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Notre-Dame-des-Landes toujours debout contre « l’aménagement capitaliste du monde »

A Notre-Dame-des-Landes, l’anniversaire de l’abandon du projet d’aéroport est l’occasion de se rassembler, de festoyer, et de continuer à se battre, sur le terrain et ailleurs.

  • Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage

Il y a deux ans, le 17 janvier 2018, le Premier ministre Édouard Philippe annonçait l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Ce jour-là, les habitants de la Zad (Zone à défendre) avaient suivi en direct son intervention à la télévision, entre stress et impatience, puis ce fut la fête aux quatre coins de ce vaste terrain de lutte. Il fut décrété que le 17 janvier resterait, ici, chaque année, un « jour de fête et férié ». Ce vendredi 17 janvier 2020, les habitants de la Zad et leurs soutiens ont donc célébré un deuxième anniversaire à leur image, convivial et militant.

Les opposants au projet d’aéroport qui ont souhaité poursuivre leurs activités agricoles, culturelles, sociales et/ou artisanales débutées pendant la lutte sont environ 150 à vivre sur place, avec dix-sept projets différents. Après l’abandon du projet d’aéroport, les expulsions, et les démolitions d’habitations qui ont suivi, il a fallu reconstruire, négocier avec l’État. Le début d’une nouvelle ère, plus apaisée, mais non sans-obstacle. Une longue bataille foncière leur a permis d’obtenir des baux agricoles sur 360 hectares, mais pas de résoudre toutes les questions liées à l’habitat ou aux autres activités. Ce 17 janvier était aussi l’occasion de le rappeler.

A la mi-journée, sous en beau soleil, une centaine de personnes se sont réunies pour lever la charpente d’une future habitation, au lieu la Gaîté, dans la partie est de la Zad. À cet endroit, une ferme occupée par les opposants à l’aéroport avait été détruite par les forces de l’ordre en 2012. Il y eut ensuite de nombreuses cabanes et autres habitats légers, détruits, eux-aussi, en 2018. A présent, des paysans de la Zad veulent y reconstruire un endroit où vivre, abriter leurs outils, moutons et poules pondeuses. « On a réussi à obtenir des baux pour faire nos activités agricoles, mais le siège d’exploitation le plus près d’ici se trouve à plus de quatre kilomètres », explique l’un de ces paysans.

Les trois habitants de La Gaîté.

Ces paysans vivent en yourte ou caravane depuis la destruction de leurs habitants en 2018. Un permis de construire pour cette ferme a été déposé le 15 janvier. Le lever de charpente était l’occasion de montrer leur détermination. Neuf autres permis de construire ont été déposés le 15 janvier par des habitants de la Zad. Ils souhaitent faire reconnaître « l’entremêlement des usages », qu’ils pratiquent ici depuis plusieurs années, avec des activités artisanales et de l’habitat partagé. Ce que le PLUI (Plan local d’urbanisme intercommunal) adopté en décembre ne prend pas en compte avec des zones uniquement dédiées à l’agriculture ou l’exploitation forestière.

La charpente de la Gaîté a été dressée vendredi.

La nouvelle charpente a été construite avec des habitants de l’association Des chênes et vous, qui organise régulièrement des chantiers participatifs autour de la menuiserie à Notre-Dame-des-Landes. Les futurs habitants y verraient bien une construction en chanvre. Car ici, ce ne sont pas seulement les manières de faire de l’agriculture qu’on réinvente, mais aussi les manières d’habiter. Les habitants de la Zad bataillent ainsi pour faire accepter leurs cabanes et autres constructions qui peuvent être enlevées sans abîmer les terres, dits habitats légers.

