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Les femmes en politique : une bataille loin d’être gagnée

Il est toujours ardu de se faire une place dans l’univers politique lorsqu’on est une femme. On assisterait même à une « réaction conservatrice » — un retour de bâton après l’obtention de victoires. Écolos, insoumises, communistes... Elles témoignent dans Reporterre.

« Je vote pour ton candidat si tu me montres tes seins. » Nous sommes le 8 mars 2014. Karima Delli, alors députée européenne Europe Écologie — Les Verts, lance un Tumblr baptisé Sinon, je fais de la politique qui recense les remarques sexistes en politique. Six ans plus tard, où en sommes-nous ? Le sexisme a-t-il disparu ? Spoiler : pas vraiment. Selon les chiffres du Haut conseil pour l’égalité les femmes ne représentent que 38,7 % des députés aux législatives de 2017 et 31,6% des élues aux sénatoriales de la même année. « J’ai parfois le sentiment qu’on progresse plus rapidement dans la société que dans le monde politique », constate Elsa Faucillon, députée communiste des Hauts-de-Seine. « Il y a eu des avancées », dit de son côté Danièle Obono, députée et porte-parole de la France insoumise, « mais cela reste un combat. D’autant qu’aujourd’hui, nous avons un gouvernement qui instrumentalise clairement la cause féministe. Regardez le rôle qu’accepte de jouer Marlène Schiappa en collaborant avec Gérald Darmanin ».

Le 8 mars 2020, Manon Aubry, députée France insoumise avait prononcé un discours au Parlement européen habillée en Rosie la Riveteuse, une icône de la culture populaire américaine et symbole des femmes travailleuses. Un geste moqué par certains parlementaires. « Cela montre que nous avons encore un immense chemin à parcourir », soupire la députée. Avant de sillonner les longs couloirs de Bruxelles, la jeune femme a été porte-parole de l’ONG Oxfam et a très longtemps hésité avant de se lancer : « J’ai toujours été très politisée et préféré traduire mon engagement dans le monde associatif. Quand la France insoumise est venue me chercher en 2017, il ont mis trois mois à me convaincre. L’univers politique ne me faisait pas envie car en tant que jeune femme, je n’y trouvais pas ma place. »

Manon Aubry : « La France insoumise a mis trois mois à me convaincre de les rejoindre. L’univers politique ne me faisait pas envie. »

Dire que le monde politique est un milieu violent est un pléonasme qui mérite d’être rappelé tant les codes virilistes persistent. « C’est une arène faite de combattants qui se battent avec des armes », poursuit Manon Aubry. « La société patriarcale considère que ce sont les hommes qui méritent les postes de pouvoir car la politique a été faite par les hommes pour les hommes », renchérit Karima Delli. Des préjugés difficiles à défaire.

On nous fait souvent un procès en incompétence. On crée une sorte de référentiel et d’imaginaire qui sort les femmes de la crédibilité politique. Comme si elles ne pouvaient pas être des dirigeantes mais devaient être cantonnées à des sujets et des expertises spécifiques : l’éducation par exemple »

Pourtant, dans les années 2000, plusieurs femmes ont occupé le devant de la scène, notamment Marie-Georges Buffet, Dominique Voynet ou Eva Joly. « On peut faire l’hypothèse d’un retour en arrière », dit Clémentine Autain, députée France insoumise. « Les femmes arrivent en force dans pas mal de domaines, du coup, il y a une crispation. » Elle évoque un « backlash », un retour de bâton en réaction aux avancées féministes, en référence à l’essai de l’américaine Susan Faludi Backlash : la guerre froide contre les femmes (Éditions des Femmes, 1993) paru en 1991 aux États-Unis. Une analyse que partage Danièle Obono (FI). « Nous sommes effectivement face à un backlash contre les mouvements féministes et antiracistes, une réaction conservatrice voire anti-progressiste. C’est une réponse à la mobilisation de plus en plus importante sur ces sujets et cela montre qu’il existe un rapport de force important. » Quant à Elsa Faucillon (PC), elle analyse ce recul à l’aune de l’affaiblissement général des partis de gauche : « Plus vous rétrécissez l’espace de pouvoir, plus les hommes veulent prendre de la place. »

La parité en politique n’est toujours pas respectée

Pour favoriser la parité, les lois se succèdent mais demeurent insuffisantes — certains partis préfèrent payer des amendes plutôt que de les appliquer. Le plus mauvais élève ? Les Républicains, qui ont dû débourser 1,78 million d’euros en 2019. La gauche n’est pas un exemple non plus, avec une amende de 252.517 euros pour la France insoumise. « Il est vrai que nous avons rencontré des difficultés à trouver des candidates », concède Danièle Obono. Car s’engager est bien souvent synonyme de sacrifice de sa vie personnelle. « La politique est basée sur le présentiel. Et c’est d’autant plus exacerbé dans une société où tout va très vite, où il faut réagir tout le temps. Je ne souhaite pas que les femmes deviennent ce que sont les hommes en politique. C’est au contraire la sphère privée qui doit changer avec une plus juste répartition des tâches », estime Elsa Faucillon. Clémentine Autain croit pour sa part que la parité est une fausse question : « L’effet pervers, c’est que vous réservez des places femmes et des places hommes, ce qui favorise la compétition. Même si cela a permis de franchir un cap, personne n’a jamais pensé que cela ferait changer les choses. »

« Je crois beaucoup à la sororité pour avancer », dit Clémentine Autain.

