Pour « imaginer le futur », Extinction Rebellion occupe le centre de Paris

Les militants d'Extinction Rebellion le 16 avril 2022 occupent le centre de Paris. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
Les militants d'Extinction Rebellion le 16 avril 2022 occupent le centre de Paris. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
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Luttes Extinction RebellionPlusieurs centaines de militants d’Extinction Rebellion se sont installés le 16 avril au matin sur une partie des Grands Boulevards, au cœur de Paris. Le but : installer une « grande agora » sur la lutte contre le réchauffement climatique durant tout le week-end de Pâques.
Paris, reportage
Le lieu a été tenu secret jusqu’au dernier moment. Au centre de Paris, il est environ 9 h 30 samedi 16 avril lorsque des centaines de militants descendent de camions de location. En cinq minutes, le carrefour de Strasbourg Saint-Denis (Paris 10e) est bloqué. Côté boulevard Saint-Martin, des personnes s’assoient en tailleur sur des tapis de sol. Face à l’arche Saint-Denis, une structure en bois haute de six mètres est érigée. À l’entrée du boulevard Bonne nouvelle, une dizaine de jeunes empilent des bottes de foin avant de grimper dessus. Rue Saint-Denis, des activistes s’allongent par terre et s’enchainent à des blocs de béton fixés sur le bitume. Une grande banderole rouge affiche un sablier, symbole du mouvement écologiste Extinction Rebellion (XR). À une semaine du deuxième tour de l’élection présidentielle qui opposera la candidate d’extrême droite Marine Le Pen à Emmanuel Macron, le mouvement de désobéissance civile mène une action spectaculaire : il entend occuper les lieux tout le weekend de Pâques.

Parce que le « fascisme est proche » et qu’il est « urgent » de « construire une véritable alternative », l’enjeu est de taille pour ces défenseurs du climat et de la justice sociale déçus par le mandat du président-candidat. « Il est impératif de faire pression et de prendre acte de la nécessité d’agir quelque soit le candidat élu, insiste l’un des organisateurs. Nous n’attendrons pas cinq ans de plus. La situation s’aggrave, et nos dirigeants ne font rien, c’est à nous de peser pour que des décisions soient prises, et faire agora pour imaginer ce futur. » L’activiste cite pêle-mêle : les millions d’Africains qui d’ici 2030 deviendront des réfugiés climatiques, les soixante-trois milliardaires français qui émettent autant de gaz à effet de serre que 50 % de la population ou encore le dernier volet du sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental (Giec) sur le climat qui prédit trois ans à l’humanité pour réduire ses émissions de CO2.
Plus de 2 700 participants sont attendus pour une occupation qui doit durer trois jours. Le programme ? Des conférences et des tables rondes autour d’une thématique majeure pourtant absente de la campagne présidentielle : la crise climatique. Seront discutés les leviers de lutte possibles, le nécessaire renouvellement démocratique ou encore les « inégalités climatiques et énergétiques ». Pour en parler, le mouvement a convié des figures de la société civile et politique comme Marie Toussaint (Europe Écologie-Les Verts), Fatima Ouassak (porte-parole du Front de mères), Élodie Nace (porte-parole d’Alternatiba) ainsi que des scientifiques spécialistes des questions de santé, de gouvernance et de démocratie.

Intitulé « L’inévitable rébellion », l’événement vise à « affirmer la nécessité de repenser notre fonctionnement collectif », « exiger une justice écologique et sociale » ainsi que l’essor d’une politique « permettant de nous garantir un avenir viable ». La plupart des activistes croisés samedi font un constat : le rapport de force doit se jouer ailleurs que dans les urnes, du côté de la société civile. « Notre système démocratique est foutu ! », estime Élie. Elle a attaché un large antivol autour de son cou accroché à la poignée d’un piano afin de ne pas être délogée par la police. À tout juste 25 ans, la Toulousaine, venue exprès pour l’action, est catégorique : « Je vais boycotter le second tour. »

Membre de XR depuis le mois de septembre, c’est en militant que sa prise de conscience est née. « J’ai récemment réalisé que le changement ne viendrait pas d’en haut, mais bien d’en bas, des personnes sur le terrain. » Pour les citoyens et les citoyennes de gauche, c’est le dilemme du second tour : faire barrage à Marine Le Pen en votant Macron ? Ou voter blanc ou s’abstenir ? Au même moment, la question hante d’autres militants : une trentaine de marches sont organisées ce samedi contre l’extrême droite dans toute la France.

À côté d’Élie, Ciercé dit qu’elle votera « malgré tout » pour Emmanuel Macron. Elle aussi aspire à un système plus horizontal, où la voix des citoyens et des citoyennes serait entendue. Comme des milliers d’adolescents, la jeune femme a commencé à militer en 2018, portée par l’engagement de Greta Thunberg, avec Youth for climate. Elle souhaitait ainsi contraindre les gouvernements à lutter contre le réchauffement climatique. Si elle a choisit de soutenir Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) au premier tour – « le vote utile » – la militante fulmine : « On se retrouve exactement dans la même situation qu’il y a cinq ans. Nous devons choisir entre deux candidats qui n’ont aucun programme climatique. C’est consternant ! »

Les cheveux recouverts par son drapeau jaune floqué d’un sablier, Pierre ne décolère pas. Le 10 avril dernier, les résultats du premier tour l’ont plongé dans un état de profonde révolte. Le trentenaire vient de rejoindre XR — dont il apprécie l’équilibre entre « bienveillance » et « radicalité ». « Sans une véritable volonté politique, la lutte contre le réchauffement climatique n’a aucune chance… » regrette-t-il, déterminé à rester sous l’arche de la porte de Saint-Denis les trois prochains jours.
Dès la fin de matinée, les forces de l’ordre ont encerclé « L’inévitable rébellion ». En 2019, Extinction Rebellion avait occupé la place du Châtelet, et multiplié les blocages durant une semaine.