Recyclés ? Nos déchets plastiques finissent surtout à l’étranger

- © Tommy dessine / Reporterre
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Durée de lecture : 10 minutes
Déchets PollutionsRecycler nos montagnes d’emballages plastiques : voilà l’alléchante solution louée par l’industrie, et l’État. Mais cette économie circulaire fonctionne mal, et les pays riches envoient des tonnes de déchets vers les pays du Sud. [ENQUÊTE 3/4]
Vous lisez la troisième partie de l’enquête Brûlés, enfouis, recyclés... Que faire des déchets ? La première est ici, la deuxième là et la quatrième ici.
Dans une chaleur estivale écrasante, Nathalie Gontard s’active dans son bureau situé au quatrième étage d’un bâtiment de l’université de Montpellier. Le volet du store ne fonctionne plus. Le soleil cogne sans interruption. Voilà des semaines que la chercheuse a laissé s’entasser une pile de revues scientifiques sur sa table de travail. En ce vendredi soir, elle décide de faire un petit ménage d’avant-weekend. Elle déchire un à un les emballages plastiques des revues, qui s’entassent à ses pieds. Soudain, la chercheuse ressent un picotement au niveau de la gorge. Sa respiration se fait difficile. Sans avertissement, l’air semble s’être épaissi. Ses poumons sont en feu. Elle s’écroule. Elle parvient à s’extirper dans le couloir. Et reprends peu à peu sa respiration, les bronches irritées et les yeux injectés de sang.
Qu’a-t-il bien pu se passer ? Sous l’effet de la chaleur, les emballages plastiques se sont désagrégés en minuscules particules suspendues. En quelques minutes, elles ont saturé l’air et pénétré les poumons de la chercheuse.
Pour cette directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), cet événement survenu il y a plus de vingt ans a constitué un tournant. Au fil de sa carrière, cette spécialiste reconnue des emballages, polymères et aliments a vu le plastique envahir notre vie, jusque dans notre sang. « Nous sommes intoxiqués par notre addiction au plastique. On a nous-même créé cette monstruosité qui menace aujourd’hui notre santé et notre environnement », détaille l’autrice de Plastique, le grand emballement (Stock, 2020).
« La moitié des emballages plastiques finit dans la nature »
Face à l’explosion de ces déchets, le tri et le recyclage se sont peu à peu imposés pour les particuliers comme pour les entreprises à partir des années 1990. Aujourd’hui, tous les industriels communiquent sur leurs plans de recyclage et promettent de réduire leurs déchets. Les emballages carton et papiers sont globalement bien recyclés (68 % en 2021). Quant aux emballages plastiques, seuls 28 % d’entre eux le sont. « La moitié va finir dans des décharges et l’autre dans la nature », soupire Delphine Lévi-Alvarès. « C’est le seul matériau qui persiste pendant des millénaires dans la nature et on en a fait la base de nos objets les plus jetables », observe Nathalie Gontard : « Pendant longtemps, le plastique s’est affiché comme un matériau moderne. Aujourd’hui, cette vision de la modernité nous trompe. Le plastique ne sert plus notre bien-vivre, il nous met en danger ».
En 2022, en pleine urgence climatique, comment expliquer des taux de recyclage aussi faibles ? La faute d’abord à un recyclage obscur où certains emballages plastiques peuvent rejoindre la poubelle jaune, bleue ou marron (selon les lieux de collecte) quand d’autres ne le peuvent pas. Que faire de son pot de yaourt ? Est-ce la même règle qui s’applique pour l’opercule ? Cette boîte de gâteaux, je la jette ou je la recycle ? Et son sachet individuel ?
L’État favorise le recyclage plutôt que le réemploi
Depuis 2020, dans la foulée de la loi antigaspillage pour une économie circulaire [1], une simplification de la consigne de tri a été lancée. Objectif : permettre à tous les emballages plastiques d’être recyclés. Dans les territoires où la mesure est mise en place, blisters, barquettes, films plastiques ou encore tubes de dentifrice peuvent désormais être jetés dans la poubelle jaune. « Trente-cinq millions de Français ont accès à la simplification des consignes de tri », vante Citeo. Reste donc une bonne moitié du pays pour qui les règles doivent encore évoluer.
