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Animaux

Les ours béarnais vont pouvoir copuler

Mardi, Nicolas Hulot a déclaré vouloir lâcher deux ourses dans le Béarn, où ne subsistent que deux mâles. Ce projet de réintroduction, nécessaire pour éviter la disparition des plantigrades, a relancé la bagarre entre associations et éleveurs.

Bientôt la fin du célibat pour Néré, 21 ans, et son fils, Cannellito, 14 ans, les deux seuls ours — mâles — du Béarn ? Le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, a officiellement annoncé mardi 27 mars son intention de réintroduire deux plantigrades femelles dans ce secteur des Pyrénées, à l’automne 2018 après la fin des estives. Il a demandé au préfet des Pyrénées-Atlantiques de lancer sans délai un dialogue avec l’ensemble des parties prenantes du territoire (services de l’État, élus, représentants des agriculteurs et des associations). « Nous ne pouvons nous résoudre à voir disparaître l’ours brun des Pyrénées, sous nos yeux. Je mesure bien le défi que représente pour le monde agricole la cohabitation avec les activités humaines, mais nous devons montrer notre détermination à sauver la biodiversité, en France et dans le monde », a déclaré M. Hulot dans un communiqué diffusé à la presse mardi matin.

Les derniers lâchers d’ours en France remontent à plus de dix ans. En 1996, alors que seuls subsistaient quatre plantigrades de souche pyrénéenne dans le haut-Béarn, deux femelles slovènes, Ziva et Kolpa, ont été lâchées dans le village de Melles (Haute-Garonne). Pourquoi si loin des ours déjà présents ? « La situation politique et géopolitique » — comprenez la vive opposition d’une partie de la population locale et en particulier des éleveurs — « ne permettait pas de le faire dans le Béarn », explique Farid Benhammou, agrégé de géographie et spécialiste de la conservation du loup et de l’ours en France. L’année suivante, elles ont donné naissance à des oursons conçus en Slovénie et ont été rejointes par Pyros, un mâle dominant slovène. En 2006, quatre femelles et un mâle supplémentaires sont lâchés au même endroit. Ces trois opérations ont permis la reconstitution de tout un noyau d’ours de souche balkanique dans les Pyrénées centrales : d’après l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), 37 ours auraient été dénombrés dans ce secteur en 2016. « Et au moins cinq oursons sont nés en 2017 », se réjouit Sabine Matraire, vice-présidente et coordinatrice ours de l’association Ferus.

En revanche, la population d’ours pyrénéens du haut-Béarn n’a fait que décliner. Néré, le fils d’une des deux ourses slovènes réintroduites en 1996, a bien parcouru quelque 400 kilomètres pour rejoindre ce bastion historique des plantigrades. « Il a chassé le grand mâle vieillissant du secteur, Papillon, et s’est reproduit avec Cannelle », raconte Mme Matraire. Las, la dernière ourse de souche pyrénéenne est morte en 2004, tuée par un chasseur. Néré s’est rapidement retrouvé seul avec Cannellito, le petit mi-slovène, mi-pyrénéen qu’il a eu avec Cannelle.

« C’est pour cette raison que Nicolas Hulot donne la priorité à ce secteur, parce qu’évidemment avec deux mâles la population d’ours du haut-Béarn ne risque pas de croître », explique la coordinatrice ours de Ferus. Surtout que chez les ours, ce sont les mâles qui se dispersent et peuvent parcourir des centaines de kilomètres à la recherche d’une partenaire. Aucune chance donc qu’une ourse de Haute-Garonne s’aventure jusqu’au territoire des deux célibataires béarnais. « L’aire de répartition des femelles a très peu évolué depuis vingt ans. On a peut-être eu 60 oursons depuis les réintroductions, et quasiment toutes les femelles sont restées sur le territoire de leurs mères. »

Lâcher des ourses dans le haut-Béarn est aussi la dernière chance de sauver les dernières gouttes de sang pyrénéen chez les plantigrades. « Cannellito est le dernier héritier de la lignée pyrénéenne par sa mère Cannelle, tous les autres sont de souche balkanique, souligne M. Benhammou. Par ailleurs, le Béarn est le secteur de présence historique des ours dans les Pyrénées. Il aurait dû bénéficier de ces réintroductions depuis bien longtemps. »

Effectifs faibles, consanguinité… menacent encore les ours des Pyrénées

Reste que les ours slovènes de Haute-Garonne sont loin d’être tirés d’affaire. « Malgré les réintroductions, il n’y a pas suffisamment de variabilité génétique dans cette population. De nombreux ours ont pour père Pyros, le mâle dominant introduit en 1997. Même s’il vieillit, les dominants qui lui ont succédé sont ses fils, ce qui n’est pas très intéressant génétiquement », explique M. Benhammou. D’autres lâchers seront donc nécessaires pour assurer la viabilité des deux populations d’ours des Pyrénées. À part ça, toutes les conditions sont réunies pour une augmentation des effectifs : « Plusieurs études ont été réalisées sur le nombre d’ours que pouvaient accueillir les Pyrénées, et la plus pessimiste table sur 120 animaux. En réalité, ce serait plutôt aux alentours de 250 voire 500 selon certains associatifs », rapporte Mme Matraire.

Et les agriculteurs dans tout ça ? Les premières réactions hostiles n’ont pas tardé à fuser. « C’est un choix politique que Nicolas Hulot a fait, celui de condamner l’élevage en optant pour l’ensauvagement des Pyrénées », s’est insurgée Marie-Lise Broueilh, présidente de l’Association pour le développement durable de l’identité des Pyrénées, interrogée par 20 Minutes. La bergère a fustigé « les naïfs qui croient qu’une cohabitation est possible » et a prévenu que les opposants à l’ours « feront tout leur possible pour que ces lâchers n’aient pas lieu ».

Mais pour Mme Matraire, il n’y a pas lieu de crier à l’ours : « Depuis des années que le nombre d’ours augmente, le nombre de dégâts n’augmente pas. Il s’établit à environ 200 brebis en moyenne prédatées chaque année, un peu plus en 2017 à cause d’un dérochement. Ce chiffre est à mettre en relation avec les 18.000 à 30.000 brebis perdues chaque année sur les estives pour des raisons diverses et variées, selon les chiffres de la professions. » Cette opposition est selon elle minoritaire : « 76 % des habitants de Pyrénées-Atlantiques sont favorables au lâcher de deux femelles dans le Béarn, ainsi que 73 % des habitants des Hautes-Pyrénées, pourtant noyau historique de l’opposition à l’ours. »

Pour la coordinatrice ours de Ferus, la réintroduction est de toute manière une obligation légale : « En signant la directive Habitats de l’Union européenne en 1992, la France a pris l’engagement de sauvegarder la population d’ours dans les Pyrénées. » « La France s’était engagée à protéger ses ours pyrénéens et n’y est pas parvenue, enchérit M. Benhammou. La logique de réparation dans laquelle elle se situe implique désormais la réintroduction. »

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