Pour renaître, la gauche doit devenir post-marxiste et écologique

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Politique« La gauche telle que nous l’avons connue n’est plus », constate l’auteur de cette tribune. Mais les forces de renouveau existent : la condition en est une hybridation claire des questions sociales et écologiques.
Gaël Brustier est politologue. Il a publié une analyse du mouvement né place de la République le 31 mars, Nuit debout. Que penser ?.

Le quinquennat de François Hollande se conclut en laissant l’ensemble de la gauche - social-démocrate, radicale, écologiste - dans un état de désolation préoccupant. La gauche telle que nous l’avons connue n’est plus. La France, demain, peut se retrouver dans la situation de pays comme la Hongrie, la Pologne, Israël ou le Japon, pays au sein desquels la gauche, les partis socialistes ou la social-démocratie ont disparu ou ont été marginalisés….
La crise idéologique de la société française se caractérise, chaque jour, par une capacité des différentes familles politiques de droite à articuler un discours politique qui donne ses réponses à la crise. La droite parlementaire est ainsi sous la pression électorale du vote FN, mais également d’un authentique mouvement conservateur né de La Manif pour tous. Quant à la « droite hors les murs », celle qui se réunit à Béziers et publie dans quelques luxueux fanzines, elle suscite des débats fortement médiatisés en lien avec les paniques morales de notre société, panique qu’elle contribue à créer, aggraver, exploiter.
La gauche institutionnelle semble sidérée et tétanisée
L’imminence de l’élection présidentielle de 2017 précise la fragmentation des organisations, avec la multiplication des candidatures au sein même de la famille socialiste (Montebourg, Hamon, Lienemann, Filoche), toutes en concurrence avec le Président sortant et contestant sa légitimité. La crise ouverte d’EELV suite au départ de sa secrétaire nationale pour un gouvernement que ce parti avait précédemment décidé de quitter, la crise latente d’un Front de Gauche confronté à ses contradictions stratégiques et à « l’échappée » de son candidat de 2012 - Jean-Luc Mélenchon - en vue de l’élection présidentielle de 2017, sont autant de signes de la nature catastrophique de la crise au sein de la gauche.
Après l’effet électoral « Katrina » des municipales, départementales et régionales sur l’ensemble de la gauche, qui a amené une forme de "dénationalisation" de celle-ci, la crise idéologique de ce camp politique se prolonge désormais par une crise des organisations de gauche.
La crise écologique et la crise du modèle économique sont liées
Cependant, au sein d’Ensemble, qui associe différents courants de la gauche radicale, les thèmes écologistes constituent le corpus idéologique. Du côté du Parti de gauche, l’attention est portée sur « l’éco-socialisme » et Jean-Luc Mélenchon, candidat de la « France insoumise », n’a pas parlé de quinoa pour une simple raison diététique personnelle, mais bien parce qu’il considère la production massive de protéines carnées comme un problème écologique important pour notre société. Cécile Duflot promeut quant à elle une « République écologique », ce qui peut contribuer à rendre le combat écologiste davantage en phase avec la passion française pour l’égalité. Pierre Laurent exprimait quant à lui, le 10 septembre dans les colonnes de Reporterre, l’idée que « l’écologie est LA question du XXIe siècle ».
Le temps du greenwashing est révolu. Si les thèmes écologiques et environnementaux sont présents dans les débats des différents partis et constituent parfois des lignes de clivage entre prétendants à la présidentielle, c’est parce qu’émane de nos sociétés une exigence nouvelle en la matière. La crise actuelle du modèle économique néolibéral met aussi en évidence ses impasses environnementales. Il devient de surcroît évident que, face à la crise écologique, il n’existe pas d’égalité. Ni entre le Nord et le Sud, ni entre riches et pauvres. Il devient évident que la crise écologique et la crise du modèle économique qui a dominé pendant trente ans sont liées.
Cependant, gardons à l’esprit que les temps de crise sont des temps d’adaptation du capitalisme. Multinationales et fonds d’investissements se sont déjà saisis de la question environnementale, apportent leurs réponses. « Les marchés » entendent tirer profit de la crise écologique.
Nuit debout : de la loi travail à la question écologique…

