Loi Industrie verte : les contre-projets de la gauche

Dans son projet de loi, le gouvernement parle d'accélérer les implantations d'entreprises, sans mentionner si elles seront écologiques. - Pxhere/CC0 1.0
Dans son projet de loi, le gouvernement parle d'accélérer les implantations d'entreprises, sans mentionner si elles seront écologiques. - Pxhere/CC0 1.0
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Politique ÉconomieLe projet de loi Industrie verte est examiné aujourd’hui à l’Assemblée. La gauche dénonce un texte qui veut juste simplifier les implantations d’usines en France et demande une vraie prise en compte des enjeux écologiques.
L’année 2023 a débuté avec une promesse. Celle de réindustrialiser la France — et ce, de façon écologique. Le 4 janvier, lorsque le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a annoncé qu’il allait porter un projet de loi sur « l’industrie verte », l’idée pouvait paraître séduisante, après cinquante ans de désindustrialisation. Mais quand on étudie, sept mois plus tard, le préambule du texte de loi — qui est examiné en séance publique à l’Assemblée nationale ce 17 juillet —, on ne trouve aucune définition de ce que serait une industrie verte.
On déroule les articles, perplexe. Toujours aucune explication. Seulement une série de dispositions pour accélérer les implantations industrielles, sans aucune précision du type de projets visés. Par exemple : réhabiliter les friches pour accueillir ces entreprises, ou encore moderniser les procédures de consultation du public. « Pour le dire très simplement : dans ce projet de loi il n’y a pas d’idée de ce qui est vert, de ce qu’on va produire et de comment on va former les gens pour le produire », résume la députée LFI du Val-de-Marne Clémence Guetté.
Alors que ce texte aurait pu être l’occasion pour le gouvernement de prouver une bonne volonté, après une multitude de promesses (comme le déblocage d’un milliard d’euros pour accompagner la « décarbonation » des 50 sites industriels français les plus polluants), il échoue à satisfaire les différents groupes de la Nupes, regroupant les insoumis, les écologistes, les socialistes et les communistes.
« Pour nous, une industrie verte prend en considération les ressources, la biodiversité, les conditions de travail… Tout ça n’apparaît pas dans ce texte », tance Charles Fournier, député de l’Indre-et-Loire (Europe Écologie – Les Verts). « Ce n’est pas parce qu’une industrie dit qu’elle va réduire sa consommation énergétique ou qu’elle met des panneaux photovoltaïques sur sa toiture, qu’elle est verte », approuve Gérard Leseul, député socialiste de la Seine-Maritime. Selon lui, il est impératif de « prendre le temps », d’écrire « une vraie définition de l’industrie verte » avant d’accorder des aides publiques. Un exercice que le gouvernement n’a pas réalisé. Le projet de loi n’est qu’une succession de mesures pour simplifier la réindustrialisation de la France… peu importe que les industries soient écologiques ou pas.
Micro-usines
Tous les groupes de la Nupes le répètent : ils partagent la volonté de réimplanter des usines dans le pays, après des décennies de délocalisations. Mais ils rejettent le modèle proposé par le gouvernement. « Avec ce texte, on reste sur une politique de l’offre, c’est-à-dire : on produit, on produit, on produit, critique l’écologiste Charles Fournier. On continue de produire toujours plus, mais en France, donc ce serait mieux. Non ! Une politique de l’offre qui ne tient pas compte des limites planétaires, dont certaines sont déjà dépassées, ce n’est pas sérieux ! C’est refaire ce qu’on a déjà fait par le passé. » « C’est le fameux mythe de la croissance verte, dénonce aussi l’insoumise Clémence Guetté. Ce cadre de pensée est déjà très problématique. »

