Manger moins de viande : comment réussir sa révolution culinaire

Durée de lecture : 13 minutes
Quotidien AlimentationL’alimentation carnée pèse lourdement sur les écosystèmes et le climat, mais comment s’en détourner en douceur ? À l’occasion de la journée internationale sans viande, Reporterre a demandé à Sarah Bienaimé ses recettes pour y parvenir.
Sarah Bienaimé écrit des livres et des articles sur le végétarisme. Elle est également consultante et formatrice en cuisine végétarienne et végane. Elle vient de publier, aux éditions Terre vivante, Cuisine pas bête pour ma planète.

Cet ouvrage n’est ni un énième livre de cuisine végane ni un nouvel essai sur le végétarisme. Sarah Bienaimé y parle de son parcours, de sa « quête » d’une alimentation écolo. Avec ses essais, ses échecs, ses doutes et ses questions. « Plutôt que de dire aux gens “il faut faire ça”, j’ai voulu leur dire “voilà, nous, dans notre famille, ce qu’on essaye de faire avec plus ou moins de succès” », raconte-t-elle à Reporterre.
La famille Bienaimé, ce sont trois enfants et deux parents vivant dans le creux des monts du Cantal, certains végétariens, d’autres flexitariens, d’autres « omnivores », comme on dit. « Une famille typique, pas plus fortiche que les autres, avec des parents débordés de travail, décrit-elle. Pourtant, on a fait le choix de mettre notre mode de vie en cohérence avec nos principes. » À grand renfort d’anecdotes, d’astuces et de recettes, Sarah Bienaimé nous explique comment elle a mené sa révolution culinaire, en douceur et en plaisir.
Reporterre — Avec ce livre, vous réussissez l’exploit de nous parler de crise écologique sans (trop) nous démoraliser… Les discours écolos sont pourtant souvent vus comme culpabilisants.
Sarah Bienaimé — C’est vrai, ils le sont. Car il faut appeler un chat un chat, on ne peut pas toujours faire que du politiquement correct. Si on est réaliste et honnête, oui, ces infos sont culpabilisantes car elles questionnent nos modes de vie. Mais il est possible de ne pas s’arrêter au message du « tout va mal », aller un peu plus loin. Les gens ne vont pas laisser tomber leur téléphone portable, arrêter de rouler en voiture ou de prendre l’avion, mais on peut leur donner envie d’être plus raisonnables. Il faut aiguiller le plus grand nombre vers une certaine forme de décroissance.
C’est le cas pour le végétarisme. L’idée n’est pas de cesser dès demain de manger de la viande à tout jamais. Mais si chacun pose un acte, si chacun change une pratique — acheter en vrac, lever le pied en roulant, supprimer la viande dans nos repas trois fois par semaine —, ce sera déjà énorme globalement. Il n’y a pas de petits gestes.
Votre premier chapitre est consacré au végétarisme : faut-il être végétarien pour sauver la planète ? L’élevage paysan a aussi des bénéfices pour notre environnement…
Actuellement, la problématique, c’est le volume de viande consommé à l’échelle mondiale et notamment dans les pays occidentaux. Donc, je trouve assez contre-productif de vanter les petites productions et les filières locales.
Je vis au contact de petits producteurs, j’habite un hameau où sur douze habitants, il y a sept éleveurs. Je respecte leur travail, mais leur production concerne une toute petite partie de la population. Si on veut demain que la viande cesse d’être une catastrophe écologique, il faut tous qu’on réduise très fortement notre consommation de produits carnés, mais aussi de poisson et de produits d’origine animale (fromages et œufs). Au kilo, un fromage à pâte dure comme le parmesan a plus d’impact qu’un kilo de volaille, car il demande énormément de lait. Plus il y a de litres de lait en jeu, plus la vache, la brebis ou la chèvre a été nourrie en amont, donc plus l’impact environnemental est important.
