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Pollutions

Pourquoi les sacs plastique sont-ils toujours distribués malgré leur interdiction ?

Depuis 2017, la distribution de sacs jetables en plastique est interdite. Pourtant, on en voit toujours partout. En cause : une réglementation trop souple, l’existence de filières illégales et l’absence de contrôles.

Tous les samedis, plus de 200 commerçants participent au marché de la Petite-Hollande, à Nantes (Loire-Atlantique). « C’est le plus gros marché de plein vent de l’Ouest. Quatre à cinq tonnes de déchets y sont produits chaque semaine », selon Hervé Fournier, conseiller municipal de la ville. Le terme « plein vent » est de circonstance, car le vent est souvent de la partie, balayant l’esplanade et emportant dans son sillage sacs et emballages plastiques qui finissent… dans la Loire toute proche.

Choqués par cette pollution, des habitantes et habitants se mobilisent depuis 2020 au sein de l’association Engagement 87 Nantes. Sophie Eberhart, à l’initiative de ce collectif, raconte comment « les bénévoles se sont épuisés chaque samedi à courir après ces sacs ». Certes, la Ville assure avoir pris un certain nombre de mesures, comme l’interdiction en septembre 2021 de distribuer sur le marché tout sac plastique jetable, un travail pédagogique mené auprès des commerçants pendant trois mois, ou encore la mise en place de poubelles sur chaque stand.

Une réglementation avec des « trous dans la raquette »

Mais la dispersion de plastique continue, de façon plus ou moins importante selon la météo, le sens du vent, le nombre de commerçants ou la fréquentation. Sophie Eberhart dénonce des solutions trop anecdotiques, et un manque d’accompagnement des commerçants : « En réalité, plutôt que d’interdire et sanctionner, il faudrait faire un gros travail d’information auprès des commerçants, mais aussi de leurs fournisseurs de sacs. Beaucoup de marchands sont convaincus de bien faire car ils ne sont pas suffisamment informés. » En juin 2022, l’association a mis la métropole en demeure de prendre des mesures plus systématiques.

Nantes n’est pas un cas isolé. Sur la plupart des marchés de France, les sacs plastiques continuent de s’échanger et de… s’échapper. Même chose chez nombre de petits commerçants. Pourtant, ces sacs de caisse sont interdits depuis le 1er juillet 2016, soit sept ans ! Les autres sacs en plastique distribués en magasin (pour les légumes et autres produits frais), eux, sont censés avoir disparu depuis le 1er juillet 2017.

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Mais cette règle comporte des dérogations. L’ONG Surfrider Foundation Europe dénonce « des trous dans la raquette ». Si la loi française proscrit les sacs à usage unique, à savoir les sacs légers d’une épaisseur inférieure à 50 microns, elle autorise tous les sacs plus épais, les considérant comme réutilisables. Mais aussi tous les sacs de moins de 50 microns à condition qu’ils soient « compostables en compostage domestique et constitués, pour tout ou partie, de matières biosourcées » (article L. 541-15-10 du Code de l’environnement).

De faux sacs biosourcés et compostables à la maison

Évidemment, les fabricants se sont engouffrés dans la brèche. « Ils ont juste augmenté l’épaisseur du sac et écrit le mot “réutilisable” dessus. Or, bien souvent, les consommateurs l’utilisent comme un sac classique et ne vont pas le réutiliser », constate Diane Beaumenay-Joannet, chargée de plaidoyer à Surfrider. Elle regrette également que la densité ne soit pas indiquée sur chaque sac. Car comment vérifier qu’il fait bien plus de 50 microns ? Dans les faits, beaucoup de sacs dits « réutilisables » sont très fins et transparents alors qu’ils devraient normalement être opaques et blancs. Autre fraude repérée par Surfrider : les faux sacs biosourcés et compostables à la maison. « On peut vérifier au toucher. Les sacs biosourcés sont généralement un peu plus élastiques. Parfois, ce sont les fautes d’orthographe dans le marquage qui permettent d’identifier les faux. »

Moins chers que les sacs réutilisables ou que les sacs en papier, les pochons en plastique léger continuent donc à circuler via des filières parallèles, situées à l’étranger. Trouver ce type de sacs sur le web est même un jeu d’enfant. Problème : les contrôles de la Répression des fraudes se font rares bien que le Code de l’environnement prévoit une sanction assez dissuasive pour ce type d’infractions : jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

« Nous alertons régulièrement la Répression des fraudes, mais elle commence tout juste à mener les premiers contrôles », note Surfrider. Interrogée par Reporterre, la DGCCRF indique avoir réalisé des contrôles en 2021 chez des grossistes, importateurs et fabricants. Sur les quarante-deux sacs prélevés, près de la moitié se sont révélés non conformes lors des tests en laboratoire. La teneur en matière biosourcée s’est avérée inférieure aux 50 % obligatoires dans plus d’un quart des cas. Quant aux sacs réutilisables, plus de 40 % d’entre eux n’étaient pas assez épais.

« On ne réduit en rien la pollution avec ces mesures »

D’autres infractions sont aussi observées comme l’utilisation des mots « biodégradable » ou « compostable », interdits par l’article L.541-9-1 du Code de l’environnement, parce qu’ils peuvent porter à confusion. Seules les terminologies « compostable en milieu domestique », « compostable à la maison » ou « home compost » sont autorisées. Pour autant, tous les experts s’accordent à dire que ce n’est pas parce qu’il est biosourcé et compostable en compost domestique que le plastique disparaît complètement. C’est l’autre faille de la réglementation. « On ne réduit en rien la pollution avec ces mesures, affirme Nathalie Gontard, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et grande pourfendeuse du plastique. On aurait dû interdire les sacs plastiques tout court. »

Dans un avis du 25 mai dernier, l’Agence de la transition écologique (Ademe) recommande ainsi de ne pas mettre ces sacs dans le compost. Même chose pour l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), qui estime, dans un avis de novembre 2022, que « ces matières et leurs produits de dégradation sont susceptibles de contribuer à une pollution de l’environnement et des aliments cultivés par les particuliers, et de présenter ainsi un risque à la fois pour les santés humaine, animale et végétale ». À quand l’interdiction générale de tous les sacs en plastique ?

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