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Économie

Les promesses trompeuses de la finance verte

« Investissements écologiques », « épargne responsable », « obligations vertes »… Le monde de la finance cherche à faire oublier sa dépendance aux énergies fossiles en se donnant une image plus « durable ». Mais, peu encadrés, les mécanismes de la finance verte ouvrent la voie à l’écoblanchiment.

Comment financer la transition énergétique ? Alors que le Giec ne cesse d’en rappeler le caractère impérieux, c’est aux parlementaires d’aborder le sujet à l’occasion des négociations sur le Projet de loi de Finances 2022, à l’agenda de ce mois d’octobre. L’affaire n’est pas mince puisque, d’après l’Institute for Climate Economics (I4CE), il manque chaque année entre 10 et 40 milliards d’euros pour financer la stratégie française de sortie du carbone. Un constat des plus surprenants quand on ne cesse d’entendre que se développe une finance « verte » ou « durable », dont l’objectif est justement d’apporter des capitaux aux projets écologiques et sociaux.

Le 22 septembre, Eva Sadoun, fondatrice de la plateforme de finance alternative Lita.co, interpellait les députés sur ce sujet, dans une pétition signée par plus de 15 000 personnes. En ligne de mire, le Livret développement durable et solidaire (LDDS), réglementé par l’État et possédé par 24 millions de Français. Malgré le nom de ce livret, l’épargne qui y est déposée n’est dirigée vers des projets écologiques qu’à hauteur de 10 % du montant déposé et seuls 5 % vers l’économie sociale et solidaire (ESS).

Outre cet exemple, de nombreux produits « d’épargne verte » ont récemment fait irruption sur le marché. Ils cherchent à se distinguer en affirmant prendre en compte d’autres données que la rentabilité financière. Ils s’appuient sur des évaluations établies par des agences de notation privées à partir des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Seulement, à en croire différents professionnels du secteur, ce système pèche par l’absence de référentiel commun et une méthodologie souvent opaque.

« Dans ces fonds qui disent prendre en compte les critères ESG, on en trouve une grande partie où la sélection des entreprises est assez peu restrictive voire négligeable. Il faudrait au contraire privilégier des indicateurs concrets comme l’impact sur la biodiversité », estime Léo Garnier, directeur général de Rift, une application qui informe sur l’impact des produits financiers.

Le label vert qui alimente des pétroliers

Un exemple extrême est celui des fonds possédant le label « investissement social et responsable » (ISR), censé garantir la bonne prise en compte des critères ESG. Avec 546 milliards d’euros placés en 2020 contre 417 milliards fin 2018, c’est le premier « label vert » du pays et le plus en vogue.

Mais selon l’ONG Reclaim Finance, 94 % des « fonds ISR » alimentent des « entreprises aux pratiques environnementales et sociales très critiquables ». On y retrouve même des majors gazières et pétrolières, leur « bonne note ESG » s’expliquant par la petite partie de leur activité qu’elles dédient aux énergies renouvelables. En mars dernier, le ministère des Finances, à l’initiative de ce label en 2016, a lui-même annoncé une réforme à venir pour le rendre plus exigeant.

D’autres labels sur le marché sont unanimement reconnus comme plus performants. C’est par exemple le cas du Greenfin qui exclut les acteurs des énergies fossiles et du nucléaire ou de Finansol, le label des fonds « d’épargne solidaire », où l’argent est redirigé vers des acteurs dont l’utilité sociale et environnementale est reconnue par un comité indépendant issu de la société civile.

Les partisans de la finance verte voient dans ce nouveau marché des fonds labellisés le premier pas vers l’autorégulation du monde de la finance. « Aujourd’hui, les produits responsables existent. Même le label ISR, pourtant critiqué, a un vrai potentiel si on continue de faire du lobbying pour que les acteurs durcissent les règles et soient plus transparents », estime Olivia Blanchard, présidente de l’association des Acteurs de la finance responsable.

Pour elle, l’enjeu est désormais de « sensibiliser les Français sur le rôle fondamental qu’ils ont à jouer et mieux communiquer à l’échelle de toute la filière ». Elle en veut pour preuve les conclusions d’un sondage récent mené par l’Ifop : six personnes interrogées sur dix accordent de l’importance aux impacts environnementaux et sociaux de leurs placements mais seuls 7 % des sondés se sont vu conseiller de tels placements par leur établissement bancaire.

« Il faut cesser de croire que c’est à travers ça qu’on va financer la transition. »

« Il existe bien une offre alternative, dit Paul Schreiber, de Reclaim Finance. Elle répond à une demande de quelques clients, mais il faut cesser de croire que c’est à travers ça qu’on va financer la transition. » Malgré leur croissance, les fonds labellisés par Greenfin et Finansol ne cumulent que 40 milliards d’euros. Des chiffres insignifiants par rapport au montant total de l’épargne des Français, qui a dépassé les 6 000 milliards d’euros en juillet dernier. « Si on veut financer la transition, la seule solution est de réorienter massivement les flux financiers existants qui vont aujourd’hui vers le fossile, pas d’en créer de nouveaux qui soient plus verts », résume Paul Schreiber.

Pour répondre à cette ambition, le monde de la finance fait la promotion d’un autre mécanisme, les « obligations vertes », dont le marché est en plein essor. Cela consiste pour une entreprise ou un État à se rendre auprès des marchés financiers pour émettre une dette. Ici, contrairement aux obligations classiques, la dette est conditionnée au financement d’un projet écologique et social.

Le mythe des obligations vertes

Seulement, pour Julien Lefournier, auteur avec Alain Grandjean de L’illusion de la finance verte, en l’état actuel des choses, rien ne porte à croire que les obligations vertes puissent accélérer la transition : « Vertes ou non, les deux obligations reviennent au même pour une entreprise puisqu’elles portent le même taux d’intérêt à payer. Du point de vue de l’entreprise, il n’y a aucune incitation financière à aller vers l’obligation verte. »

En d’autres termes, les projets « verts » actuels n’existent que par la volonté des acteurs qui les créent. « La finance ne joue aucun rôle particulier là-dedans, mais elle en donne l’illusion en ajoutant le terme "vert" à l’obligation lambda. Preuve supplémentaire que, si on veut changer les règles du jeu, les pouvoirs publics doivent s’impliquer depuis l’extérieur de la sphère financière », explique celui qui a pourtant fait toute sa carrière dans ce milieu. À cette critique de forme s’ajoute la contestation sur le fond de plusieurs ONG qui regrettent l’absence de référentiel sur ce qu’est un projet « vert ». Aujourd’hui, la définition est largement laissée à l’institution qui en est à l’origine.

Une « dépendance extrêmement forte aux secteurs polluants »

Si les banques semblent aussi peu promptes à prendre le virage de la transition, c’est notamment en raison de leur « dépendance extrêmement forte aux secteurs polluants dans lesquels elles investissent depuis des décennies », selon Lorette Philippot, chargée de campagne à l’ONG des Amis de la Terre. Un rapport publié en juin dernier par l’Institut Rousseau, dont elle est co-autrice, conclut que ce degré de dépendance est désormais suffisamment fort pour faire peser un « réel risque de déstabilisation financière », en cas de dévaluation trop rapide des actifs fossiles.

À en croire le rapport, l’écoblanchiment apparaît alors comme une « manière de gagner du temps face à une échéance inéluctable ». « Tant que ces actifs existeront, les banques n’auront aucun intérêt à investir dans la transition, résume sobrement Lorette Philippot. C’est un autre impensé des régulateurs actuels et des promoteurs de la finance verte. »

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