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Climat

Loi énergie-climat : le gouvernement et sa majorité renvoient l’action à plus tard

Centrales à charbon, rénovation énergétique, énergies fossiles... Le projet de loi relatif à l’énergie et au climat a été examiné à l’Assemblée nationale et adopté en première lecture vendredi 28 juin. Le gouvernement l’a largement vidée de sa substance.

La montagne est en train d’accoucher d’une souris. À l’origine, la loi énergie-climat avait vocation à remplacer la loi sur la transition énergétique de 2015, en intégrant les nouveaux objectifs prévus dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) — notamment la baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique à 50 % d’ici 2035, au lieu de 2025. Il était ensuite passé de douze à quarante-six articles en commission, intégrant de nombreux autres thèmes, comme la rénovation énergétique des bâtiments, avec quelques mesures ambitieuses comme la suppression des subventions publiques accordées aux énergies fossiles. Examiné jeudi 27 et vendredi 28 juin à l’Assemblée nationale, il a pour partie été vidé de sa substance.

• La fermeture des quatre dernières centrales à charbon de France métropolitaine

La centrale à charbon du Havre.

La fermeture des quatre dernières centrales à charbon françaises, installées à Cordemais (Loire-Atlantique), au Havre (Seine-Maritime), à Gardanne (Bouches-du-Rhône) et à Saint-Avold (Moselle), était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Elle a ensuite été inscrite dans le plan climat du gouvernement, présenté en juillet 2017 par Nicolas Hulot. Actuellement, ces centrales représentent moins de 2 % de la production électrique mais plus de 35 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur — autant « que quatre millions de voitures individuelles », a précisé le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, en introduction de séance, mercredi 26 juin au soir.

Las, l’article 3 du projet de loi énergie-climat se contente de confier à l’autorité administrative la fixation par décret d’un « plafond d’émissions applicable, à compter du 1er janvier 2022, aux installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles situées sur le territoire métropolitain continental et émettant plus de 0,55 tonne d’équivalents dioxyde de carbone par mégawattheure ». Une mesure censée saper la rentabilité des installations et entraîner automatiquement leur fermeture.

Flairant l’embrouille, des députés, parmi lesquels l’ancienne ministre de l’Écologie et députée non-inscrite Delphine Batho et la députée la France insoumise (LFI) Mathilde Panot, avaient déposé des amendements visant à inscrire noir sur blanc ces fermetures dans la loi. « Manifestement, le gouvernement cherche à conserver de la souplesse : est-ce pour mettre en veille ces centrales tout en gardant la possibilité de les faire tourner quelques heures ? » a demandé Mme Batho en séance.

« Le plafond que nous voulons fixer limiterait leur fonctionnement à 700 heures par an [au lieu de 3.000 à 5.000 heures actuellement] : elles deviendraient alors des centrales de secours, et non plus des centrales de semi-base. (...) Je sais que le réalisme n’est pas toujours ce qu’il y a de plus facile à défendre, mais encore une fois, ma responsabilité est de garantir notre approvisionnement en électricité, en dépit des aléas inévitables et dans un laps de temps très court », lui a répondu M. de Rugy.

La loi ne ferme pas non plus la porte à une reconversion de Cordemais en centrale à biomasse, à l’étude depuis plusieurs mois. « Le gouvernement a également rejeté l’amendement de Delphine Batho visant à interdire toute nouvelle autorisation d’exploitation pour les installations de production d’électricité à partir de biomasse, dit Cécile Marchand, des Amis de la Terre. Or, ce projet ne répond pas aux besoins en matière d’approvisionnement électrique, reste flou sur la provenance du bois et présente un rendement énergétique moindre et de gros problèmes de pollution de l’air. »

• La rénovation des passoires énergétiques

Dans sa première version, le projet de loi sur l’énergie et le climat ne prévoyait rien pour lutter contre les passoires énergétiques — ces 7 millions de logements de classe F et G, où le montant de la facture de chauffage peut s’envoler de 1.600 à 2.200 euros par an pour 100 mètres carrés. Pourtant, l’interdiction de location des passoires d’ici 2025 était une autre promesse de campagne du candidat Macron (2017). « En réclamant à nouveau cette interdiction, nous avons secoué le cocotier et rappelé l’importance d’inscrire cette question dans la loi. Nous avons obtenu le soutien de 35 députés, dont la moitié issue de La République en marche, pour porter cette interdiction, ce qui a fait exploser de rage le gouvernement », précise Danyel Dubreuil, coordinateur de L’initiative Rénovons. L’enjeu n’est pas uniquement social : le secteur du bâtiment représente 45 % de la consommation énergétique finale et 27 % des émissions de gaz à effet de serre. Et le plan de rénovation du gouvernement présenté en octobre 2017, qui prévoit la rénovation de 500.000 logements par an d’ici 2020 et la rénovation de toutes les passoires du parc privé d’ici 2025 conformément à le loi de transition énergétique de 2025, patine.

