Entre paillettes et verdure : la nouvelle vie d’un artiste de cabaret en Ardèche

Le transformiste Julien Fanthou, alias Patachtouille, porte une perruque en pousses de lentilles germées dans son nouveau cabaret. - Instagram/Patachtouille
Le transformiste Julien Fanthou, alias Patachtouille, porte une perruque en pousses de lentilles germées dans son nouveau cabaret. - Instagram/Patachtouille
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En pleine prise de conscience écologique, le transformiste travesti Julien Fanthou, alias Patachtouille présente un spectacle écoloqueer. Récemment installé en Ardèche, ce changement de vie l’a amené à réinventer son personnage.
Valvignères (Ardèche), reportage
Julien, vêtu d’un bermuda blanc, enchaîne les cigarettes sur la terrasse de sa maison de village. « C’est bien d’avoir le temps, non ? » glisse-t-il à plusieurs reprises. Vivre dans ce petit village ardéchois, loin de Paris, l’apaise : « Ici, je suis au contact de la nature, j’y puise une inspiration nouvelle », raconte-t-il. « C’est ce qui le sauve de la frénésie de la vie parisienne, avance son ami chanteur et accordéoniste Gérald Bazin Elliott, mieux connu sous le nom l’Oiseau Joli. On fait un métier de nuit, ça peut vite te puiser toute ton énergie. L’Ardèche l’aide beaucoup. »
Il y a trois ans, Julien Fanthou, chanteur-transformiste star du cabaret travesti Madame Arthur à Pigalle, quittait l’agitation de Paris pour Valvignères, petit bourg de 300 habitants en sud Ardèche. Le quadragénaire cherchait alors à adopter « un rythme de vie plus humain » et respectueux de l’environnement. Mais Patachtouille — son nom de scène — n’a pas tout à fait laissé Paris. Il y a gardé un petit logement dans le 15e arrondissement avec son mari, Gilles. Tous les deux jonglent désormais entre leur maison de village et la capitale.
Chanteur lyrique de formation, Julien continue de se produire régulièrement à Paris pour le cabaret Madame Arthur. Il joue également pour des scènes locales autour de Valvignères. Très peu subventionné en Ardèche, le cabaret n’y est pas beaucoup développé. Mais Julien compte bien participer à faire connaître ce milieu en zone rurale et projette notamment de développer un « camion-cabaret » pour pouvoir jouer dans différents villages.

« Mes spectacles peuvent pousser des queer [personnes lesbiennes, gaies, bi ou trans] en campagne à assumer leur “queeritude”. Ça permet de rendre visible ce milieu », raconte-t-il. Ici, son métier est « plus politique » que lorsqu’il ne se produisait que dans sa « bulle » urbaine.
Un vent queer souffle sur la campagne : de plus en plus d’évènements LGBT+ y sont organisés. En juin dernier, la ville d’Aubenas organisait la seconde édition de sa marche des fiertés. « J’avais bloqué la date bien à l’avance, se rappelle le transformiste. C’était plus important de gonfler les rangs de cette marche que celle de Paris. »
« En Ardèche, je déconstruis mon personnage »
Julien a les ongles parfaitement vernis en rouge, comme à son habitude. Lorsqu’il parle de son personnage de scène, Patachtouille, il utilise le féminin. Dans les cabarets parisiens, on était habitué à la voir perchée sur des talons, vêtue d’un corset et arborer régulièrement de nouvelles tenues : « Le glam, les talons et le corset sont vus comme des signes de réussite à Paris, explique le transformiste. En Ardèche, je déconstruis mon personnage. »
Patachtouille est devenue une « créature » de plus en plus singulière selon ses proches. Olivier Rey, metteur en scène et ancien directeur du Lavoir public à Lyon connaît Julien depuis de nombreuses années. Il est le collaborateur artistique de son nouveau cabaret écoloqueer Le Cabaret Patach’ ou la métamorphose des pédoncules.
« Il est passé de femme fatale à femme végétale », dit-il. Dans son nouveau spectacle, Julien a troqué ses nombreuses perruques synthétiques pour une nouvelle, faite main, en pousses de lentilles germées.

Julien aime rire et faire rire. Il est « joyeux » et « chante tout le temps », selon son mari, Gilles. Derrière cette sérénité singulière, l’artiste confie avoir connu une douloureuse période de dépression et d’écoanxiété après les confinements successifs passés en Ardèche et la reprise de ses tournées à Paris. Ces épisodes l’ont amené à changer la perception qu’il avait de son travail : « Je n’assumais plus ce rapport à la frivolité que j’avais dans le cabaret. » En pleine quête de sens, Julien songeait à abandonner la scène.
C’est à ce moment précis que le transformiste prit la décision de passer plus de temps en Ardèche. Là, « il s’est rapproché des éléments de la terre, de l’eau… De tout ce dont Paris l’avait détaché, raconte son ami l’Oiseau Joli. C’est ce qui l’a amené à créer son nouveau cabaret. »
Le transformiste a alors retrouvé un équilibre entre ce qu’il appelle « la frivolité du cabaret » et ses convictions : « Je me suis dit : tout le travail que l’on fait sur le genre au cabaret, pourquoi on ne le ferait pas sur un autre sujet ? » Julien s’est donné pour mission de parler de l’urgence climatique, mais surtout « d’apporter de la joie face au poids du monde ». Pour ce nouveau spectacle, décors, tenues et accessoires sont issus de seconde main ou réalisés à base de matières recyclées.
L’écoanxiété comme source d’inspiration
L’écoanxiété a une place centrale dans ce cabaret qu’il qualifie d’« écoloqueer ». Elle est personnifiée par un grand dragon orange qui transperce le décor dans la seconde partie de la représentation. Coiffée de sa perruque de lentilles germées et vêtue d’une simple robe blanche, Patachtouille lui lance : « J’ai cessé d’être une travelotte glamour depuis que tu es entré dans ma tête. »
Les personnages, des « pédoncules », sont toutes des créatures écolos. À l’exception de Lola la Dragones : cliché ultracapitaliste qui adore « les orgies de shopping » et se déplace uniquement en jet privé ou en SUV. Son personnage, tourné en ridicule, représente un modèle dépassé. « La puissance de l’imaginaire, j’y crois à fond, c’est là que je mets toute mon énergie », dit Julien.

« Il y a un rapport aux vieilles chansons et à la tradition dans le cabaret, souligne son ami l’Oiseau Joli. Faire passer un message de protection de la nature dans ce milieu, c’est nouveau et à la fois hyper actuel. »
La peur et la culpabilité face à l’urgence écologique sont « des sujets qui l’habitent, auxquels il pense quotidiennement. Ce spectacle, il le fait par nécessité », dit Olivier Rey. Il y a dans le travail artistique de Julien Fanthou une dimension très personnelle. Depuis ses débuts. À commencer par son nom de scène, Patachtouille, en rapport à sa séropositivité. Pour le metteur en scène, « il a toujours fait avec ce qu’il est : sa maladie, ses blessures… Maintenant l’écologie ».
Pour découvrir Le Cabaret Patach’ ou la métamorphose des pédoncules rendez-vous : le 27 novembre au Théâtre de l’Atelier à Paris, le 1er décembre au Carré du Perche à Alençon (Orne), le 12 janvier au Théâtre Molière à Sète (Hérault) et le 10 février salle de L’Isle-d’Abeau à Villefontaine (Isère).