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Révolte en Iran : « Le slogan “Femme, vie, liberté” est un cri du cœur »

Depuis la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre, de grandes manifestations ont lieu en Iran. Pour la sociologue et écrivaine iranienne Chahla Chafiq, cette contestation populaire est « d’une ampleur totalement inédite ».

Depuis le 16 septembre, un vaste mouvement de contestation populaire se déploie en Iran. Tout est parti de la mort, le même jour, de Mahsa Amini : cette Iranienne de 22 ans, arrêtée trois jours plus tôt par la police des mœurs pour « port de vêtements inappropriés », est morte à l’hôpital, à Téhéran. Depuis, des manifestations ont lieu tous les jours un peu partout dans le pays. Le mot d’ordre de ce mouvement, durement réprimé par le régime du président Ebrahim Raïssi : « Femme, vie, liberté ! »

D’après l’ONG Iran Human Rights (IHR), basée en Norvège, au moins soixante-quinze personnes ont été tuées lors des manifestations, dont six femmes et quatre enfants. Si les femmes sont en première ligne dans la rue, c’est en fait toute la société civile iranienne, exaspérée par les politiques menées par le régime depuis des années, qui se révolte. Discriminations sexistes, fraudes électorales, crises écologique et économique, étouffement de toute forme de contestation… Chahla Chafiq, sociologue et écrivaine iranienne vivant en France, explique à Reporterre les ressorts de cette révolte populaire inédite.


Reporterre — Que vous inspire la révolte contre le régime iranien ?

Chahla Chafiq — Cette révolte est d’une ampleur totalement inédite. Ces dernières années, le peuple iranien s’est soulevé à plusieurs reprises, que ce soit contre l’augmentation des prix du carburant, les fraudes électorales du régime ou les pénuries d’eau. La colère a été croissante et elle s’est de plus en plus dirigée contre les politiques menées. Mais les mobilisations et les slogans n’avaient jamais été aussi radicaux qu’aujourd’hui avec les manifestations — qui s’étendent à tout le pays — déclenchées par la mort de Mahsa Amini, une jeune femme tuée par la police simplement parce que son voile ne couvrait pas totalement ses cheveux.

Le régime ne recule devant rien pour arrêter la contestation. Il ne cesse de couper internet pour empêcher les communications. Il arrête préventivement des citoyens, jette en prison toutes celles et ceux qu’il soupçonne d’avoir participé aux mobilisations. Il tue celles et ceux qui descendent dans la rue. Mais j’ai le sentiment qu’aujourd’hui, la peur a changé de camp. Je reçois tous les jours des messages d’amis me disant que oui, ils sont terrorisés, mais que, malgré tout, ils iront manifester. Les Iraniennes et les Iraniens sont prêts à donner leur sang pour obtenir la liberté.


Pourquoi le cri principal de ces protestations est-il « Jin, Jiyan, Azadî », slogan féministe kurde qui signifie « Femme, vie, liberté » ?

La question des femmes est centrale. La mort de Mahsa a rappelé au monde entier que la colonne vertébrale de la « République islamique » est le sexisme. La domination des femmes est au cœur de son fonctionnement. Elles sont obligées de porter le voile dans les lieux publics, elles n’ont pas le droit de garder leurs enfants en cas de divorce, elles ne peuvent pas voyager sans l’accord de leur mari. C’est pourquoi retirer son voile et couper ses cheveux est un geste d’émancipation fort, un pas vers la liberté.

Cette domination est aussi, plus largement, celle de tout un peuple qui ne jouit pas de ses libertés les plus fondamentales, et risque la mort quand il les réclame. La communauté LGBTQI [1] est réprimée, les défenseurs des droits humains sont réprimés, les activistes écolos sont réprimés… Le mouvement actuel, c’est le combat de la vie contre un régime mortifère, qui cherche à étouffer toute parole et toute possibilité de vie qu’il juge subversive. Le ras-le-bol de la population est parfaitement résumé par ce slogan, ce cri du cœur.