Nuit debout, né de la contestation de la loi El Khomri le 31 mars dernier au soir Place de la République, a vu les questions écologistes acquérir rapidement une centralité en son sein. La contestation du projet de loi gouvernemental est certes consubstantielle à une critique radicale de notre système institutionnel, celui d’une Ve République modifiée près de trente fois et manifestement inadaptée aux nouvelles configurations sociales qui travaillent notre pays. Les questionnements écologistes ont trouvé une place centrale au sein des assemblées de Nuit debout, confirmant une tendance déjà rencontrée dans d’autres pays, fortement marquée par des logiques générationnelles. Elles ne sont pas étrangères au fait qu’entre le nord-est francilien et l’ouest, des disparités importantes existent.
De la conscience de ses limites immédiates – à la fois spatiales et sociales – et de l’expression de celle-ci, Nuit debout a tiré des pistes de réflexion stratégique : comment faire partager au plus grand nombre ses questionnements, ses évidences et propositions, comment constituer ce « nous » qui permettrait de former un sujet politique capable de renverser la donne politique ? Nuit debout, à la fois Place de la République et dans ses traductions dans les petites communes, traduit aussi à sa manière une forme d’investissement civique, mue par la volonté de se saisir d’enjeux locaux et une préoccupation accrue pour les questions environnementales. Cette tendance est perceptible dans de nombreux pays. L’élection municipale de Rome s’est aussi récemment jouée sur des questions concrètes, éminemment liées à la question environnementale : les déchets ou les transports par exemple, dont les partisans de Virginia Raggi se sont saisis.
Racisme environnemental, quotidienneté, transversalité

Lorsque Razmig Keucheyan évoque dans La nature est un champ de bataille le « racisme environemental », il pointe une réalité importante de l’évolution de notre monde : les inégalités devant les mutations climatiques, devant les atteintes à l’environnement, devant les différentes formes de pollution.
L’avenir est à l’hybridation des préoccupations écologistes et sociales, avec au cœur de tout la question de l’égalité. Qui sont les premiers perdants de la crise économique enclenchée en 2007-2008 ? Les plus jeunes. Qui sont les premières victimes de la crise écologique ? Les moins riches. Ces derniers n’ont pourtant jamais été les plus massivement prompts à porter leurs suffrages sur les candidatures écologistes ni à privilégier les sujets environnementaux dans leurs choix électoraux. C’est peut-être là une des clés du rebond dans une « France périphérique » qui vit, aussi, une « insécurité environnementale ».
On cherche un lieu pour stocker des déchets toxiques ? On choisit une ville fortement populaire. Elle a moins de chance de voir se développer une contestation d’ampleur, civique et se saisissant des outils juridiques. C’est la force, par exemple, des campagnes menées par Zero Waste, que d’amener le combat environnemental dans la quotidienneté, de l’expérience quotidienne de chacun et d’amener chaque citoyen à comprendre que le monde est aussi explicable de sa poubelle à l’autre bout du monde. En matière environnementale, il existe bien un « nous » et un « eux »… N’est-ce pas là une des clés d’un rebond pour des forces aujourd’hui épuisées idéologiquement, politiquement et jusque dans leur organisation ?
La perspective post-marxiste : une chance à saisir
Et si la gauche s’affirmait véritablement post-marxiste ? Non par effet d’estrade ou élément de langage intégré à un plan de communication, mais au contraire par conscience des mutations de notre société et des enjeux immédiats qui s’imposent à elle ? Les leçons d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, les perspectives qu’elles ouvrent sont à l’évidence aujourd’hui nécessaires à la prise en compte et à la mise en avant de la question écologique.
Aux journées d’Europe Ecologie à Lorient, la présence de Rosa Martinez, porte-parole d’Equo, le parti écologiste espagnol, a signifié politiquement l’urgence de la réflexion stratégique pour l’ensemble des forces de gauche. Equo a participé dès les élections du 20 décembre 2015 à l’alliance avec PODEMOS et confirmé celle-ci au sein de Unidos-Podemos, l’alliance finalement conclue entre Podemos et Izquierda Unida (IU) lors des élections de juin.
Cette alliance, diverse de par ses origines partisanes et de part la question territoriale, se conçoit d’abord comme un bloc du « changement », qui entend proposer une alternative à ce qui a fait le consensus sur l’austérité adopté par les forces politiques du bipartisme issu de 1978. L’unité d’une stratégie discursive impulsée par des dirigeants politiques puise évidemment dans la culture politique forgée pars les Indignados, au cours des grands rassemblements de 2011. Néanmoins, l’accent mis sur la quotidienneté, le travail « horizontal », local, implique une prise en compte plus grande des préoccupations environnementales, parfois liées à des colères sanitaires… Les fondateurs de Podemos ont ainsi suscité un débat théorique et stratégique important au sein de la gauche radicale européenne, mais également au sein de l’écologie politique et de la sociale-démocratie.
La force des droites radicales et, souvent, des forces de droite ayant participé à l’exercice du pouvoir au cours des dernières décennies, est de donner une explication du monde « du coin de la rue à Raqqa », en Syrie (on aurait dit, après le 11 septembre 2001, « du coin de la rue à Kaboul »). L’idée de déclin amène à adopter des positions puisant leur force dans le sentiment communément admis de la « fin d’un monde ». Il reste à imaginer et dessiner les contours du monde nouveau à bâtir, à forger le sujet politique capable de le porter. L’écologie est au cœur de cet enjeu.