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Les punaises de lit, un fléau nocturne qui n’épargne personne

Enquête 1/2 - Les punaises de lit avaient disparu après les années 1950. Ces insectes minuscules sont de retour et rendent infernale la vie des personnes parasitées. Épuisement, anxiété, coût de l’éradication… personne n’est à l’abri.

Cet article est le premier des deux volets de notre enquête sur le retour des punaises de lit.


  • Paris, reportage

« Elles agissent sur mes nerfs. Elles sont en train de nous tuer à petit feu. » Stéphanie, 45 ans, a la gorge nouée et de la colère dans la voix. Cela fait deux ans qu’elle vit dans le 16e arrondissement de Paris avec son mari et leurs trois enfants, dans un appartement infesté de punaises de lit.

Ces insectes, de leur nom scientifique Cimex lectularius, vivent leur heure de gloire. Alors que les punaises de lit avaient quasiment disparu des logements français dans les années 1950, elles font leur grand retour dans nos habitations. De la taille d’un pépin de pomme, elles se glissent dans les draps pour piquer les humains endormis et se nourrir de leur sang. Elles ne transportent pas de maladies, mais leurs piqûres peuvent provoquer des boutons, des démangeaisons ou des brûlures, voire des infections à force d’être grattées. Puisqu’elles sortent majoritairement de leur cachette une fois la nuit tombée (elles n’aiment pas la lumière), ces petites bêtes empêchent leurs hôtes de se reposer et les épuisent. En outre, les punaises de lit se reproduisent énormément et très rapidement. Et il est très, très difficile de s’en débarrasser.

Les punaises de lit mesurent quatre à sept millimètres, et ont une espérance de vie allant de 6 à 24 mois.

Stéphanie est certaine que lorsque sa famille a emménagé il y a deux ans, les punaises de lit étaient déjà présentes dans l’appartement. Cachées derrière les plinthes, dans les prises électriques, au creux des meubles. Ce n’est qu’au bout de quelques semaines qu’elles ont quitté leur tanière. « Toutes les nuits, je voyais mon fils sortir de son lit, il venait dans le salon, se rappelle-t-elle. On lui demandait ce qu’il se passait, il répondait qu’il y avait des choses qui le piquaient. Je ne comprenais pas, je ne connaissais pas les punaises de lit. Il n’arrivait pas à dormir la nuit, alors il dormait à l’école. »

 « Je suis à bout. Physiquement, ça me pèse »

Un matin, le jeune adolescent lui montre ses boutons sur les bras, alignés. En soulevant le matelas de son fils, Stéphanie découvre une partie de la colonie des punaises. À partir de cet instant, elle se lance dans de longues recherches sur internet. La maman écume les différents sites web pour comprendre ce qu’est cet insecte et comment s’en débarrasser. Mais, sur la toile, les conseils sont aussi nombreux que mauvais. « On me disait qu’il fallait tout jeter, se souvient-elle. J’ai jeté quatre matelas en pleurant, je me demandais où j’allais trouver l’argent pour les remplacer. J’en ai acheté des nouveaux, ça m’a coûté une fortune. Et malgré ça, les punaises de lit ne sont pas parties. » Stéphanie a ensuite sollicité une entreprise spécialisée pour désinsectiser son logement. Là encore, ce fut un échec.

« Il ne faut pas lutter contre les punaises de lit par de la lutte instantanément chimique, raconte Pascal Delaunay, entomologiste médical et parasitologue au CHU de Nice. La lutte chimique ne doit être que la cerise sur le gâteau, dont vous pouvez presque vous passer parfois. » En cas d’infestation, il faut privilégier la lutte mécanique : le rangement du logement, le passage de l’aspirateur et d’un appareil à vapeur au-dessus du mobilier, le lavage des textiles à 60 °C ou au sèche-linge, la congélation des vêtements délicats à - 20 °C pendant 72 heures… « La punaise de lit est un petit insecte très rusé, explique Pascal Delaunay. Il n’y a aucun mode d’emploi unique, la lutte doit être adaptée à la quantité de punaises, au logement et au budget de la personne. Or, internet ne s’adapte à rien. »

Stéphanie a dû se séparer d’une partie du mobilier de la chambre de sa fille. Pendant la journée, le matelas de cette dernière est relevé et protégé pour éviter que les punaises ne s’y infiltrent.

Stéphanie a finalement reçu les bons conseils grâce à l’association Droit au logement (DAL), il y a environ un an. Elle et son mari les appliquent quotidiennement. « Je suis à bout, souffle Stéphanie. Penser et faire tout le temps les mêmes choses, c’est énervant. Physiquement, ça me pèse. » Le nombre de punaises a bien diminué mais reste excessif. Elles sont visibles pendant la journée, se baladant sur le sol ou au plafond. Même lorsqu’elles restent cachées, leur présence se fait sentir. Les enfants de Stéphanie, épuisés, ont pris l’habitude d’écraser les insectes. De longues traces de sang tapissent les murs blancs de leurs chambres. Les coins des pièces sont noircis à cause des déjections des punaises, tout comme les contours des prises électriques. Les meubles ont disparu pour éviter la prolifération des punaises, donnant un sentiment de vide aux différentes pièces.

