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Pour ne pas « crever au boulot », ils bloquent un dépôt de carburant

Le 6 avril, tôt dans la matinée, le mouvement « On crèvera pas au boulot » a bloqué l’accès au plus gros dépôt de carburant de Strasbourg pour protester contre la réforme des retraites.

Strasbourg, reportage

Dans la nuit encore opaque, ils sont une soixantaine, tout de noir vêtus, à avancer en direction du Port aux pétroles, zone industrielle au nord de Strasbourg. Il est 4 h 15 du matin et les camions-citernes sillonnent déjà la route menant au dépôt de carburants. Le groupe en laisse passer deux et se met en action. En quelques minutes, lests, panneaux et barrières de chantiers sont sortis d’un terrain vague tout proche pour créer une barricade sur la voie. Le blocage commence. Et une vingtaine de poids lourds s’accumulent rapidement. Chacun d’entre eux transporte entre 36 000 et 38 000 litres de carburants destinés aux stations-service.

Pour construire leur barricade, les militants ont pris les barrières d’un terrain vague situé en bord de route. © Christoph de Barry/Reporterre

À l’origine de cette action : le collectif On crèvera pas au boulot. Un mouvement strasbourgeois né pendant la mobilisation contre la réforme des retraites. « Tout a commencé en janvier, à l’occasion d’une réunion de Gilets jaunes, retrace Isabelle Wendling, référente presse du groupe Strasbourg République. On s’est dit qu’il fallait que l’on élargisse notre base. Alors on a écrit un tract intitulé « On crèvera pas au boulot », dans lequel on parlait des questions sociales (réformes des retraites, inflation, casse des services publics, précarité…), de la démocratie que l’on souhaiterait voir mise en place et de la protection de la planète. »

« Syndiqués, non-syndiqués, avec ou sans gilet, unis dans la lutte, organisons-nous par nous-mêmes en manifestation pour agir dès maintenant », indique le flyer largement diffusé fin février, qui invite aussi à « créer des liens » et « entrer en action de toutes les manières possibles ». Un vœu mué en collectif à l’occasion d’une réunion publique organisée le 4 mars avec le média indépendant Le Canard réfractaire, de passage à Strasbourg pour l’occasion.

Pendant deux heures, les camions-citernes ne pouvaient pas circuler sur la voie. © Christoph de Barry/Reporterre

« Offrir un espace d’action »

Gilets jaunes, militants d’Alternatiba Strasbourg et d’Extinction Rebellion (XR) ainsi que de groupes antifascistes et féministes locaux se sont mis autour de la table pour planifier une première action : le blocage d’un entrepôt Amazon dans les quartiers sud de la ville le 7 mars à l’occasion de la sixième journée de mobilisation intersyndicale contre la réforme des retraites. Le 15 mars, ils ont bloqué une première fois le Port aux pétroles, mais les militants ont été rapidement délogés.

Le lendemain, le gouvernement a dégainé le 49.3. Dans la foulée, le collectif a appelé à se réunir sur la plus grande place de la ville. Plus d’un millier de personnes ont répondu présentes et ont manifesté spontanément dans les rues de Strasbourg. Plus récemment, le collectif a coorganisé un rassemblement de soutien aux victimes de violences policières et aux blessés de Sainte-Soline, devant la préfecture de Strasbourg. « Depuis, nous avons organisé d’autres rassemblements pour ouvrir des espaces de discussion, poursuit Isabelle Wendling. On s’est aperçu que cela manquait, dans cette mobilisation. Qu’il n’y avait pas de prises de paroles en marge des défilés syndicaux, ni de moments qui permettent aux gens de décider des actions à mener. »

« Il s’agissait de sortir du mode d’action traditionnel des syndicats, dit de son côté Tom Baumert, membre d’Alternatiba Strasbourg. Il n’y avait pas beaucoup de répondant de ce côté-là alors que ça bougeait pas mal du côté des Gilets jaunes. On s’est dit que la dynamique se trouvait là. Et nous avons accepté de mettre notre identité un peu en retrait derrière la bannière du collectif On crèvera pas au boulot. »

Les activistes, tout de noir vêtus, ont bloqué le Port aux pétroles, au nord-est de Strasbourg. © Christoph de Barry/Reporterre

Intersectionnalité

5 h 30. Arrivés rapidement, une trentaine de policiers s’équipent en attendant les instructions. En face, les militants réchauffent leurs mains gelées par les températures négatives à l’aide d’ecocups de café, s’occupent en chantant « Bella Ciao » et en écoutant de la musique. Le groupe compte quelques militants de la section locale d’Extinction Rébellion, venus à titre individuel.

« Nous relayons les informations et les actions de On crèvera pas au boulot et chacun décide s’il veut y participer », dit Harmony, l’un d’entre eux. Le militant participe aux actions du collectif depuis le début. « Côté nombre, c’est quelque chose qui permet de regrouper pas mal de monde, se réjouit-il. Et le type d’action proposé me plaît bien. La désobéissance civile permet d’aller au-delà de la manif. » Sur le fond « tout est lié », juge l’écologiste. Et d’ajouter : « Nous, on se bat contre un système capitaliste et l’accumulation de richesses par quelques-uns, mais aussi contre la surproduction et ses conséquences sur le climat. Bloquer des activités économiques a un impact écologique. »

Afin de disperser la foule, les forces de police ont usé de grenades de gaz lacrymogène. © Christoph de Barry/Reporterre

Même son de cloches du côté d’un autre petit groupe de militants XR. « On nous demande de travailler toujours plus dans un monde déjà marqué par la superproduction. Nous restons dans un modèle qui valorise une croissance qui n’est pas viable. Tout le monde le sait mais tout le monde ferme les yeux », soupire Isengrin, 36 ans.

« Il y a plein de luttes à mener »

Pour Sleepy [*], 18 ans, mener des actions avec d’autres militants relève de l’évidence : « Cela participe d’une forme d’intersectionnalité. Je n’ai pas besoin d’être engagé dans une lutte pour la soutenir. Je suis militant avant tout. » Un point de vue partagé par les autres activistes. « Certains ici ont plus la fibre syndicale, d’autres plus la fibre écolo, mais on se rend compte aujourd’hui qu’on voudrait tous aller dans le même sens », abonde Pinock [*], 38 ans.

La soixantaine de militants a tenu le barrage pendant plus de deux heures. © Christoph de Barry/Reporterre

Sam Sam [*], 18 ans, réagit : « De toute façon, il y a plein de luttes à mener contre ce système qui court à sa perte et à la nôtre ».

6 h 36. Troisième sommation. Une grenade de gaz lacrymogène éclate au pied des militants assis par terre, tentant d’empêcher la destruction de leur barricade. Le groupe se disperse. Ils auront tenu deux heures, soit le double du blocage du 16 mars.



Notre reportage en images :


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