Cette colère est-elle également liée aux enjeux écologiques ? Ces dernières années, il y a eu plusieurs révoltes après des pénuries d’eau…

Complètement. En Iran, l’écologie est une source d’inquiétude et de contestation grandissante. Les atteintes à l’environnement plongent la population dans une pauvreté galopante, comme on l’a vu ces dernières années avec les sécheresses et les pénuries d’eau, largement imputables à la gestion calamiteuse de cette ressource. Des nappes phréatiques, des rivières et des lacs s’assèchent, et dans le même temps des ressources naturelles sont gaspillées ou exploitées violemment : des membres du régime se font par exemple construire des maisons en rasant des parcelles de forêt. L’écologie est la dernière des préoccupations du régime, mais ces injustices ne passent plus auprès de la population qui souhaite vivre dans un environnement sain.

« Les activistes écolos sont réprimés de manière violente et risquent la mort »

Malheureusement, la réponse de l’exécutif est la même que pour toute autre voix qui n’irait pas dans son sens : les activistes écolos sont réprimés de manière violente et risquent jusqu’à la mort. Je pense notamment au professeur de sociologie Kavous Seyed-Emami, qui dirigeait la fondation écologiste Persian Wildlife Heritage (PWHF). Jugé trop critique par le pouvoir, il a été inculpé pour « espionnage », un motif utilisé très fréquemment pour enfermer des opposants. Il est mort le 8 février 2018, dans des circonstances troubles. La justice iranienne a déclaré qu’il s’était suicidé pendant sa détention à la prison d’Evin, à Téhéran, ce que sa famille conteste.


Assiste-t-on à une révolution ? Ce mouvement peut-il renverser le régime ?

Ce dont je suis certaine, c’est qu’il y aura un avant et un après ce mouvement. Ce mouvement est déjà une victoire : le pays tout entier a réussi à défier le régime, sans leader reconnu comme tel. En 1979, lors de la révolution iranienne, les militants ont fait l’erreur de placer l’ayatollah Khomeyni à la tête du mouvement, puis du pays. A contrario, le mouvement actuel est multi-mains, multi-pieds, et sans tête. Ainsi, il est à la fois magnifique et fragile. De plus en plus de gens sortent du silence, y compris des sportifs, des artistes, des gens de tous les milieux sociaux, de tous âges.

Cela dit, je suis aussi très inquiète. Il est très difficile de prédire la suite, car la répression continue, le pouvoir ne recule devant aucun meurtre. Ces jours-ci, je vis au rythme de l’Iran, avec l’excitation, les joies, les peurs et les pleurs de mon peuple. J’essaie d’élever la voix, parce que c’est tout ce que je peux faire. J’aimerais, tout particulièrement, exhorter les pays occidentaux à sortir de leur mutisme. L’ampleur des crimes est telle qu’il faut une pression internationale plus forte sur le régime.

Aujourd’hui, les Iraniens et les Iraniennes se sentent, d’une certaine façon, abandonnés. Il n’est pas normal que le président iranien, Ebrahim Raïssi, ait été accueilli à New York, le 21 septembre, à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies, sans une prise de parole forte pour soutenir le peuple qu’il opprime, lui qui était surnommé le « boucher de Téhéran » pour avoir été l’un des quatre membres, en 1988, de la commission de la mort qui a tué des milliers de jeunes Iraniens, dont des centaines de femmes, des prisonniers politiques. Il est temps d’être à la hauteur de devises telles que « Liberté, Égalité, Fraternité », de refuser de laisser le peuple iranien se faire réduire au silence.


Le dessin choisi par la rédaction : Kianoush Ramezani est un dessinateur de presse et militant des droits de l’humain. En danger dans son pays natal, l’Iran, il vit en exil depuis décembre 2009, et collabore avec plusieurs médias français et internationaux. Il est également le fondateur de l’association United Sketches, qui rassemble des dessinateurs du monde entier et promeut la liberté d’expression.

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