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TribuneAgriculture

« Notre sarrasin vaut mieux que vos salades du futur »

Le 11 juin 2023 durant l'action des Soulèvements de la Terre en Loire-Atlantique.

Les actions de « désarmement » contre le maraîchage industriel du Pays nantais, dimanche 11 juin, ont suscité des réactions indignées des partisans de l’agrobusiness. Des paysans et paysannes répondent dans cette tribune.

À la suite des actions de désarmement d’infrastructures lors de la manifestation des paysannes de Loire-Atlantique, de La Tête dans le sable et des Soulèvements de la Terre du dimanche 11 juin, les maraîchers industriels ripostent par leur communication de crise sur le mode du pleurnichage : en se faisant passer pour de pauvres petits agriculteurs attaqués par des hordes d’écologistes radicalisés, déconnectés des réalités de la campagne. Face à cette petite musique, nous, paysannes maraîcheres diversifiés du Pays nantais, affirmons clairement : nous ne plaindrons pas ces agrobusinessmen.

S’il y a des victimes dans cette histoire, ce sont les habitantes de la région, voisines de ces exploitations gigantesques, dont on détruit les paysages à coup de mers de plastique et d’arasement des haies. Des habitantes dont on pollue les nappes phréatiques, les rivières et l’eau du robinet à force de nitrates et de résidus de pesticides. Des habitantes qui voient la vie de leur village se réduire à peau de chagrin, entre machines à pain, supermarchés et temps de transport, tant l’industrialisation de l’agriculture a vidé les campagnes en concentrant le travail dans le tertiaire et les métropoles.

Serres chauffées tout l’hiver 

S’il y a des victimes dans cette histoire, ce sont les paysanes, dont les terres sont accaparées pour ces grandes entreprises tournées vers l’exportation, et dont le métier se limite à appliquer un calendrier de traitement dicté par des techniciens.

S’il y a des victimes dans cette histoire, ce sont les travailleureuses de ces grands propriétaires terriens, soumis à des cadences infernales, exposés aux pesticides, dont une partie du salaire est retenu pour se voir logé à dix par chambre.

S’il y a des victimes dans cette histoire, c’est la biodiversité, qui s’effondre après l’artificialisation du sol pour les cultures hors-sol, après la disparition du bocage, après l’épandage de tonnes de sable et la perte des matières organiques de la terre, après les pulvérisations de pesticides et la stérilisation du sol à la vapeur d’eau (le métham sodium leur a été retiré).

S’il y a des victimes dans cette histoire, c’est le climat, dont le réchauffement ne cesse de s’aggraver à cause des émissions de gaz de cette agriculture ultramécanisée et technologisée (il faut voir pour le croire le ballet des hélicoptères à chaque printemps qui blanchit les hectares de serres afin d’éviter leur surchauffe). Cette agriculture orientée vers l’export et les filières longues et ses défilés de camions (80 % de la mâche consommée en France et 50 % de la mâche européenne est produite dans la région nantaise). Cette agriculture qui ne respecte pas les saisons et chauffe des serres tout l’hiver, parfois fenêtres ouvertes pour éviter le surplus d’humidité et ses maladies associées.

 Il n’y a pas besoin de sable pour faire pousser des légumes

Pourtant, nous, paysanes maraîcheres diversifiés, mettons en pratique au quotidien d’autres manières de cultiver des légumes et nourrissons des milliers de personnes dans le Pays nantais. L’alternative est là, à portée de main, et nos distributions de légumes (ventes à la ferme, Amap, marchés…) sont des moments joyeux et conviviaux. Vendus localement, nos légumes sont plus frais et donc plus nutritifs et leur bilan carbone est incomparable.

Peu mécanisés, nous sommes plus nombreuses à travailler par hectare, et si c’est bon pour le climat et mauvais pour le complexe agro-industriel qui se gave sur le dos des paysanes, c’est également bon pour la vie de nos campagnes. Peu mécanisés, nous sommes plus autonomes, plus à même de décider et d’évoluer, ce qui donne tout son sens à notre métier.

En respectant la saisonnalité, nous limitons la consommation de plastiques et l’utilisation de combustibles fossiles. Nous favorisons des semences adaptées à notre contexte pédoclimatique et nous préservons la richesse de cette biodiversité domestique.

Il n’y a pas besoin de sable pour faire pousser des légumes. La terre, nous préférons la pailler pour la protéger et l’enrichir en humus qui retient l’eau et les nutriments. Nous la fertilisons avec des matières organiques issues d’élevages voisins.

Tout nous oppose, autant sur le plan social qu’environnemental 

Nous plantons des haies pour les hérissons et les écureuils, et quand on désherbe nos carottes, on s’amuse à reconnaître le chant des oiseaux pour faire passer le temps plus vite. On observe régulièrement des couleuvres et des tritons dans nos étangs. On est soulagés de voir les larves de coccinelles sur les pucerons de nos concombres et on est ravis de voir remonter enfin les vers de terre avec les premières pluies d’automne. Il y a même des rhinocéros qui se cachent dans nos vieux tas de paille.

De ce foisonnement, on ne retrouvera aucune trace dans vos hectares de plastiques (à multiplier par trois : la bâche de la serre + le voile d’ombrage en été + le paillage au sol). Littéralement : ce que vous détruisez, c’est la vie. Ce qui a été détruit sur le passage de la manifestation de dimanche, c’est la mort.

Après avoir longtemps moqué et méprisé celles et ceux qui pratiquaient une agriculture paysanne, respectueuse de la terre et des êtres humains qui la travaillent, on a finalement dit que nous aurions besoin de toutes les agricultures, qu’il ne faut pas nous opposer. Nous ne sommes pas d’accord. Tout nous oppose, autant sur le plan social qu’environnemental. Ce n’est pas l’agriculture qui a été ciblée dimanche 11 juin. Seulement la vôtre. Chaque fois que vos salades du futur seront remplacées par une variété de sarrasin population, c’est avec un large sourire ridé par le soleil et le vent que nous partirons récolter nos pois gourmands et choux chinois, nos blettes et nos rhubarbes.

Premiers signataires des paysan.es maraîcher.es diversifiés du pays nantais :

Léo, Erwan, Marion, Amélie, Maria, Mélanie, Jean-François, Antoine, Martin, Chloé, Delphine, Amélie, Guillaume, Etienne, Christophe, Véronique, Pierre, Fred, Annaël, Gibier, Christelle, Anne-Claire, Elia, Laurent, Stéphane, Hélène, Emilien.

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