En plus d’une définition qui prendrait en compte la sobriété, la gestion de la ressource en eau et des matières premières, les élus de la Nupes réclament un examen des besoins réels, et un fléchage des dispositifs de la loi en fonction de ces besoins. « Tous les projets industriels ne se valent pas, il faut fixer des priorités, a estimé le socialiste Gérard Leseul, lors de l’examen du texte en commission spéciale début juillet. En clair, nous voulons des éoliennes françaises, des panneaux solaires, des vélos européens, renforcer nos fleurons industriels en matière d’énergie et de mobilité... » Plutôt que des industries qui peuvent sembler obsolètes à l’heure de l’urgence climatique, comme les secteurs de la pétrochimie ou des pesticides, par exemple.
Là où les différents groupes de la Nupes divergent, c’est sur la question de la forme que prendraient ces entreprises. À La France Insoumise, on plaide pour « de l’industrie massive, avec de gros sites industriels » sur des friches, dans des territoires qui ont perdu beaucoup d’activité économique, tandis que chez les Ecologistes, on milite tant que possible pour « des micro-usines dans les territoires ». Quel que soit le modèle retenu, reste une interrogation : qui va travailler dans ces industries de demain ?
« Si on veut atteindre 100 % d’énergies renouvelables, en termes de métiers, cela veut dire : recruter des métallurgistes, des chaudronniers, des soudeurs, des électro-techniciens, des ouvriers spécialisés, des ouvriers de maintenance… énumère Clémence Guetté. Il y a énormément de métiers pour lesquels il faudrait former assez massivement les gens. » Or aucun article du projet de loi Industrie verte ne mentionne ce volet. « Quand est-ce que ce sera le moment de parler de formation ? Pas de réindustrialisation possible sans formation liée aux métiers ! » s’est exclamé le député communiste de la Seine-Maritime, Sébastien Jumel, lors de l’examen en commission spéciale. Ce à quoi Roland Lescure, ministre de l’Industrie, lui a répondu « la formation, on n’en parle pas, on le fait ». Et d’ajouter que le gouvernement comptait continuer à former davantage, sans plus de détails.
Consultations citoyennes
Globalement, le projet de loi évoque les industries, mais occulte la question des personnes qui y travailleront. Rien sur la reconversion des salariés qui occupent actuellement des postes dans des entreprises polluantes. Rien non plus sur les conditions de travail dans les sociétés de demain. « On doit pourtant tenir compte de ce que cela signifie travailler dans une France à 50 degrés », affirme Charles Fournier. Et de rappeler que, pour éviter « les méfaits » que notre histoire industrielle a pu produire — les députés écologistes ont par exemple révélé fin juin que leurs cheveux étaient contaminés par des molécules polluantes probablement issues de l’activité de certaines usines — il est nécessaire d’inscrire dans la loi des garanties de protection de la santé des salariés.
En outre, l’implantation de ces nouvelles entreprises devrait être réfléchie avec les futurs employés, avance la Nupes. La France Insoumise propose l’association des salariés aux plans de reconversion des projets industriels, notamment via la création d’un « conseil national pour les qualifications professionnelles ». De son côté, EELV réfléchit à la mise en place de « comités régionaux de la réindustrialisation », sortes de « conventions citoyennes » pour réfléchir à cette question dans les territoires. « Ça doit être un temps fort démocratique, parce que quand on crée des usines, on en prend pour des centaines d’années », dit Charles Fournier.

Or, dénoncent les députés de la Nupes, le texte de loi risque d’affaiblir les moments d’échanges avec les habitants, avant la création d’un projet industriel. Les articles 2 et 3 visent à réaliser la consultation du public (notamment de façon dématérialisée, via internet), au même moment que l’enquête environnementale. Autrement dit, les citoyens seraient amenés à donner leur avis sur un projet industriel sans connaître les conséquences écologiques de celui-ci. Une façon de « simplifier » et de gagner du temps, avance le gouvernement. « Je ne pense pas que la désindustrialisation de la France depuis des décennies soit le fait d’un excès de procédures administratives, rétorque Gérard Leseul. C’est bien plus dû à une volonté de sous-traiter à l’étranger. » Ainsi, après la loi d’accélération de l’action publique, ou la loi de développement des énergies renouvelables, l’exécutif poursuit l’assouplissement de ses réglementations, sous couvert de « simplification ».
Manque de temps
Même s’ils ont peu de chance de faire bouger la majorité, les députés de gauche ont préparé séparément des contre-attaques. La France Insoumise présentera un « contre-projet » le 17 juillet. Parmi ses propositions : la création d’une loi de programmation pluriannuelle « industrie verte », la mise en place d’une agence pour la relocalisation, un impôt sur la fortune vert pour financer cette bifurcation… Le même jour, EELV dévoilera un manifeste écologiste sur sa vision de la réindustrialisation. Il repose sur sept orientations et une soixantaine de propositions, dont le conditionnement de l’implantation des usines à un diagnostic préalable des ressources naturelles, la création d’un indicateur du niveau de stock des ressources et l’interdiction immédiate des polluants éternels.
Les différents partis l’assurent : s’il n’y a pas eu de travail commun de toute la Nupes sur ce projet de loi, ce n’est pas à cause de divergences fondamentales, mais en raison d’un manque de temps. En effet, les députés n’ont eu que quelques jours pour déposer leurs amendements après la transmission de la version du texte votée par le Sénat. Trop court pour se coordonner. « Il y a eu une vraie précipitation sur ce texte », dénonce Gérard Leseul.
En commission spéciale, les élus de La France Insoumise et d’EELV avaient voté contre le projet de loi, tandis que leurs collègues socialistes et communistes s’étaient abstenus. Reste à voir si les différents contre-projets des uns et des autres réussiront à faire réfléchir le gouvernement, et ainsi, faire bouger les votes de chacun.