Cela m’est égal de savoir si les gens sont végétariens ou pas. L’enjeu, c’est que tout le monde ait conscience qu’on ne peut plus continuer avec le même niveau de consommation de viande, ni même se contenter d’une légère diminution : il faut que ça change. Donc, c’est bien de valoriser les petites filières, mais c’est un argument qui a tendance à biaiser le débat.
Une étude menée en Allemagne en 2009 a comparé différents modes de consommation, qu’elle a convertis en kilomètres parcourus en une année, en voiture. Pour les personnes qui ne consomment ni viande ni produits laitiers, le parcours est de 629 km (il tombe à 281 km si les produits sont bio). Pour les personnes qui consomment de la viande et des produits laitiers, ce chiffre monte à 4.758 km (et presque autant si les produits sont bio : 4.377 km), soit 7 fois et demi plus !
Cuisine pas bête pour ma planète (p. 19)

Mais l’alimentation végétarienne ou végétalienne peut aussi avoir un impact environnemental fort, si elle provient de pays étrangers ou si elle n’est pas bio…
À tout prendre, entre une alimentation purement bio, locale, de saison et une alimentation complètement végétale, c’est cette dernière qui a un impact environnemental moindre. Un ménage qui voudrait réduire son impact sur le réchauffement climatique en adoptant une alimentation à 100 % locavore omnivore ne réduirait en fait que de 4 à 5 % ses émissions de gaz à effet de serre. Consommer 100 % végétal un jour par semaine seulement permettrait une réduction d’impact équivalente.
Attention, ça ne veut pas dire qu’il faut oublier la saisonnalité, le local et le bio. Ce sont des critères importants, pour d’autres raisons, sociales, de développement rural, etc. Et bien sûr, si vous devenez végétarien tout en consommant des bananes, des avocats, des mangues à gogo, vous aurez fait un petit pas qui sera relativement « gâché ».
Je ne fonctionne pas dans la prescription d’extrêmes, qui sont contre-productifs, car la plupart des gens ne s’y tiennent pas. Le but est d’aller vers du mieux. Moins de viande, plus de local, avec une attention importante apportée à la saisonnalité, en privilégiant le biologique autant que possible. Quand on fait entrer dans son alimentation ces quatre critères ensemble, on a gagné au loto.
Comment diminuer votre consommation de viande ?
- Faites la liste de toutes les recettes sans viande que vous appréciez et affichez-la en
cuisine (vous en connaissez déjà plein !) ;- Demandez à votre entourage ses meilleures recettes végé pour compléter votre liste ;
- Commencez tout doux : un jour sans viande, puis deux, puis trois… à votre rythme ;
- Cessez de flipper à cause d’une éventuelle carence en protéines : elles sont présentes en grand nombre dans les végétaux et gardez à l’esprit qu’on en mange beaucoup trop, pas l’inverse ;
- Si la viande vous manque, testez les substituts de viande (pour commencer, le seitan est généralement plus apprécié que le tofu, un produit que peu de gens savent cuisiner) ;
- Préparez-vous de belles assiettes : opulentes, colorées et variées.
Cuisine pas bête pour ma planète (p. 25)
Un des obstacles pour passer au végétarisme, c’est qu’on ne sait pas cuisiner sans viande...
C’est ce qui m’est arrivé. J’ai été élevée au gigot à l’ail et au bœuf bourguignon. Il y a quinze ans, j’ai essayé plusieurs fois d’être végétarienne, et je me suis vautrée lamentablement. J’avais honte, je me trouvais trop nulle de ne pas y arriver. Puis, j’ai compris qu’il fallait que je réapprenne complètement à cuisiner ! Car je n’avais fait qu’enlever la viande de mon alimentation, sans changer mes plats : il ne restait alors plus que du riz, des légumes, des frites…
Je me suis faite aider de personnes déjà végétariennes, j’ai lu des ouvrages qui existaient déjà. Aujourd’hui, la viande ne me fait ni chaud ni froid, à part les crevettes [rires]. L’important, c’est d’y aller doucement, progressivement. Par exemple, toutes les viandes n’ont pas le même impact, donc on peut commencer par arrêter l’agneau, le veau, le bœuf, qui sont catastrophiques, et passer à de la volaille. Par contre le poisson est une catastrophe : on va laisser des océans dans un état de mort imminente à nos enfants.
