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Sur les plages bretonnes, les oiseaux menacés par les touristes

Le gravelot à collier interrompu est une espèce en déclin en Europe.

Dans les marais morbihannais, une quinzaine d’espèces protégées d’oiseaux sont menacées par l’afflux de touristes. Bénévoles, gardes du littoral et ornithologues sont à pied d’œuvre pour limiter la casse.

Locmariaquer et Sarzeau (Morbihan), reportage

Depuis le sémaphore de Kerpenhir, à Locmariaquer, la vue est imprenable. En cette heure matinale, l’entrée du golfe du Morbihan scintille sous le soleil printanier et quelques voiles se détachent sur un bleu profond. Au bout du chemin côtier, au bord duquel paissent des moutons, de rares vacanciers profitent du sable clair de la plage et du sautillement des gravelots à collier interrompu. Ils sont peu nombreux, eux aussi, six ou sept maximum.

À peine visibles par le néophyte, ces petits oiseaux au plumage marron et beige se confondent avec le sable, les morceaux de coquillages et les galets qui recouvrent le haut de la plage. L’enclos sommaire censé les protéger sur 200 à 300 mètres de plage n’existe plus : le fil de fer délimitant l’espace a été arraché. Une pancarte indique pourtant la présence de cette espèce menacée sur le sol français, classée sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Le long de la côte, des panneaux sensibilisent les touristes aux périodes de nidification des oiseaux. © Violaine Colmet Daâge/Reporterre

« Pendant le confinement de 2020, certains oiseaux du littoral se sont installés dans des endroits inhabituels, explique Alan Bendimerad, chargé de mission au Conservatoire du littoral de Bretagne. Ils n’étaient plus habitués à notre présence, ils avaient pris leurs aises. Depuis, ces petits oiseaux migrateurs reviennent nicher ici tous les ans. » Problème : la période de reproduction et de nidification — de mi-avril à mi-juin — coïncide avec la reprise des activités touristiques, qui mettent en danger une population en déclin.

Sensibiliser les touristes

Pour les protéger, le conservatoire développe depuis trois ans l’opération « On marche sur des œufs » destinée à sensibiliser les promeneurs et les gestionnaires des plages au respect de dix-sept espèces animales et végétales. La campagne s’accompagne de règles simples, énoncées à l’intention des touristes : tenir son chien en laisse, ne pas circuler à vélo sur les sentiers côtiers, ne pas s’engager à pied hors des chemins ou sur les dunes végétalisées, ne pas s’installer sur les hauts des plages et ne pas s’approcher des oiseaux au sol, probablement en train de couver. Des mesures claires, pourtant parfois difficiles à faire respecter.

« Hier, un gars avait installé sa serviette au milieu des gravelots », raconte, dépité, l’adjoint au maire de Locmariaquer, Jacques Madec. Dans la salle principale du sémaphore, avec une dizaine de bénévoles, il est venu assister à la formation organisée par les gardes du littoral, en amont de la Semaine du golfe du Morbihan, qui se tiendra du 15 au 21 mai. Tous les deux ans, cet événement populaire attire des milliers de passionnés de voiliers et se clôt par la « grande parade » des bateaux sur la « petite mer ». Lors de la dernière édition, en 2019, la flotte était constituée d’un millier de navires traditionnels admirés à terre par quelque 4 000 spectateurs, pas toujours respectueux de l’environnement. De quoi saper en quelques heures les efforts de préservation de toute une année.

Chaque printemps, près de 2 000 oiseaux viennent nicher sur le continent, dont 230 sur les plages bretonnes. © Stéphane Riallin / Conservatoire du littoral

Pour limiter la casse, les gardes du littoral ont fait appel à dix bénévoles pour les aider le jour J (le 21 mai) à sensibiliser le public. « Les touristes vont tous débarquer ici, préviennent les gardes du littoral, Marie Kerdavid et Jérôme Le Breton. L’endroit est idéal pour regarder la grande parade ! » Écusson à l’épaule et lunettes noires sur le nez, ils détaillent précisément les opérations sur le terrain : la zone des gravelots sera fermée et interdite d’accès, tandis que celle où nichent les hirondelles de rivage fermement surveillée.

Le gravelot, une espèce très fragile

Emblème de l’opération : le gravelot à collier interrompu, espèce en déclin en Europe. Selon Marie Kerdavid, près de 2 000 oiseaux viennent nicher sur le continent au printemps, dont 230 sur les plages bretonnes. Le volatile se nourrit dans les vasières à marée basse et pond à même le sol, sur les plages de sable, les cordons de galets et dans les prés salés.