La promesse du recyclage est celle d’une économie aux ressources infinies : une bouteille de soda devient une couette, un flacon d’huile un siège auto, un masque antiCovid une équerre… Une économie circulaire où tout peut être transformé indéfiniment. « Mais il est impossible aujourd’hui de créer des objets composés à 100 % avec du plastique recyclé. Les bouteilles composées de plastiques recyclés le sont à 25 % seulement. Le reste, c’est de la nouvelle matière : du plastique tout neuf », dit Moïra Tourneur, responsable plaidoyer chez Zero Waste France.
De fait, si le recyclage fonctionnait aussi bien qu’on le voudrait, l’entièreté de nos déchets plastiques devrait suffire à couvrir nos besoins. C’est très loin d’être le cas. « Les pays qui recyclent le plus, comme l’Allemagne ou la Finlande, devraient avoir divisé leur consommation par deux, or ils n’ont pas réduit leur consommation pour autant », précise Nathalie Gontard. « L’économie circulaire est un mythe, je parlerais plutôt d’économie tire-bouchon : on ne ferme jamais la boucle, on la prolonge indéfiniment. »

Pour les industriels, le recyclage présente l’avantage de ne pas imposer de réduction de déchets puisqu’ils deviennent soudain « valorisables », avec pour nouvelle lubie le recyclage chimique. « Le recyclage n’est qu’un autre mot pour dire jetable », pointe Jeanne Guien, autrice de Le consumérisme à travers ses objets (Divergences, 2021). Pour elle, comme pour les associations environnementales interrogées, il faut privilégier le réemploi plutôt que le recyclage. Cette méthode consiste à réutiliser plutôt qu’à transformer : consigne de bouteilles en verre, contenants alimentaires ou couverts en acier. Ce n’est pourtant pas la voie qui se dessine. « On l’a bien vu, dans le cadre du plan France Relance, le gouvernement a annoncé 40 millions d’euros investis dans le réemploi… contre 341 millions pour le recyclage. En favorisant le recyclage, l’État légitime la surproduction de plastique au nom d’investissements économiques importants, au lieu de réduire en amont la production », estime Moïra Tourneur.
Nathalie Gontard ne dit pas autre chose : « On encourage des pratiques qui ne font que nous enfoncer plus profondément dans nos addictions. La moitié des emballages qu’on vend aujourd’hui ne sont pas recyclables. À un moment donné, il va falloir couper le robinet à la source ».
Recyclés… à l’autre bout du monde
Chaque année, 5,5 millions de tonnes d’emballages sont utilisées en France. En moyenne, un Français utilise 83 kilogrammes d’emballages par an. Ce qui représente environ six emballages par personne et par jour, d’après les chiffres de Citeo, l’organisme créé par les entreprises du secteur de la grande distribution en charge du recyclage des emballages et papiers.
Or, parmi ces emballages, plus de la moitié (51 %) sont constitués de plastique : pots, boîtes, barquettes, bouteilles, flacons, sachets… « Et ça ne risque pas de diminuer. On s’attend à ce que la production globale de plastique triple d’ici à 2060 », dit Delphine Lévi-Alvarès, coordinatrice Europe chez Break Free From Plastic, un regroupement de plus de 2 000 associations dans le monde mobilisées pour une baisse de notre consommation de plastique.