M. de Rugy a pourtant rejeté tous les amendements prévoyant l’interdiction de la location des passoires. Il a présenté à la place un dispositif incitatif en trois temps. Pendant la première phase, de 2022 à 2023, un audit énergétique sera obligatoire avant la vente ou la location d’une passoire. Les propriétaires devront en outre informer un acquéreur ou un locataire sur ses futures dépenses en énergie (chauffage, eau chaude) et ne pourront plus augmenter librement les loyers sans avoir réalisé de travaux de rénovation. Les propriétaires des logements classés F et G devront ensuite les effectuer entre 2023 et 2028. Sans quoi, à partir de 2028, ils seront obligés de « mentionner le non-respect de cette obligation dans les publicités relatives à la vente ou à la location », a menacé M. de Rugy. D’autres sanctions « devront être définies par le Parlement en 2023 », a-t-il ajouté.

Cette dérobade a mécontenté de nombreux députés assis à gauche de l’Hémicycle. Mme Batho a fustigé « une véritable pantalonnade » en pleine « situation d’urgence » alors qu’il y avait « un choix courageux à faire ». « Ce compromis permet d’avancer [...] mais pas suffisamment », a aussi estimé Matthieu Orphelin, qui a quitté le groupe La République en marche quelques mois plus tôt. « Il faut arrêter avec l’incitation et procéder à une réglementation avec des sanctions », a réclamé Mme Panot.

Pour Anne Bringault, responsable transition énergétique au Réseau Action Climat, ce dispositif n’est pas satisfaisant. « Il s’agit d’une obligation d’affichage plutôt qu’une obligation de travaux. En plus, fixer des dates butoirs n’est pas la bonne manière de faire. Il faut imposer les travaux dans le logement quand il est vide, lors du changement de propriétaire ou de locataire, parce que les chantiers peuvent être assez lourds. Sinon, on va se retrouver avec un goulot d’étranglement en 2028, comme au moment de la loi sur l’accessibilité. Il est impossible de rénover 7 millions de passoires en une année ; il faut étaler. »

• Les financements aux énergies fossiles

Torchère de la station de production de gaz naturel liquéfié du site gazier de Yamal LNG, dans le Grand Nord russe. Selon Delphine Batho, la société TechnipFMC a bénéficié d’une subvention de 350 millions d’euros pour ce projet au titre des garanties export de l’État..

La France continue de subventionner des projets liés aux énergies fossiles à l’étranger, via des garanties à l’export — l’État assure les risques pris par les entreprises qui investissent dans ces projets. « Depuis 2015, c’est au moins 1,4 milliard d’euros qui ont été garantis de cette manière, par exemple dans le projet de Technip d’exploration gazière au large du Mozambique ou d’autres explorations au large de l’Arctique », dit Cécile Marchand, des Amis de la Terre.

En commission, Mme Batho avait réussi à faire adopter un amendement interdisant ces garanties à l’export pour les énergies fossiles. Las, le gouvernement a rejeté cet amendement en séance au motif qu’« une telle interdiction générale pour toutes les énergies fossiles ne parviendrait pas nécessairement à atteindre le but de diminuer la production d’énergies fossiles tout en nuisant gravement à la compétitivité des entreprises ». Il a proposé à sa place qu’un rapport prévu dans le cadre de la loi de 2017 sur la fin de l’exploitation des hydrocarbures, qui aurait dû être rendu fin 2018 mais n’est toujours pas écrit, soit étendu à « une réflexion de fond sur les garanties financières à l’export ». La remise de ce rapport a été fixée au 30 septembre 2019.

Sur Twitter, Mme Batho a dénoncé l’influence des lobbies sur cette décision, voire un conflit d’intérêts : « Pour s’opposer à cet amendement, le gouvernement évoque la situation des salariés de l’usine Belfort de l’entreprise GE, victimes d’un plan de licenciements. Le lien avec les aides à l’exportation ? Au premier semestre 2016, GE a bénéficié d’une garantie pour 70,3 millions d’euros pour le projet de centrale à gaz de Bazian, en Irak. En “échange”, GE annonçait investir 35 millions d’euros à Belfort… Qui était alors conseiller chargé des financements export au cabinet d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Industrie, et a supervisé l’attribution de l’aide à GE ? Un certain Hugh Bailey… désormais directeur de GE. »

« Encore une fois, le gouvernement fait le grand écart entre ajouter au début du texte l’expression “urgence climatique et écologique” et tout détricoter ensuite en invoquant le réalisme, la nécessité de ne pas aller trop vite, déplore Mme Bringault. Et en attendant, la canicule se poursuit et des gens continuent de souffrir dans la fournaise de leurs passoires énergétiques. »

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