En plus de l’épuisement des membres du foyer, les punaises de lit ont provoqué des conflits. « Mes enfants m’en veulent de les faire vivre dans un appartement pareil », se désespère Stéphanie. Des cafards cohabitent également avec eux, dans un logement humide aux murs délabrés. La famille voudrait déménager, mais ne peut le faire actuellement à cause d’un différend avec leur bailleur social.

« On a l’impression que ça ne va jamais se terminer. Elles empêchent de dormir, j’étais toujours stressé »

Il est important de préciser que les punaises de lit ne vivent pas uniquement dans les logements insalubres. Ces insectes voyagent, et ne font aucune différence entre un palace et un taudis. Jean-Claude et sa compagne, retraités, ont eu des punaises de lit, alors qu’ils vivent dans le 4e arrondissement, « un quartier bobo chic ». Pendant trois mois, les insectes les ont piqués, provoquant des brûlures internes chez Jean-Claude. Le couple a jeté la literie, nettoyé les textiles à 60 °C, passé l’appartement à la vapeur et acheté des produits chimiques. Coût total de l’opération : 600 euros. Auxquels se sont ajoutés les frais d’intervention d’une entreprise spécialisée, à hauteur de 400 euros pour deux passages. « C’est une expérience assez terrible, raconte Jean-Claude. On a l’impression que ça ne va jamais se terminer. Elles empêchent de dormir, j’étais toujours stressé… Mais je ne voudrais quand même pas exagérer, parce que nous, nous avons les moyens. 1.000 euros, ça ne nous a pas fait souffrir financièrement. Tandis qu’il y a des gens qui, le 15 du mois, n’ont plus rien, donc comment peuvent-ils se payer une désinsectisation ? Ce n’est pas possible. »

Les enfants de Stéphanie écrasent les punaises de lit à même le mur de leurs chambres, laissant de longues traînées de sang.

Les punaises de lit peuvent s’attraper à cause de meubles d’occasion. Ce fut le cas d’Anissa, étudiante à Grenoble, qui avait acheté un canapé-lit sur Leboncoin. « Il était très peu cher et très confortable, raconte-t-elle en riant. Sauf que les punaises étaient dedans, et je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. À peu près un mois après mon installation, alors que je regardais un film allongée sur mon canapé, j’ai vu sur ma poitrine une petite bestiole. Puis deux, puis trois. » Après quelques recherches, Anissa a pris en charge la situation rapidement, en associant lutte mécanique et lutte chimique. Au bout de deux mois, les punaises de lit avaient disparu et l’étudiante a pu garder son canapé. « Je suis restée stressée des mois et des mois, confie-t-elle. La nuit, même quand je n’en avais plus, je rêvais de punaises qui me grimpaient dessus. Le soir, j’avais l’impression qu’il y avait des bestioles qui montaient sur moi, alors qu’il n’y avait rien. Ça rend fou très très vite. »

Avant d’aller dormir, Stéphanie passe au nettoie-vapeur tous ses textiles et ses murs.

Dian Malal, jeune mineur isolé guinéen, est arrivé en France à l’âge de 16 ans, en 2015. Après avoir dormi dans la rue, il a été placé six mois dans un hôtel parisien, infesté de punaises de lit. « Même dans la journée, je les voyais, affirme-t-il. Je me faisais moins piquer quand je dormais par terre, je mettais les draps à même le sol. Le matin, vu que les draps étaient blancs, je voyais du sang partout. C’était dégueulasse. » Les hôtels et les logements loués sur Airbnb sont nombreux à connaître ce fléau, mais il reste tabou pour la profession. Minuscules, les punaises de lit font rage partout où il y a du passage. Dans le métro, les cinémas, les écoles (à Marseille notamment) ou les prisons (le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dénonçait une infestation massive dans la prison de Fresnes, en 2018).

« Le fait d’être envahi par les punaises de lit est un véritable traumatisme » 

Personne n’est à l’abri. Chacun vit cette expérience différemment, les conséquences psychologiques pouvant être parfois lourdes. « Le fait d’être envahi par les punaises de lit est un véritable traumatisme, raconte Maria Hejnar, psychologue clinicienne. Le sentiment d’impuissance que provoque l’envahissement, l’épuisement physique et moral qu’entraîne la lutte contre l’envahisseur, ainsi que la nécessité de tout désinfecter et parfois de se séparer d’objets à valeur affective, peuvent provoquer un effondrement dépressif. » Les personnes infestées peuvent également développer de l’anxiété et des symptômes phobiques, même si cela n’est pas systématique. Dans ce cas, il est recommandé aux individus concernés de suivre un soutien psychologique.

Le DAL et la France insoumise ont choisi de prendre ce problème à bras-le-corps, et ont lancé (respectivement en juin puis en juillet) une campagne contre les punaises de lit, réclamant à l’État d’en faire un « problème de santé publique ». L’association et le parti politique veulent un véritable accompagnement des familles concernées par ce fléau, et une réglementation officielle de la lutte. Les punaises de lit, toujours plus nombreuses, puissantes et résistantes, semblent invincibles. Nous verrons dans un second volet leur histoire, et leur évolution.

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