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Trop de déchets ? Certaines communes ont la solution

Pesée des poubelles, collecte en porte-à-porte, ambassadeurs du tri... À Besançon, dans des communes corses ou ailleurs, des expérimentations ont cours pour réduire le nombre de déchets, et mieux les collecter. [ENQUÊTE 4/4]

Vous lisez la dernière partie de l’enquête Brûlés, enfouis, recyclés... Que faire des déchets ? La première est ici, la deuxième , la troisième ici.


Besançon (Doubs), reportage

Un jour de 2008, derrière les fenêtres d’un immeuble vitré aux allures faussement futuristes dans la « City » de Besançon, les administrateurs du Sybert, le syndicat mixte des villes de l’agglomération de Grand-Besançon, étaient face à un dilemme. Ils étaient en charge du traitement des déchets produits par les 224 000 habitants de la région. Depuis les années 1970, un incinérateur se chargeait de la combustion de plus de 50 000 tonnes de déchets par an. Deux fours, l’un construit en 1976, l’autre en 2002, tournaient continuellement. Ce jour-là, les élus devaient se décider : fallait-il rénover le plus vieux de ces deux fours ? Contre toute attente, plutôt que d’investir dans une nouvelle infrastructure coûteuse, nocive pour la santé des riverains et pour l’environnement, le syndicat fit le choix de revoir toute sa politique de gestion des déchets — et d’en réduire drastiquement la production. « On a voulu changer de paradigme, essayer de faire les choses autrement », retrace Loys Monllor, directeur du Sybert.

Avec des résultats plutôt efficaces. Entre 2004 et 2020, les ordures ménagères résiduelles incinérées sont passées de 53 000 tonnes à 30 000 tonnes par an, selon le rapport annuel de 2020 du Sybert. Avec une moyenne de 470 kilogrammes de déchets (verre, recyclables, ordures ménagères confondus) produits par habitant par an, le territoire du Sybert est devenu l’un des plus performants de France en matière de réduction des déchets. Pour rappel, en France, un habitant produit en moyenne 580 kg de déchets/an, soit 110 kg de plus qu’un habitant de Besançon.

Dans l’agglomération de Grand-Besançon, les ordures ménagères résiduelles incinérées sont passées de 53 000 tonnes à 30 000 tonnes par an entre 2004 et 2020. Ville de Besançon

« Il n’y a pas de miracle, c’est l’implication des usagers »

Par quel miracle Besançon est-elle parvenue à de tels résultats ? « Il n’y a pas de miracle, c’est l’implication des usagers qui fait la performance », assure Loys Monllor. « C’est vrai qu’il y a une culture spécifique du respect de la nature en Franche-Comté et dans le Jura : les habitants se sentent peut-être plus impliqués qu’ailleurs. » Pour parvenir à ces résultats, les collectivités qui composent le syndicat ont mis en place deux outils : la redevance incitative et la valorisation des biodéchets. L’objectif est de réduire les déchets à la source. Un principe résumé par le directeur du Sybert : « Le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas. »

En 2012, le Sybert a adopté un programme intitulé « Waste on a diet »« les déchets au régime » — grâce à des fonds européens. Le principe est simple : plus vous produisez de déchets, plus vous payez. Moins vous remplissez vos poubelles, moins vous déboursez. Chaque poubelle est pucée et pesée lors de l’enlèvement, de sorte que chaque foyer paye en fonction du volume de déchets envoyés à la benne. Simple. Et efficace. En parallèle, le Sybert a mis en place une généralisation des composts de proximité. « 70 % des habitants des communes de notre secteur peuvent accéder à un point de compostage. Et on vise 100 % d’ici au 1er janvier 2024 », précise Loys Monllor. En ville, des composts collectifs ont été installés au bas de plus de 300 immeubles. En milieu rural, le compost individuel est favorisé.

Le principe de la redevance incitative est simple : plus vous produisez de déchets, plus vous payez. Ville de Besançon

Ces nouvelles pratiques se traduisent-elles par des tarifs plus élevés ? Non. La redevance moyenne par habitant à Besançon s’élève à 72 euros, contre 89 euros à l’échelle nationale.

En Corse, des ambassadeurs du tri

À l’instar de Besançon, d’autres initiatives voient le jour un peu partout afin de réduire nos volumes de déchets. Avec 721 kilogrammes de déchets produits par an et par habitant en moyenne en 2021, soit 36 % de plus que la moyenne nationale, la Corse est un des territoires français où la production de déchets est la plus élevée. Certains tentent d’y trouver des solutions afin de réduire le tonnage. Ainsi, dans la région de Balagne, le tri au porte-à-porte — le fait d’avoir une poubelle jaune par foyer et non des bennes collectives qui impliquent de se déplacer — a été généralisé. Résultat : 70 à 80 % des déchets triés et valorisés, assure l’intercommunalité Calvi-Balagne qui regroupe dix-neuf communes de la région. En parallèle, une expérimentation sur la mise en place d’une redevance incitative a été lancée. Pour détailler ces nouvelles mesures, des ambassadeurs du tri visitent un à un les habitants des communes. C’est un fait : pas de baisse de déchets sans prévention.

