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EntretienPolitique

N’en déplaise à Hugo Clément, « l’écologie est forcément politique »

Le 13 avril, le journaliste engagé dans la cause animale a débattu avec le chef de file du Rassemblement national, invité par un magazine d'extrême droite.

Le journaliste Hugo Clément a participé à un débat organisé par l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles. Il est le symbole d’une vision de l’écologie « dépolitisée et vue comme transpartisane », estime Antoine Dubiau, spécialiste de l’écofascisme.

Hugo Clément a répondu à l’invitation du magazine d’extrême droite Valeurs actuelles. Le 13 avril, le journaliste engagé dans la cause animale a donc débattu avec le chef de file du Rassemblement national, Jordan Bardella, face aux lecteurs de ce magazine condamné pour injure publique à caractère raciste envers la députée Danièle Obono.

Alors que l’écologie devient un sujet incontournable dans le champ politique, comment l’extrême droite s’approprie-t-elle les enjeux environnementaux ? Elle est « anti-écologique pour l’instant », assure Antoine Dubiau, auteur d’Écofascismes (Ed. Grévis, 2022) et chercheur en sciences sociales.


Reporterre — Face aux critiques de la gauche, Hugo Clément s’est justifié en disant « qu’il ne faut pas parler à des gens déjà convaincus et considérer les autres comme des ennemis ». Que traduit cette séquence ?

Antoine Dubiau — Elle traduit la manière dont l’écologie existe aujourd’hui dans le débat public, c’est-à-dire via une approche de l’écologie dépolitisée et abordée comme un sujet transpartisan, au-delà des divisions entre familles politiques. L’écologie concerne tout le monde, tout comme la santé ou l’éducation. Mais ce qui compte, ce sont les différentes propositions politiques pour résoudre les problèmes identifiés. On peut choisir de s’intéresser aux impacts de la crise écologique en fonction des caractéristiques sociales, raciales, genrées et faire des propositions comme celles des écologistes fondées sur la décroissance ou la justice sociale. Ou bien avancer d’autres propositions en guise de réponse à la crise, comme par exemple, le marché du carbone]. C’est en ce sens que l’écologie est forcément politique.

La gauche écologiste est-elle prête à combattre une alliance entre le vert et le brun ?

Le problème est qu’à gauche de l’échiquier politique réside l’idée selon laquelle l’écologie serait intrinsèquement un concept de gauche, émancipateur, féministe et en faveur de la justice sociale. Le présupposé selon lequel le RN perdrait sa substance réactionnaire s’il était écologique me semble nocif. Il s’agit simplement d’une autre conception de la crise écologique, qui n’est pas celle qui domine à gauche et fait des dominations sociales la source de la crise écologique en cours. Il faut accepter de remettre en cause ce dogme et reconnaître qu’une autre conception de la crise écologique existe, sans quoi l’on ne peut pas prendre la mesure du risque que représente l’écofascisme.

« Le problème est qu’à gauche réside l’idée selon laquelle l’écologie serait intrinsèquement un concept de gauche, émancipateur, féministe et en faveur de la justice sociale. »

Peut-on parler d’une mue écologique du Rassemblement national ?

L’extrême droite est principalement anti-écologique pour l’instant. Mais face à une crise écologique qui s’aggrave, le risque est d’avoir une extrême droite qui ne va plus pouvoir se réfugier dans son écoloscepticisme et pourrait être tentée de piocher dans le corpus théorique à disposition : l’écofascisme. Il s’agit d’une possibilité théorique pour l’instant. Plusieurs théoriciens de l’écofascisme se sont rassemblés autour d’un courant né à la fin des années 1960 appelé la Nouvelle droite. Celle-ci a notamment théorisé le concept d’identité devenu hégémonique à l’extrême droite.

Il n’y a donc pas vraiment de mouvement écofasciste en tant que tel. Mais ce n’est pas parce que l’écologie n’a pas encore percolé au sein de l’extrême droite électorale que cela signifie que c’est impossible. Cette appropriation sera néanmoins limitée par son attachement aux énergies fossiles. Je ne crois pas que le RN ou Reconquête vont adhérer à la théorie écofasciste telle quelle, ce sera quelque chose de beaucoup moins linéaire, plus hybride et difficile à prévoir.

Quel est votre définition de l’écofascisme ?

Je connecte ce terme à ce que l’on appelle le fascisme en théorie politique ou en histoire. L’idée est de montrer qu’au sein de l’extrême droite, il y a eu une appropriation de la question écologique par des intellectuels. Mais il s’agit d’un corpus théorique éclaté entre différentes tendances, il est donc délicat de présenter l’écofascisme comme unifié tant que ce n’est pas un mouvement politique en tant que tel.

Que recouvre exactement cette notion ?

Les ingrédients idéologiques des doctrines fascistes passées reposent sur un certain rapport au sol, un lien insécable entre les humains et leur territoire d’origine. On retrouve notamment la notion d’enracinement que l’extrême droite a historiquement mobilisée pour évoquer un lien organique entre les communautés humaines et leur sol d’appartenance. Ce qui change aujourd’hui, c’est que la nature n’est plus seulement une référence métaphorique, mais un concept d’ordre écologique. Les écofascistes considèrent que la race, la civilisation, ou l’identité, seraient le produit d’un environnement particulier, et que la spécificité d’une certaine culture serait liée à cet environnement. Pour protéger la culture, il ne faudrait pas simplement rejeter l’immigration, mais aussi protéger l’environnement pour lui-même parce qu’il représente les conditions de reproduction de cette identité.

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