Dans une interview à France 3, le maire de la commune de Notre-Dame-des-Landes, Jean-Paul Naud, s’est montré ouvert à l’idée de trouver un arrangement légal, après les élections. « Il dit ça dans le cadre d’une période pré-électorale, mais il faudra voir ensuite ce qu’il fait », glisse un habitant. « En tout cas, ce qui est sûr, c’est que ce sujet parle à pleins de gens, qui nous soutiennent ». L’habitat léger s’est en effet beaucoup développé en France ces dernières années, avec certaines municipalités qui ont emboîté le pas et d’autres beaucoup moins. Autre difficulté : la gestion de la forêt de Rohanne. L’association Abrakadabois, qui y mène depuis plusieurs années une sylviculture alternative, est toujours en pourparler avec le département et l’Office national des forêts pour continuer à mener son activité.

Les officiants du « rite bâtisseur ».

Reste que le 17 janvier, à la Zad, était un jour heureux. La montée de charpente a été suivie d’un « rite bâtisseur » mené dans une ambiance festive par une joyeuse bande de chanteurs masqués.

Sous la charpente, la poursuite du rite bâtisseur.

Geneviève, une militante historique, a dressé un bouquet de fleurs sur le haut de la charpente, sous les applaudissements. Avec, en bonus, à l’horizon, un joli arc-en-ciel.

Geneviève, militante historique de Notre-Dame-des-Landes, au haut de la charpente.

Des habitants ont aussi organisé une ballade rythmée par des anecdotes et des discussions sur l’histoire de la Zad – et il y en a ! Puis, au soir, vint le Fest-Noz, à Bellevue. Dans « le hangar de l’avenir » qui abrite les outils de menuiserie de l’association Abrakadabois, sur le plancher flambant neuf terminé en septembre lors d’un chantier-école, on a dressé des tables pour un grand banquet.

Environ 600 personnes ont participé aux festivités. Parmi les participants, des habitants de tous âges, des nouveaux-nés aux plus âgés. Et de nombreux soutiens de longue date ou plus récents. « C’est formidable ce qu’il se passe ici, c’est intergénérationel, inventif. On est loin de l’image caricaturale de la radicalité véhiculé par certains », s’enthousiasme Christine, attablée avec son compagnon Xavier. Ils font partie de l’association NDDL Poursuivre ensemble et participent au fonds de dotation La Terre en commun, qui a été créé dans le but de racheter les terres actuellement louées au département, quand il les vendra. La collecte a déjà recueilli 700.000 euros. L’objectif pour 2020 est d’arriver à 1,5 millions d’euros.

Parmi les participants, aussi, des militants venus d’autres régions. Comme par exemple ceux du quartier des Lentillères à Dijon, qui ont obtenu l’abandon d’un projet d’éco-quartier contre lequel ils luttaient depuis plusieurs années. Ou encore ceux de Gonesse opposés au projet Europacity, dont l’Élysée a annoncé en novembre qu’il ne se ferait pas. Certains de ces militants étaient venus à la Zad ces dernières années, et vice-versa. Les habitants de la Zad ont par ailleurs créé une Cagette des terres, pour ravitailler les mouvements sociaux des environs. Pour eux, pas question de vivre en vase clos. « Beaucoup de gens passent ici, on peut faire des choses qu’on pourrait difficilement faire ailleurs parce qu’on a un mouvement qui nous soutient », rappelle un habitant. « On est super heureux de l’abandon du projet d’aéroport ici, mais c’est dérisoire par rapport à ce que détruit chaque jour l’aménagement capitaliste du monde », rappelle un autre. Par exemple, ce vendredi, des militants de l’association DéStocamine, qui luttent pour le déstockage de déchets chimique toxiques en Alsace, ont présenté leurs actions lors d’une conférence à l’Ambazada, l’un des lieux culturels de la Zad. « Donnez-nous des tuyaux », a glissé l’un deux à l’adresse des opposants victorieux au projet d’aéroport. Bref les « deux ans » c’est aussi et surtout l’occasion de souligner que les batailles pour prouver qu’un autre monde est possible ici, et ailleurs, sont promises à une longue vie.


  • Revivez la journée du 17 janvier 2020 en images

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