Pour gérer des quantités de déchets toujours plus importantes, le territoire national ne suffit plus : les envoyer à l’étranger devient la seule solution pour s’en débarrasser. Par un jeu de délégation de service public puis de sous-traitance en tout genre, beaucoup des déchets de nos poubelles jaunes sont envoyés à l’autre bout de la planète. « On estime qu’un tiers des emballages plastiques produits sont envoyés à l’étranger », dit Pierre Condamine, responsable plaidoyer chez Zero Waste Europe. « En 2020, l’Union européenne a exporté 32 millions de tonnes d’emballages plastiques. Et on parle des pays les plus riches du monde, dotés de bonnes infrastructures, imaginez ce que ça donne dans les pays en voie de développement… »
Pendant longtemps, la Chine a constitué la principale « recycleuse » du monde. Jusqu’en 2016. Cette année-là, Jiu-Liang Wang, un artiste chinois, a réalisé un documentaire intitulé Plastic China. Les images de Yi-Jie, une petite fille de onze ans, triant des déchets plastiques dans une décharge, a provoqué un électrochoc dans le pays. Si le pouvoir central a fin par interdire le film, les effets de sa diffusion se sont rapidement fait sentir. En janvier 2018, les autorités chinoises décidaient d’abaisser de 5 % à 0,5 % le taux d’impuretés accepté dans les déchets reçus. Dans les faits, cela signifiait que désormais, la Chine fermait ses frontières aux déchets de l’Occident.
« On estime qu’un tiers des emballages plastiques produits sont envoyés à l’étranger »
Dans la foulée, les pays du Sud-est asiatique ont clos à leur tour leurs frontières. En mai 2019, lors d’une conférence de presse retentissante, la ministre malaisienne de l’Environnement annonçait même le renvoi de 150 conteneurs de déchets plastiques vers l’Occident, dont 43 venaient de France.
Depuis 1992, l’export de déchets dangereux entre pays est régi par la convention de Bâle. En 2019, un nouvel amendement sur les déchets plastiques non recyclables a été adopté. Il prévoit l’interdiction de l’exportation de déchets vers des pays en voie de développement sans leur consentement.
Qu’importe. Dès 2018, la Turquie est devenue la nouvelle destination phare des déchets européens. En 2020, 14 millions de tonnes ont été exportées par les pays de l’Union européenne, d’après Eurostat. En quinze ans, l’importation de déchets y a été multipliée par… 173 selon Greenpeace.

À Adana, dans le sud-est du pays, à 30 kilomètres de la côte méditerranéenne, la ville est une décharge à ciel ouvert, couverte de déchets plastiques provenant des pays occidentaux : Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, France, Autriche, etc. « La principale pollution aux microplastiques provient d’entrepreneurs qui déversent illégalement dans la nature des déchets importés censés être recyclés », dit Sedat Gündogdu, biologiste marin spécialisé dans la pollution aux microplastiques des milieux marins à Adana. « Les entreprises de recyclage sont également à l’origine des pollutions. Notamment en raison du recyclage mécanique, une méthode qui génère une grande quantité de microplastiques. Ils sont tous rejetés dans les rivières et dans les stations d’épuration des eaux usées, qui ne sont pas en mesure de les éliminer. »
En mai 2021, la section anglaise de Greenpeace a publié « Game of Waste », un rapport sur les pollutions liées aux déchets illégaux dans la région d’Adana. Conclusion : la terre et les cours d’eau sont contaminés par des dizaines de polluants à forte toxicité et autres perturbateurs endocriniens : hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), dioxines, furanes ou polychlorobiphényles… Après la publication du rapport, le ministère de l’Environnement turc a effectué des contrôles plus stricts et interdit l’importation de déchets à base de polyéthylène, le composant le plus utilisé dans nos plastiques. Conséquences indirectes : les producteurs de déchets occidentaux sont désormais forcés de se doter de leur propre plan d’élimination et de recyclage.
De l’enfouissement à l’incinération, des décharges sauvages au recyclage, Reporterre explore les impasses et les dérives du traitement de nos déchets dans une enquête en quatre volets. Le dernier épisode redonne espoir : il est consacré aux expérimentations, en France, pour réduire les effets néfastes des déchets sur la santé et l’environnement. Abonnez-vous à notre infolettre pour ne pas le rater.