Cinq ans de Macron : ses proches vantent le vert, les écolos voient rouge

Emmanuel Macron à la COP26, le 1er novembre 2021. - © Alain Jocard / AFP
Emmanuel Macron à la COP26, le 1er novembre 2021. - © Alain Jocard / AFP
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Climat Présidentielle PolitiqueÉlevage intensif, avion, nouvelles routes, précarité énergétique... Niveau écologie, « la plupart des indicateurs sont dans le rouge », conclut le Réseau Action Climat dans un bilan du quinquennat. Interrogés par Reporterre, les proches de M. Macron assurent pourtant « avoir entrainé la société dans une transformation complexe ».
À l’issue du quinquennat d’Emmanuel Macron, « la plupart des indicateurs sont dans le rouge » sur l’écologie, déplore le Réseau Action Climat (RAC) dans un bilan fouillé et complet publié mercredi 26 janvier. L’association — qui regroupe des organisations nationales et locales en lutte contre le changement climatique — a analysé l’action du président dans neuf domaines : les transports, l’industrie, l’alimentation et l’agriculture, la rénovation énergétique, la transition énergétique, l’Europe, l’international et les finances.
Résultat ? Emmanuel Macron a certes « multiplié les déclarations fortes — chacun se souvient du Make our planet great again », mais le RAC retient surtout l’« insuffisance des actions du gouvernement ». Celle-ci a été sanctionnée par deux revers historiques : la condamnation de l’État, en justice, dans l’Affaire du siècle et dans l’affaire Grande-Synthe [1]. Sous la présidence de M. Macron, la France s’est notamment rendue coupable de ne pas avoir respecté sa feuille de route pour le climat — la stratégie nationale bas carbone (SNBC) — en dépassant les plafonds d’émissions de gaz à effet de serre qu’elle s’était fixés. Le gouvernement a même revu à la baisse ses ambitions, en s’autorisant à émettre davantage que prévu. Cette révision de sa trajectoire est censée être compensée par des efforts réalisés après 2024.

Reporterre a contacté l’entourage du Président, qui nous a répondu promptement et nous a présenté sa propre vision de la politique écologiste menée par le gouvernement. « Nous avons doublé la vitesse de réduction des émissions au cours du quinquennat, de 1 % par an entre 2012 et 2017 à 2 % dès 2019 », dit-on à l’Élysée. On s’y réjouit aussi d’avoir réussi un coup diplomatique avec le Make our planet great again, pour signifier « à des pays comme les États-Unis qu’ils n’arriveraient pas à détruire l’Accord de Paris ».
Quant à l’Affaire du siècle, « ce ne sont pas le président et le gouvernement qui ont été condamnés, mais bien l’État pour le non-respect d’un budget carbone sur lequel il est difficile de reprocher à ce gouvernement de ne pas avoir agi, puisque c’était le budget 2015-2018 », précise l’entourage du président. Et la SNBC ? « Oui, nous avons révisé les objectifs de court terme, mais dans le souci d’être plus sincères sur notre trajectoire. »
Dans son bilan, le Réseau Action Climat accorde à Emmanuel Macron des décisions « symboliques », comme l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou du mégacomplexe commercial Europacity. Mais l’association regrette surtout que les projets de loi portés par le gouvernement n’aient pas été mis « en cohérence » avec les objectifs climatiques. Dans le secteur des transports, qui représentait 31 % des émissions de gaz à effet de serre de la France en 2019, le RAC observe par exemple que l’adoption de la loi d’orientation des mobilités (LOM), « qui a permis des avancées » comme le Plan vélo ou les Zones à faibles émissions, reste « globalement insuffisante ». La fin de vente des voitures essence et diesel est prévue trop tard — pour 2040 —, et la poursuite des projets routiers, tels que les contournements, a été maintenue.

