Transports, urbanisation… Qu’est-ce que le projet du Grand Paris ?

Les travaux de la ligne 17 du Grand Paris Express à Gonesse. - © Alexandre-Reza Kokabi/Reporterre
Les travaux de la ligne 17 du Grand Paris Express à Gonesse. - © Alexandre-Reza Kokabi/Reporterre
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Étalement urbainAlors qu’Extinction Rebellion organise dès le 29 juin une série de blocages sur des chantiers du Grand Paris, retour sur ce grand projet d’aménagement alliant nouvelles lignes de métro, création de logements ou renforcement des pôles de compétitivité.
« Je vois deux grands enjeux pour l’Île-de-France en 2007 : la cohésion et la croissance. » Le 26 juin 2007, lors du discours d’inauguration du satellite S3 de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, annonçait son intention de développer un aménagement à l’échelle de la région Île-de-France. C’est la première brique de ce qu’on allait appeler le projet du Grand Paris. Pour le mener à bien, Nicolas Sarkozy chargea Christian Blanc, haut fonctionnaire et ancien dirigeant de la RATP, d’Air France et de la banque Merrill Lynch, de réfléchir au développement d’une métropole entièrement tournée vers la recherche et l’innovation. M. Blanc devait démissionner en 2010, après que Le Canard enchaîné ait révélé qu’il avait fait acheter sur le budget de son secrétariat d’État pour 12 000 euros de cigares en dix mois.
« Pour Nicolas Sarkozy, le Grand Paris s’inscrivait dans une double problématique : développer l’attractivité de Paris comme ville mondiale, en la redynamisant grâce aux pôles d’excellence et, selon moi, dans une moindre mesure, développer les transports en commun pour réduire l’impact environnemental des transports », explique à Reporterre Philippe Subra, directeur de l’Institut français de géopolitique (IFG).
Le Grand Paris Express, projet phare du plan d’aménagement
Concrètement, l’armature centrale de ce grand projet d’aménagement est la construction d’un super-métro, le Grand Paris Express : 200 kilomètres de lignes automatiques (soit autant que le métro actuel) et 68 gares, pour la somme de 42 milliards d’euros d’ici 2030. Le Grand Paris Express doit ainsi desservir les grands pôles d’activité autour de la ville de Paris, tels que l’aéroport de Roissy, le plateau de Saclay, le centre d’affaires de la Défense ou encore Versailles. La ligne 14 doit être prolongée et quatre autres lignes (15, 16, 17 et 18) créées de toute pièce.
À l’occasion de la #Semainedelamobilité, calculez vos futurs temps de parcours avec le #GrandParisExpress !
23 min de Saint-Cloud à Villejuif @GustaveRoussy contre 61 aujourd’hui, 20 min entre Clichy – Montfermeil et Saint-Denis Pleyel contre 1h… https://t.co/EReMbNgALt pic.twitter.com/hAxcsCcOBv— Grand Paris Express (@GdParisExpress) September 16, 2020
Par ailleurs, tout au long du réseau, la ville va se densifier. Bureaux, commerces, zones de loisirs et lieux culturels devraient également être construits à proximité des nouvelles gares du Grand Paris Express. Outre le faramineux super-métro, le projet du Grand Paris est aussi celui d’une nouvelle urbanisation dans une région déjà engorgée : un plan prévoit la construction de 70 000 logements chaque année sur vingt-cinq ans, dont 30 % de logements sociaux. « Un bétonnage systématique de l’Île-de-France », dénonce Abedoune [*], militant chez Extinction Rebellion.
Enfin, le projet prévoit de renforcer les pôles de compétitivité, notamment sur le plateau de Saclay, dans l’Essonne. Sur 7 700 hectares, cette « Silicon Valley à la française » regroupe écoles d’ingénieurs, centres de recherche et entreprises. Si ses promoteurs mettent en avant l’impulsion de la recherche en France, ses détracteurs voient dans le complexe une vaste opération de bétonnage. Car le plateau de Saclay est un territoire couvrant des terres d’une grande fertilité.
Ni la région Île-de-France, ni la Métropole du Grand Paris, ni même la société Île-de-France Mobilités ne gèrent ce projet d’aménagement, mais la Société du Grand Paris, une entreprise publique créée en 2010, et dont l’État est l’actionnaire majoritaire.
Un projet qui en remplace un autre, plus tourné vers l’écologie
La création du Grand Paris n’est pas sortie du néant. Jusqu’à 2008, deux visions s’opposaient. Celle de Nicolas Sarkozy, et celle portée par la région Île-de-France à majorité socialiste (alliée aux écologistes) de Jean-Paul Huchon, à travers le Schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF).
Pensé sous l’angle du développement durable, le SDRIF visait à rééquilibrer l’agglomération parisienne (riche à l’ouest alors que l’est accumule la précarité) et à contrôler la croissance urbaine et démographique ainsi que l’utilisation de l’espace. Il prévoyait ainsi la construction de 60 000 logements par an et le prolongement de lignes de transports en commun au sein d’un réseau Arc Express, autour de Paris et de la petite couronne. Les ressources naturelles devaient être protégées, les zones humides, fleuves et cours d’eau valorisés. Le SDRIF prévoyait également la promotion d’un pôle d’affaires en misant sur l’innovation afin de permettre à Paris de concurrencer d’autres grandes métropoles mondiales.
Mais l’État jugea n’avoir pas été suffisamment associé au projet, et émit une réserve sur l’objectif de 60 000 logements par an, jugeant les coûts fonciers trop importants. Le projet de transports publics était considéré comme trop coûteux et insuffisamment organisé. Le 25 septembre 2008, le SDRIF fut adopté par le Conseil régional à 148 voix contre 58. Mais l’État refusa de signer ce schéma d’aménagement, laissant la possibilité à Christian Blanc de proposer son propre projet.

