y a beaucoup de diversité, mais plus on gravit les échelons plus il y a de l’entre-soi, des personnes issues de catégories CSP+ [catégorie socio-professionnelle regroupant cadres et chefs d’entreprise] avec une formation Sciences Po », soupire Sabrina Sebaihi, en repensant à son propre parcours. Quand on est issu des quartiers populaires, « c’est difficile de se sentir à sa place dans une réunion des militants écologistes, entourés de personnes qui citent des ouvrages et des auteurs inconnus pour vous qui n’avez pas eu la même éducation et accès à la culture générale », explique-t-elle.

C’est pour une meilleure réflexion sur les discriminations qu’Abdoulaye Diarra a intégré la commission antiracisme des Verts. « EELV prend régulièrement position sur les questions liées au racisme, mais on a eu du mal pendant très longtemps à dénoncer le racisme invisible, du quotidien », explique-t-il. Selon le jeune homme, ancien président du syndicat étudiant Unef, la question du racisme doit être profondément réfléchie au sein du parti, afin de comprendre pourquoi le modèle politique ne parvient pas à diversifier ses élus. « Dans l’ensemble des groupes parlementaires, les personnes issues de la diversité peuvent se compter sur les doigts de la main. » Avec ses collègues, il milite pour la mise en place de formations en interne, avec des ateliers qui permettent aux élus et militants de comprendre ce racisme systémique, vécu au quotidien par les personnes racisées.

Les militants présents aux Journées d’été des écologistes au Havre, 24 aout 2023. © Jérémy Paoloni / Reporterre

« Ces JDE, comme toute la stratégie actuelle d’EELV, ont pour objectif d’ouvrir nos perspectives sur les différents parcours qui amènent à l’écologie. Montrer que les personnes au confluent des problématiques des quartiers populaires, des zones rurales sont aussi concernées par notre projet écologique », conclut-il.

Face à la montée de l’extrême droite et la tentative d’accaparement d’une écologie des territoires ruraux, les élus EELV tentent de se mobiliser pour inclure davantage les zones rurales dans leur programme. Après un « Tour de France des ruralités », les Verts ont décidé de lancer leurs propres « Universités des ruralités » qui auront lieu pour la première fois en octobre prochain. L’objectif : se former au contact des élus locaux, pour formuler des propositions politiques adaptées aux zones rurales. « Aujourd’hui on a proportionnellement autant de militants en zone rurale qu’en zone urbaine. L’écologie existe dans ces territoires, mais on ne lui donne sans doute pas la place nécessaire dans cette famille politique », dit Marie Pochon, députée de la Drôme et coorganisatrice de l’événement. Après l’ouverture aux quartiers populaires, gagner l’électorat des zones rurales est l’une des préoccupations du parti pour les prochaines élections.

S’ouvrir aux zones rurales

Alors que la fin de matinée file, un attroupement se forme le long des food trucks qui répandent leur bonne odeur sur les docks ; burger « à la normande », crêpes et galettes avec cidre et beurre salé, le tout végétarien ou végane. À côté, militants et élus s’abreuvent de sirop et de café récupérés à la buvette contre un ticket à l’effigie tournesol.

Assis à une table, Julien Brunel et Solène Mesnager, respectivement conseiller fédéral EELV et conseillère régionale des Pays de la Loire, discutent au soleil. « Pendant longtemps les engagements des écologistes en zones rurales se sont concentrés sur des luttes environnementales. Maintenant, il faut montrer qu’on a aussi un projet politique avec des idées, sociales, économiques, et pour l’agriculture », dit Julien Brunel.

Solène Mesnager approuve. Élue municipale de Javron-les-Chapelles (Mayenne), elle s’interroge sur la question des transports : « Dire à des Mayennais qu’il faut prendre le vélo quand on est à dix kilomètres de tout centre commercial, c’est compliqué. La Mayenne est une terre sinistrée du train ; tout le nord du département n’est pas couvert. » Pour les deux élus et militants, l’ouverture du parti aux habitants des zones rurales doit passer par le dialogue, et sortir d’une image de « donneurs de leçons aux territoires ». Une démarche qui passe également par une meilleure représentation des élus locaux sur la scène nationale. « C’est à nous de faire remonter au parti les sujets abordés sur nos territoires. Proposer un récit où les gens ont une place », estime Solène Mesnager.


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