« Comment entraîner la société française dans une transformation qui est complexe et qui n’est pas sans heurts »
« Nous nous sommes toujours demandé comment nous pouvions entraîner la société française dans une transformation qui est complexe et qui n’est pas sans heurts ; la recherche de perfection pourrait avoir pour effet de rebuter tout le monde », répond l’entourage du président. Il se félicite d’avoir porté « quatre lois majeures de transformation dans l’énergie, les mobilités, l’économie circulaire, et le climat. Elles ont permis en cinq ans de faire basculer notre pays dans la transition écologique et de faire entrer l’écologie dans la vie des Français ». Ce qui s’est traduit concrètement, précise l’Élysée : « Quatre centrales à charbon ont été fermées, un tiers des ventes actuelles de voitures sont électrifiées, une hausse de 30 % de l’utilisation du vélo, la sortie du plastique à usage unique, le train favorisé par rapport à l’avion, avec la suppression de certains vols domestiques... » Précision : dans la loi Climat, seuls les vols domestiques entre deux villes qui se situent à moins de 2 h 30 en train sont interdits, soit huit liaisons. [2]
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Le bilan du RAC est moins flatteur et pointe des failles importantes dans l’action gouvernementale. Sur l’agriculture, faute de s’attaquer à l’élevage et aux engrais azotés de synthèse, « les émissions de l’agriculture n’ont pas baissé suffisamment ces dernières années ». Sur le volet énergétique, Emmanuel Macron a refusé d’activer « le levier de la sobriété » et, « plus préoccupant encore », le président « utilise faussement l’argument du climat pour annoncer une relance du nucléaire ».
Du côté des proches du président, on se dit « plutôt rassuré que l’objectif d’une baisse à 50 % du nucléaire en 2035 ait été reporté. Le parc nucléaire est un outil de production stabilisé, qui continue de proposer aux Français une électricité pas chère, ce qui nous permet de ne plus jamais construire de centrales thermiques dans ce pays. Nous n’osons pas imaginer le niveau de facture auquel seraient exposés les Français aujourd’hui si l’objectif avait été maintenu, vu les prix de l’énergie ».
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« La justice sociale a été largement oubliée lors de ce quinquennat »
En ce qui concerne les bâtiments, l’Élysée affirme à Reporterre avoir « amplifié » les aides à la rénovation des logements : « Depuis un an, 500 000 ménages se sont lancés dans des travaux de rénovation de leur logement grâce à Ma Prime Rénov, 800 000 à la fin de l’année. » Mais, pour le RAC, « l’objectif de quantité a primé sur celui de la qualité ». L’association cite notamment le comité d’évaluation du programme gouvernemental France Relance : « L’impératif de rapidité, dans un contexte de structuration progressive de la filière, n’a pas nécessairement conduit à soutenir les projets les plus efficients du point de vue des économies d’énergies à long terme. »
« La justice sociale a été largement oubliée lors de ce quinquennat », regrette la coordinatrice des programmes du RAC, Anne Bringault, auprès de Reporterre. Avant le mouvement des Gilets jaunes, dont l’élément déclencheur a été la hausse de la taxe carbone, « nous, la société civile, avions alerté en vain, pendant des mois, sur le fait que cette mesure ne pouvait être juste sans accompagnement des ménages les plus modestes dans l’achat de véhicules moins polluants ou en développant une politique de transports en commun », poursuit-elle.
Toujours interrogés par Reporterre, les proches du président reconnaissent à ce propos que « la composante carbone n’était pas calibrée pour entraîner la société ».
« Le gouvernement s’est montré trop perméable aux pressions des acteurs du monde économique »
Le RAC estime que conclure que les citoyens seraient récalcitrants « à accepter les mesures à mettre en œuvre pour baisser les émissions de gaz à effet de serre » serait « une grave erreur d’interprétation ». Au contraire, selon une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), les Français seraient prêts à faire des efforts, mais si ceux-ci sont équitablement répartis. « Quelques mois plus tard, les 150 de la Convention citoyenne pour le climat ont montré que les Français étaient prêts à agir, en proposant 149 propositions ambitieuses et justes socialement », dit Anne Bringault.
L’association déplore que les propositions des citoyens aient été « édulcorées, décalées dans le temps, voire purement et simplement supprimées », et ce malgré l’engagement répété d’Emmanuel Macron de transmettre sans filtre ces propositions au parlement. « Tout au long du quinquennat, le gouvernement s’est montré trop perméable aux pressions des acteurs du monde économique actuel, qui l’ont fait reculer et ont empêché l’émergence de ceux du monde de demain, juge Anne Bringault. Les arbitrages de Matignon ou de l’Élysée sont toujours allés en faveur des ministères de l’Économie ou de l’Agriculture. »
En raison de cette porosité de l’exécutif face aux lobbys, pour l’association, la loi Climat et résilience « ne contient pas de mesures suffisantes pour atteindre 40 % de baisse des émissions de gaz à effet de serre en 2030 », alors que cet objectif va être revu prochainement à la hausse avec la révision de l’objectif de l’Union européenne à -55 %. L’Élysée assure, au contraire, que cette loi « apporte les derniers outils [3] qui vont nous permettre de tenir nos engagements, à savoir la baisse de 40 % des émissions et la neutralité carbone en 2050 ».
Un autre regret des activistes : l’opportunité ratée du plan de relance à la suite de la pandémie de Covid-19. « Nous avons pourtant eu l’espoir, un moment donné, que la reprise ne se fasse pas comme le monde d’avant », déplore Anne Bringault. Elle cite notamment les milliards d’euros versés aux entreprises « sans conditionnement au respect d’une trajectoire climat compatible avec l’Accord de Paris », comme la baisse des impôts de production, qui représente 10 milliards d’euros par an. « 30 milliards d’euros du plan de relance ont été fléchés pour décarboner notre économie », se défendent les proches d’Emmanuel Macron, qui donnent l’exemple de la voiture et l’aérien, « où une partie des crédits est allée à la recherche pour développer aussi bien des carburants que des engins qui émettent moins de CO2 ».
Pour Anne Bringault, « le problème avec Macron, c’est qu’il a réussi à créer l’illusion qu’il agissait, laissant la société dans l’incompréhension des véritables enjeux écologiques et de l’ampleur des transformations à apporter pour y répondre ». Elle espère, pour le prochain quinquennat, « que la boussole du président ou de la présidente soit la justice climatique et sociale, qu’on ne puisse plus faire de loi incompatible avec nos engagements en ce sens ».