Un projet qui fait bondir les écolos
Celui-ci fait bondir les écologistes. Le mouvement Extinction Rebellion dénonce une urbanisation galopante et des lignes de métro surdimensionnées par rapport au nombre de voyageurs potentiels. « Nous ne sommes pas opposés aux transports en commun, comme nous en accusent nos détracteurs, explique Abedoune. Mais le tracé est mal pensé. » Il aurait préféré à la construction de nouvelles infrastructures la rénovation et la réhabilitation du RER B, aujourd’hui « vétuste et surchargé ». Philippe Subra admet également qu’« une partie du réseau est contestable, notamment les lignes 17 vers Gonesse et 18 après Saclay, qui passent par des zones peu densément urbanisées ». Contactée par Reporterre, la Société du Grand Paris n’a pas répondu à nos questions.

Autre critique de la part d’Extinction Rebellion, qui organise à partir du 29 juin une série de blocages sur des chantiers du Grand Paris : ces nouvelles lignes circulaires reliant l’aéroport et les pôles de compétitivité « ne sont pas conçues pour ceux qui vivent sur place et qui doivent se déplacer de la grande couronne à Paris pour travailler ». À Gonesse, la première habitation se situerait à environ 1,5 kilomètre de l’implantation de la gare. Philippe Subra se montre plus nuancé, estimant que les Franciliens ont aussi besoin de pouvoir se déplacer d’une périphérie à l’autre pour se rendre au travail : « Depuis une cinquantaine d’années, l’agglomération parisienne est devenue multipolaire en matière d’emploi. Certes, le pôle dominant reste Paris, mais les Hauts-de-Seine, La Plaine Saint-Denis, le secteur de Roissy et les villes nouvelles sont aussi des zones d’emploi pour les Franciliens. »
Les militants s’interrogent sur la pertinence de bétonner encore dans la région, alors que le gouvernement avait annoncé en 2018 l’objectif de zéro artificialisation nette. Un rapport présenté par France Stratégie en juillet 2019 avait ainsi montré que l’objectif était atteignable, à condition de réduire de 70 % l’artificialisation liée au bâti d’ici 2030, de donner la priorité à la densification des espaces déjà artificialisés et d’augmenter progressivement la densité des constructions neuves.