Autant d’initiatives locales, qui — à défaut de s’étendre à toute la Corse — montrent l’exemple et assurent que l’accumulation de déchets n’est pas une fatalité. Afin de transformer son modèle, l’île pourrait d’ailleurs s’inspirer de sa voisine italienne. Il y a vingt ans, la Sardaigne était l’un des pires exemples en matière de gestion des déchets en Méditerranée. Avec un taux de collecte séparée ridicule de 3,8 % en 2003, l’île s’est longtemps contentée d’envoyer la quasi-totalité de ses déchets en incinérateur ou en décharge. En 2004, le gouvernement régional adopta un nouveau plan ambitieux comprenant plusieurs mesures : la mise en place de la collecte séparée des déchets biodégradables, l’augmentation des taxes sur les décharges, l’introduction d’un système de bonus-malus sur le coût de la gestion des déchets ménagers résiduels et la promotion de la collecte séparée des déchets en porte-à-porte, avec un système de tarification incitative et de compostage domestique. Résultat : « En 2016, la collecte séparée a compris 56 % des déchets en Sardaigne et l’objectif est d’atteindre 80 % d’ici 2022 sur toute l’île », indique Zero Waste Europe.

Collecte de déchets en porte-à-porte à Algajola, en Balagne. Communauté de communes Calvi Balagne

« La Sardaigne avait misé sur le tout incinérateur. Elle en est complètement revenue », constate Gilles Van Der Noodt, rédacteur d’un plan déchets s’inspirant de l’exemple sarde, présenté en 2016 à la Collectivité de Corse. Ce qui lui fait dire : « Si l’on mettait en place des mesures similaires, on pourrait facilement réduire de 70 % le volume de déchets enfouis ou incinérés. »

« L’État doit accompagner le changement »

Alors, comment expliquer le retard français en la matière ? « Une stratégie zéro déchet-zéro gaspillage est complexe et nécessite d’engager tous les acteurs de la société. Cela ne se fera pas qu’à l’échelle des syndicats de traitement de déchets. L’État doit accompagner le changement », dit-on à l’antenne bisontine de Zero Waste. Et d’ajouter : « Cela prend du temps pour déconstruire l’idée qu’un déchet "bien jeté" est un bon déchet. Pour les habitants mais aussi et surtout pour les décideurs politiques. »

Au-delà des mesures précises, la cause de ce retard est peut-être à chercher dans notre mode de vie. « La société est indexée sur les biens matériels. C’est notre modèle économique qui veut ça : nous sommes comme des hamsters bloqués dans une roue qui tourne sans cesse », soupire Nathalie Gontard, directrice de recherche à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et spécialiste reconnue du plastique. « On n’a pas encore appris à construire une économie basée sur autre chose que l’accumulation. Or la seule voie possible est la réduction en amont. »

« Notre économie est basée sur l’accumulation »

« Notre accumulation de déchets démontre l’incapacité pour notre société du jetable à opérer une transition vers du réutilisable. C’est un fondement inamovible de notre réalité sociale : il est impensable aujourd’hui de se passer de repas ou de boissons à emporter », décrypte Jeanne Guien, autrice de Le consumérisme à travers ses objets (Divergences, 2021). « Gobelets en plastique, déodorants, mouchoirs sont tous des produits consommables vendus grâce à un marketing de l’hygiène et de la propreté alors que des alternatives existent », ajoute-t-elle.

Maintenant que l’on en a identifié les causes, par quoi commence-t-on ? Nathalie Gontard suggère de « fixer des objectifs précis de réduction de production de déchets, notamment plastiques, à toutes les filières industrielles ». Libre à elles ensuite de trouver comment faire. Du côté de Zero Waste Besançon, on rappelle : « À partir du 31 décembre 2023, le tri à la source des biodéchets [soit le compostage] devient obligatoire pour tous. Les collectivités devront proposer des solutions aux particuliers, que ce soit des collectes séparées ou du compostage individuel/collectif. On espère évidemment que toutes les collectivités seront prêtes pour remplir leurs rôles. »

En tout cas, le sujet est sur la table. Sur le papier, la France a pris des engagements : tous les emballages plastiques à usage unique seront interdits en 2040. Les associations réclament donc l’application et le respect des mesures votées à l’Assemblée.


De l’enfouissement à l’incinération, des décharges sauvages au recyclage, Reporterre explore les difficultés du traitement des déchets dans une enquête en quatre parties. La première est ici, la deuxième , la troisième ici.

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