« C’est une espèce qui cultive l’échec », résume Alan Bendimerad. Leurs nids sont emportés par les grandes marées, ils sont vulnérables aux prédateurs, comme les goélands et les corneilles, mais aussi au réchauffement climatique. « L’année dernière, certains oiseaux ont littéralement cuit pendant l’été », rapporte-t-il. Mais leur pire ennemi reste l’être humain : le ramassage des laisses de mer, dans lesquelles ils trouvent habituellement leur nourriture, les chiens non tenus qui viennent croquer les poussins, les cerfs-volants qui les effraient durant la reproduction, mais aussi les promeneurs qui piétinent les petits ou les œufs sont autant de menaces pour les oisillons.

Les nids des gravelots sont souvent emportés par les grandes marées. © Violaine Colmet Daâge/Reporterre

Il faut dire que l’oiseau est un maître dans l’art du camouflage : ses œufs sont beiges et tachetés, comme les grains de sable qui l’entourent. Idéale pour échapper aux prédateurs, cette parure les rend aussi invisibles par les touristes. D’autant plus que « lorsqu’il couve, le gravelot a tendance à quitter son nid pour attirer les prédateurs ailleurs », laissant ses œufs sans protection.

Des centaines de nids dans un seul étang

Une semaine plus tôt, l’ornithologue du parc naturel régional du golfe du Morbihan, David Lédan, proposait une balade ornithologique sur le marais de Suscinio, à Sarzeau. Malgré le temps maussade, une quinzaine de passionnés de tous âges avaient répondu présents. L’occasion de découvrir deux autres espèces emblématiques de l’opération.

« Les sternes pierregarin et les échasses blanches sont bien arrivées ! » annonce d’emblée le guide du jour. À peine quelques minutes après la découverte du matériel télescopique, les sternes pierregarin apparaissent. Coiffées d’une toison noire, au bout de laquelle se détache un bec orangé, elles nichent à même le sol. Un peu plus loin, des échasses blanches aux longues pattes rouges s’agitent. Le mâle échassier rôde autour de la femelle, il l’éclabousse à plusieurs reprises et s’éloigne. Il revient quelques minutes plus tard, l’éclabousse à nouveau et, soudain, lui monte sur le dos. L’accouplement ne dure que quelques secondes. « Je l’ai photographié ! » se réjouit Jean-Pierre.

Des passionnés d’ornithologie en train d’observer des échasses blanches. © Violaine Colmet Daâge/Reporterre

« Sur un étang comme celui-ci, on peut trouver une centaine de nids », estime le conservateur du marais de Séné, Guillaume Gélineau. Un garde-manger idéal pour le prédateur malin. « C’est un risque de mettre tous ces œufs dans le même panier, s’inquiète David Lédan. Il faudrait créer de nouveaux marais dans lesquels les oiseaux seraient épargnés les premières années. » À cela s’ajoutent les grandes marées, un chien qui s’éloigne des sentiers, ou un photographe un peu trop entreprenant, et ç’en est fini des oisillons.

Des moyens limités

Depuis 2020, l’opération « On marche sur des œufs » a permis chaque année l’envol de plusieurs centaines de poussins qui n’auraient pas survécu sans les interventions des équipes locales, assure la brochure de présentation de l’opération. Mais les moyens pour sensibiliser le public restent limités. « L’opération reste de bric et de broc, déplore Alan Bendimerad. On dispose aujourd’hui d’une signalétique, d’une charte graphique et de collaboration avec des sites partenaires, comme la LPO, Bretagne vivante, Viv’Armor Nature, ou Geoca mais nous manquons de moyens, pour prendre plus d’ampleur. »

C’est la saison des amours pour les échasses blanches. Ici, le mâle échassier rôdant autour de la femelle. © Jean-Pierre Mougne-Picot

Même son de cloche à la LPO. « Nous avons des bénévoles prêts à repérer les nids et à les signaler, mais cela reste des moyens de fortune, d’autant plus que les touristes retirent rapidement les enclos », explique le vice-président de la LPO Bretagne, Bruno Tandeau de Marsac.

À Locmariaquer, Yves Lecam, bénévole pour la Semaine du golfe, demande : « Je pourrais apporter mes jumelles et ma longue-vue pour montrer les oiseaux aux touristes ? » Adhérent de la LPO depuis trente ans, ce féru d’ornithologie anime régulièrement des séances d’observation. L’idée séduit l’équipe : « L’année dernière, nous avons fait beaucoup de sensibilisation. Cette année, nous allons clairement vers de la verbalisation », prévient aussi Marie Kerdavid. « Et 135 euros, ce n’est pas cher payé lorsque l’on voit l’état des populations d’oiseaux », dit Jérôme Le Breton, rappelant que la destruction volontaire de nids d’espèces protégées est passible de 15 000 euros d’amende.

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