Manger bio, local, de saison coûte souvent plus cher… pourquoi ?
Il existe deux types de produits biologiques : ceux qui sont vendus dans des enseignes spécialisées dans le bio ou par des producteurs bio ; et le bio noyé au milieu du conventionnel, celui de supermarché, où la marque va faire 90 % de conventionnel, 10 % de biologique. Dans ce cas, les marges sont ahurissantes. Dans les enseignes bio, les matières premières non transformées se rapprochent des prix du conventionnel, à une exception près, ce sont les fruits et légumes. C’est une vérité. Les fruits et légumes bio sont plus chers que ceux conventionnels. Cela se justifie, par des rendements moindres notamment, mais à la fin, c’est injuste socialement.
En France et dans tous les pays voisins, l’injustice dans l’accès à une alimentation saine est flagrante. Quand on veut se nourrir pas cher, il vaut mieux se tourner vers des produits transformés blindés de flotte, de graisse, de sel, de sucre qui font qu’au poids, ces produits ne coûtent pas cher. Ils sont roboratifs, ils coupent l’appétit, mais ce sont des poisons. Les familles de milieux populaires se retrouvent ainsi dans des situations de maltraitance alimentaire. Il faut militer pour que le bio soit accessible.
Chez les Bienaimé, on vit avec un peu plus de deux Smic pour cinq personnes. Nous ne sommes pas pauvres, mais on ne peut pas dire qu’on roule sur l’or. […] À la maison, notre budget nourriture est élevé, mais il n’a pas bougé depuis que nous sommes passés au bio-local-de-saison. Par quel miracle ? Nous achetons peu d’aliments transformés, qui coûtent cher. Nous mangeons peu de viande et encore moins de poisson : cela fait une vraie différence de budget ! Nous achetons beaucoup de choses (fruits et légumes, pain, fromages) directement aux producteurs. Nous avons un potager qui fournit aromatiques, fraises et framboises, qui sont chères dans le commerce. Nous mangeons simplement et faisons des extras pour les fêtes et les anniversaires.

Ce que vous dites montre les limites de l’action individuelle. Certains problèmes sont plus systémiques et nécessitent des réponses politiques… Nos actes ne suffisent pas.
Non, ça ne suffit pas, même si chacun peut s’engager politiquement, pour avancer sur les questions d’injustice. Concernant la restauration collective par exemple, la société française doit absolument avancer. Ce sont trois milliards de repas par an. Si une ville comme Paris met en place un repas végétarien par semaine dans les restaurants collectifs, elle générerait chaque année 7,5 millions repas végétariens. C’est énorme ! D’autant plus que la restauration collective, c’est 70 % de restauration scolaire, et c’est en passant par les enfants qu’on fait bouger l’avenir.
Mais beaucoup d’élus sont contre l’idée d’introduire des repas végétariens dans les cantines scolaires parce qu’ils estiment que c’est le seul repas de la journée qui puisse être équilibré — avec de la viande. Sauf que la problématique nutritionnelle des classes populaires n’est pas l’accès à la viande, mais l’accès aux fruits et aux légumes de qualité !
Dans votre livre, vous posez également la question de cette folie des appareils électroménagers… Quels problèmes posent-ils ?
La cuisine, c’est le lieu de la prolifération inutile des appareils. La plupart des gens ne cuisinent pas souvent, mais ils ont une yaourtière, un frigidaire américain qui fait des glaçons, un mixeur-trancheur-cuiseur. Ils sont hyper équipés d’appareils énergivores. On passe beaucoup de temps de notre vie à travailler pour s’acheter des trucs inutiles qui vont, en plus, tomber en panne, qu’on va jeter parce qu’on ne sait pas les réparer. Quel gaspillage des ressources et quelle pollution ! Consommons moins, travaillons moins et profitons plus de la vie !