S’attaquer aux représentations médiatiques des femmes en politique

Puisque les lois ne suffisent pas, il faut donc s’attaquer plus frontalement au problème : l’imaginaire politique, en commençant peut-être par ses représentations médiatiques. Toutes les femmes interrogées pour cet article gardent en travers de la gorge la très masculine Une de Libération le 30 août dernier. Le journal s’interrogeait sur les futurs chef de file en vue des prochaines échéances électorales et ce, sans aucune femme. Si Libération s’est rattrapé depuis, cet évènement symbolise les clichés persistants dans l’esprit de bon nombre de journalistes.

Dès lors, comment imposer de nouvelles figures médiatiques ? « Nous avons dans le parti des femmes à responsabilité. Elles devraient être plus mises en avant et jouer un rôle pour qu’on n’ait plus seulement le triumvirat Mélenchon/Quatennens/Coquerel, même si nous sommes face à des difficultés car le système médiatique entretient cela et il est difficile d’imposer de nouvelles figures », déplore Danièle Obono. « Alors qu’il y a une sorte d’évidence pour beaucoup d’hommes, les femmes ont tendance à être sur la réserve. C’est un mécanisme de manque de confiance et de légitimité qui est à l’œuvre partout », poursuit-elle.

Cécile Duflot, Eva Joly et Karima Delli (à droite au premier plan).

À l’instar de Jean-Luc Mélenchon, qui prévoit d’annoncer en novembre sa candidature — ou pas — à la prochaine présidentielle, ou encore de Benoît Hamon évoquant à demi-mot son retour en politique, aucune femme à part Ségolène Royal ne se permet ce genre d’allusions.

« Le temps n’est pas à la question de savoir quel sera le ou la candidate. Le temps est venu de travailler sur les questions d’urgence. On est la première génération qui subit les effets du dérèglement climatique et la dernière à pouvoir y remédier. Je pense que, nous, les femmes, voulons être efficaces, on se concentre plus sur les dossiers de fond et on agit », estime Karima Delli.

« Les hommes continuent à se fondre dans le moule plutôt que d’essayer d’en casser les codes »

Le 6 mai dernier, plusieurs femmes politiques ont organisé une rencontre en ligne baptisée Coronaviril. Son objectif : dénoncer la misogynie de l’espace médiatique et politique, au moment où les femmes étaient en première ligne face à l’épidémie de coronavirus.

Les organisatrices et participantes à cet évènement ont été vertement critiquées. « On ne s’attendait pas à recevoir autant de remontrances », se souvient Clémentine Autain. « Peu de remarques ont été rendues publiques, mais beaucoup d’entre nous sont tombées de leur chaise devant l’incompréhension face à notre démarche. » Elle cite l’exemple d’Ugo Bernalicis, député de la France Insoumise, qui s’est plaint dans les colonnes du Huffington Post : « C’est une bonne initiative, il y a une sous-représentation des femmes en politique, mais je ne suis pas sûr que faire un meeting sans mec résolve totalement l’équation. Cela met toutes les organisations dans le même sac comme si on était tous ‘coronaviril’. »

Tout comme Ugo Bernalicis — qui n’a que 31 ans — la jeune génération d’hommes politiques ne serait pas forcément plus attentive à ce sujet que ses aînés. « Il y a consensus autour du fait qu’il faut mener la bataille sur la parité mais c’est autre chose que d’en comprendre les rouages. Même si je trouve cela étonnant à l’heure de Me too  », dit Clémentine Autain. « Ils ont grandi dans une société qui a bougé. Pourtant, j’ai l’impression qu’ils continuent à se fondre dans le moule plutôt que d’essayer d’en casser les codes », regrette Elsa Faucillon.

La sororité pour faire changer les choses

Face à ces constats plutôt déprimants, les femmes politiques construisent un rapport de force collectif. « Les hommes forment une bande. Aujourd’hui, il commence à y avoir des femmes qui forment elles aussi leur bande. Je ne suis pas sûre qu’on puisse s’en sortir sans passer par cette phase. Car lorsque les femmes sont seules, elles ont tendance à copier les normes masculines. Et elle n’avaient pas d’autre choix tant qu’elles étaient minoritaires. Nous sommes désormais plus nombreuses et la féminité au sens culturel du terme est davantage assumée voire revendiquée. Cela change la donne. Je crois beaucoup à la sororité pour avancer », dit Clémentine Autain. L’idée est de créer son clan pour se protéger et s’entraider afin de bâtir un univers politique plus sain, dans lequel les femmes se sentiraient plus à l’aise.

Danièle Obono : « Nous sommes face à un backlash contre les mouvements féministes et antiracistes, une réaction conservatrice voire anti-progressiste. »

« Soit vous devenez une guerrière et entrez dans l’arène. Soit vous refusez les règles et vous êtes marginalisée. Mais aujourd’hui, nous sommes nombreuses à nous battre pour tenter de créer un entre-deux », se réjouit Manon Aubry. Mais cette évolution ne pourra se faire sans bousculer l’intimité. « Quand j’étais secrétaire départementale, je m’interrogeais sur les meilleures solutions à proposer pour garder les enfants. Puis, quand j’ai eu un enfant, j’ai réalisé que la question n’était pas de trouver du temps pour le faire garder et aller en réunion, mais plutôt d’être avec lui. Je ne veux pas délaisser la sphère privée. Je ne pense pas que ce soit un modèle enviable car la politique doit être nourrie par des gens câblés sur le quotidien », estime Elsa Faucillon.

Face à la puissance du système patriarcal, les femmes politiques ont encore de nombreuses batailles à mener comme le pressent Karima Delli (EELV). « Les barrières sociales et mentales demeurent. Mais nous avançons en les faisant tomber une à une. C’est à nous de prendre le pouvoir sans attendre qu’on nous le donne. »

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