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Justice

Pesticides : l’État condamné pour « carence fautive »

Cinq ONG avaient déposé un recours en justice en janvier 2022.

L’État a été condamné le 29 juin par la justice à réparer le « préjudice écologique » engendré par les pesticides qu’il peine à réduire.

Les pesticides qui contaminent les eaux et les sols constituent un « préjudice écologique » et l’incapacité de l’État français à les réduire est une « carence fautive ». Voici la conclusion du tribunal administratif de Paris, rendue publique le 29 juin, dans l’affaire « Justice pour le vivant ».

En janvier 2022, cinq ONG — Pollinis, Notre Affaire à tous, Biodiversité sous nos pieds, Anper-Tos et l’Aspas — avaient déposé un recours contre l’État pour son inaction face à l’effondrement de la biodiversité.

Elles faisaient remarquer que les populations d’insectes volants ont diminué de plus de 75 % en près de trente ans, ou que 41 % des amphibiens sont menacés d’extinction. Parmi les principaux coupables : les pesticides, qui empoisonnent les êtres vivants, les sols, les cours d’eau, etc. Or c’est à l’État français de valider et de maintenir sur le marché ces produits néfastes. Les cinq ONG espéraient donc, par ce recours, que la justice reconnaisse la responsabilité de l’État.

Restaurer et protéger les eaux souterraines

Le tribunal administratif de Paris n’est pas allé jusque-là. Le 29 juin, les juges ont bien reconnu l’existence « d’un préjudice écologique résultant de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques, du déclin de la biodiversité et de la biomasse et de l’atteinte aux bénéfices tirés par l’Homme de l’environnement ».

Les juges ont toutefois estimé que « l’État ne peut être regardé comme responsable du préjudice écologique invoqué par les associations requérantes » — tout en reconnaissant que ses « insuffisances » en matière d’évaluation des risques et d’autorisation de mise sur le marché des pesticides étaient une « carence fautive ».

Le tribunal ordonne donc à l’État de prendre « toutes les mesures utiles » pour réparer ce préjudice écologique d’ici le 30 juin 2024. Plus précisément, les juges demandent de rétablir le rythme de diminution de l’utilisation des pesticides prévu par les plans Écophyto — objectifs que le gouvernement s’est lui-même fixés. Ils appellent aussi à des mesures « de nature à restaurer et protéger les eaux souterraines contre les incidences des produits phytopharmaceutiques ».

Ainsi, le tribunal n’a retenu que deux fautes : le non-respect des objectifs en matière de réduction de l’usage des pesticides, et le non-respect de l’obligation de protection des eaux souterraines. Les autres griefs invoqués par les associations requérantes (mauvaises procédures d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des pesticides, absence de procédure de suivi et de surveillance des effets de ces produits, défaut d’indépendance de l’Anses, l’agence nationale qui autorise ces produits…) ont été écartés.

Condamnations multiples

Les cinq associations ont annoncé dès l’annonce du délibéré qu’elles comptaient faire appel devant la cour administrative d’appel de Paris, pour que la justice ordonne à l’État — comme cela avait été recommandé par la rapporteuse publique, lors de l’audience du 1er juin — de revoir les méthodologies d’évaluation des risques des pesticides. Les cinq ONG réitèrent leur appel : elles demandent cette révision, la réévaluation de la dangerosité des près de 3 000 produits phytopharmaceutiques homologués en France, le retrait du marché des substances problématiques, et de s’assurer que de nouvelles substances toxiques pour le vivant n’y fassent pas leur entrée.

Elles se réjouissent toutefois de cette décision. « La justice a tranché : après des décennies d’inaction, l’État est enfin reconnu coupable de l’effondrement de la biodiversité par son incapacité à mettre en œuvre une évaluation des risques des pesticides réellement protectrice du vivant, ont-elles réagi dans un communiqué. Mais c’est aussi sa capacité à agir et la possibilité de renverser cette situation dramatique que cette décision met en lumière. Les solutions pour inverser la tendance existent, il faut les mettre en place de toute urgence. »

L’État versera à chacune de ces ONG la somme symbolique d’1 euro, « en réparation de leur préjudice moral », et leur remboursera les frais de justice. Lors du procès du 1er juin, aucun représentant du gouvernement ne s’était déplacé. Les arguments en faveur de l’État avaient ainsi été présentés par l’un des principaux lobbies des pesticides, le syndicat professionnel Phytéis.

Cette décision de justice s’ajoute à d’autres : l’État a déjà été condamné à plusieurs reprises pour son inaction climatique (« L’Affaire du siècle » et « l’affaire Grande-Synthe ») et pour sa mauvaise gestion de la pollution de l’air.

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