À la maison, nous n’avons pas d’équipements particuliers. On a supprimé les robots ménagers, le micro-onde, la bouilloire car ça ne nous paraissait pas indispensable ; par contre, on a gardé un petit réfrigérateur, alors qu’il consomme beaucoup d’énergie. À chacun de commencer par où bon lui semble.
Chez nous, on a une cuisinière à gaz. On met en pratique les gestes de base de la cuisson économe : couvercle sur la casserole, cuisson à l’étouffée, etc. C’est une question d’habitude. On utilise la marmite norvégienne plusieurs fois par semaine. En été, on sort notre four solaire tout-en-carton. En hiver, on place les marmites sur le poêle à bois. Et comme nous mangeons beaucoup de salades, de crudités et de fruits, près d’un tiers de notre alimentation est crue, donc pas de cuisson !
Cuisine pas bête pour ma planète (p. 100)
Qu’est-ce qui vous motive dans toute cette démarche ?
Chez les gens qui s’emparent d’une cause, comme je l’ai fait, il y a bien sûr l’idée de défendre des valeurs dans lesquelles on croit dans l’espoir qu’elles touchent au cœur d’autres personnes.
Dans mon cas, j’ai eu l’occasion étant jeune de reconstruire les choses, de repartir à zéro. Je me suis demandé ce que je voulais réellement : vivre à la campagne, faire des confitures et cueillir des champignons. Je pense que j’y suis en partie arrivée. Mon prochain objectif, c’est de moins travailler !
- Propos recueillis par Lorène Lavocat
RECETTE DES « DÉLICIEUX FONDANTS CHOCO-POIS-CHICHES »

Par Sarah Bienaimé, extrait de Cuisine pas bête pour ma planète, éditions Terre vivante.
J’utilise l’eau de cuisson des pois chiches (aquafaba, voir p. 136) pour remplacer les œufs dans les crêpes, les cakes, les cookies. Il me reste ensuite à trouver des idées pour cuisiner les pois chiches eux-mêmes. Je prépare des houmous de toute sorte, des currys de légumes mais aussi ces délicieux fondants au chocolat noir. Je les prépare dans de minuscules ramequins et les sers à peine tiédis en fin de repas, avec un café ou une chicorée !
Préparation : 15 min
Cuisson : 15-20 min
- Pour 6 ramequins normaux ou 12 tout petits :
- 400 g de pois chiches bien cuits ;
- 4 cuil. à soupe de graines de lin (ou de chia) ;
- 320 ml de lait de soja (ou de jus de cuisson des pois) ;
- 180 g de sucre non raffiné ;
- 1 cuil. à café rase de poudre à lever ;
- ¼ de cuil. à café de bicarbonate de soude ;
- 90 g de chocolat amer en poudre.
- Optionnel :
- ½ cuil. à café de vanille en poudre ;
- 8 palets de chocolat (vrac, magasins bio).
- Préchauffez le four à 180 °C ;
- Au blender, mixez les graines de lin pour les réduire en poudre fine ;
- Ajoutez le reste des ingrédients et mixez en vous aidant si besoin du bras mélangeur. Vous obtenez une pâte épaisse et homogène ;
- Versez dans des petits ramequins (en glissant au centre de chacun un palet de chocolat si désiré) ;
- Faites cuire durant 15 à 20 minutes (selon la taille des ramequins) à 180 °C. Servez tiède avec des fruits frais.
Astuces
- Si vous souhaitez démouler les fondants, huilez légèrement les ramequins avant de verser l’appareil. Après la cuisson, laissez tiédir et aidez le démoulage en passant une fine lame de couteau entre le fondant et le ramequin ;
- Pour mesurer les toutes petites doses comme un quart de de cuil. à café, j’utilise un jeu de cuillères à doser en inox, ustensile ultra-pratique et pas cher du tout.

- Cuisine pas bête pour ma planète. Choix alimentaires, modes de cuisson, gestion des déchets, astuces de nettoyage, recettes faciles..., de Sarah Bienaimé, éditions Terre vivante, février 2018, 144 p., 15 €.